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Est-ce-que les méthodes alternatives d'enseignement permettraient de ne plus contribuer à consolider les hiérarchies qui structurent la société..? de ne pas reproduire les inégalités de classe en classe..? Mieux encore de s’épanouir à l'école.! Le témoignage lucide et représentatif de Henri Deruer paru dans Rue89 sous le titre « Mon fils a fait sa première rentrée. J’aurais voulu autre chose pour lui » reflète bien l'opinion générale, et exprime une réalité scolaire dans laquelle la plupart d'entre nous pourront se retrouver.

Car, lorsqu’il est question du « système » scolaire français actuel, je me représente celui qui s'inscrit dans une logique forte de sélection, d’orientation. Celui qui s’accommode comme il peut de l’inégale répartition du capital économique, culturel et social sur le territoire. Celui qui se met à la norme de l’employabilité, de l’efficacité, et de la performance. Celui aliénant qui porte nos choix vers les établissements et les filières qui débouchent sur les titres scolaires les plus facilement monnayables sur le marché du travail.

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Marie-Laure Viaud est docteur en sciences de l'éducation, spécialiste des écoles alternatives. Elle nous présente de façon aussi objective que possible le fonctionnement de ces écoles et de ces pédagogies « différentes » créées par des enseignants, des médecins, des psychologues et des philosophes qui - depuis près de cent cinquante ans - explorent la possibilité d'un autre modèle d'école. Consciente que sa personne, ses jugements, et son idéologie influent même à son insu sur ses analyses et ses interprétations, elle construit ce document en donnant une représentation fidèle de ces classes qu'elle a longuement observées.

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Sommaire du livre. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Le livre commence avec les mots d'Adolphe Ferrière (début du XXe siècle) dont la critique acérée pique dans le vif du sujet :

« Et sur les indications du diable, on créa l'école. L'enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes. L'enfant aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile. Il aime manier des objets : on le mit en contact avec des idées [...]. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait s'enthousiasmer : on inventa les punitions... »

Dans son introduction, Marie-Laure Viaud pose la question suivante « Pourquoi y a-t-il si peu d'écoles différentes ? ». Elle avance plusieurs éléments de réponse que je retranscris ici car cette analyse me paraît essentielle :

On peut considérer que les écoles différentes, privées ou publiques, scolarisent environ vingt mille élèves, sans compter l'enseignement professionnel et les classes Freinet isolées dans des établissements classiques. La majorité d'entre elles reçoivent un nombre de demandes d'inscription bien supérieur au nombre de places offertes :  par exemple, l'école Decroly reçoit chaque année de cent à cent cinquante demandes pour vingt-cinq places. Comment expliquer que ces écoles soient si peu nombreuses ?

En premier lieu, la mobilisation des citoyens en faveur de ce type d'école n'a jamais été suffisamment importante pour contraindre l'Education Nationale à ouvrir davantage d'établissements de ce type dans l'enseignement public. Les parents sont plus souvent demandeurs de réussite aux examens que d'épanouissement ; ils mobilisent leurs ressources pour soutenir l'effort scolaire de leurs enfants, cherchent la « bonne école » ou la « bonne classe » - celle où l'on fera allemand première langue, option théâtre. Ce type de comportements n'incite pas à des engagements collectifs ni à la recherche d'une amélioration générale de l'école. Le faible intérêt des enseignants pour les pédagogies nouvelles tient notamment au fait que ces pédagogies sont présentées dans les instituts de formation des maîtres (IUFM). Les mouvements qui pourraient relayer de tels projets, comme les Verts ou Attac, s'intéressent davantage aux problèmes éducatifs sous l'angle de la dénonciation de la « marchandisation » de l'école. Ils ne constituent donc pas des relais auprès des milieux populaires. Quant aux décideurs et aux politiques, ils ont souvent été de bons élèves dans le passé et ont du mal à remettre en cause un système qui leur a permis de réussir...

En second lieu, les écoles différentes sont mal connues et leur représentation dans l'imaginaire collectif est ambigüe. La moindre émission de télévision, le moindre article dans une revue grand public déploie le mythe : « il existe quelque part, très loin, un endroit (une école) extraordinaire...», une école où les adolescents seraient heureux de se rendre chaque matin, où ils se passionneraient pour les apprentissages, où ils pratiqueraient des activités sportives et artistiques épanouissantes, et ce par la magie de quelques éducateurs géniaux... Mais, dans le même temps, ces écoles suscitent un certain effroi : elles sont associées aux écoles parallèles des années 1970, au laisser-faire, au laisser-aller ; on imagine que l'on n'y apprend pas grand-chose ou qu'elles sont destinées uniquement à des enfants « spéciaux ». On leur adresse des jeunes en très grande difficulté avec lesquels on attend qu'elles réussissent là ou tout le monde a échoué, qu'elles fassent des miracles. La représentation de ces écoles se tisse donc entre l'émerveillement, l'effroi et les pratiques miraculeuses... loin du travail scientifique et des discours rationnels qui montrent pourtant le bien-fondé de ces méthodes.

La question est aussi politique. D'une part, les pédagogies nouvelles favorisent, bien plus que le système standard, l'esprit critique, la capacité à s'exprimer, à monter des projets, à prendre des responsabilités collectives. En un mot, elles forment des citoyens capables d'une contestation active de la société. D'autre part, si de tels établissements fonctionnaient correctement (avec des élèves et des moyens ordinaires et en nombre suffisant, afin que leurs résultats ne soient pas attribuables aux conditions de l'expérience), cela signifierait que la réponse aux difficultés actuelles de l'école est d'ordre pédagogique, et non d'ordre quantitatif, et que c'est donc la structure du système qu'il faut transformer.

Vous commencez certainement à percevoir la teneur de ce livre et le ton de son auteur. Il ne s'agit donc pas d'encenser les pratiques des pédagogies alternatives en adoptant une admiration béate. L'école standard pourrait sans doute mieux fonctionner si le ministère de l'éducation restructurait en profondeur la formation des enseignants. On rappellera qu'en 2010, la réforme Chatel a supprimé les cours en IUFM pendant l'année de stage, jetant les lauréats du concours dans des classes à plein temps et multipliant ainsi les cas d'abandon et de burn-out. Aujourd'hui, au lieu d'une entrée progressive dans le métier (par alternance), avec des stages d'observation avant le concours, puis des stages accompagnés dans la classe d'un maître-formateur, le gouvernement Hollande fait une resucée timorée de la formation, les étudiants auront donc deux années menées tambour battant pour obtenir le master, réussir le concours et effectuer les stages à mi-temps. Peu de chances de voir émerger des enseignants capables d'enrayer cette machine à sélectionner les élèves, ils n'auront d'autres choix que d'appliquer les vieilles recettes à défaut d'avoir eu le temps propice à une formation critique et intégrée.

Parlez à de jeunes diplômés des méthodes Montessori, Steiner, Freinet, il y a fort à parier qu'ils n'en connaissent ni les pratiques, ni les enjeux. Pourtant elles ouvrent à une réflexion humaniste (l'adjectif ne me semble pas galvaudé ici) des méthodes d'enseignement. Les enseignants Freinet, par exemple, veulent former des citoyens capables d'agir sur le monde : une grande partie de leur travail consiste donc à développer le sens critique de leurs élèves, à leur apprendre à travailler en groupe, à s'écouter, à s'organiser, à prendre des décisions démocratiques, et à monter des projets collectifs dès la petite enfance.

Ces méthodes sont diamétralement opposées sur des points majeurs, ce qui peut rendre perplexe n'importe quel néophyte comme moi sur le sujet, et j'imagine bien plus encore les parents qui attendent des réponses claires sur l'éducation à promulguer à leur enfant. Car s'il est bien question de l'école dans ce livre, il en est tout autant de l'enseignement des savoirs et des savoir-être par les parents à leurs enfants (cf. principalement les chapitres 7 - 8, et - 9). Concernant les sujets qu'opposent Steiner, Montessori, Freinet et les Pédagogies Institutionnelles, je pense notamment aux passages sur : la part de temps du travail individualisé, le matériel pédagogique, les jeux des enfants, l'approche de l'écriture et de la lecture, l'enseignement des savoirs à partir de situations  « vraies » (et non « scolaires »), l'instauration des « métiers »  et des « ceintures de couleur » (cf. tableau ci-dessous), le nombre des sorties à l'extérieur de l'école.

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Une responsabilité - un métier - est attribuée à chaque élève : gardien du temps (il prévient lorsqu'une activité est terminée), jardinier (il prend soin des plantes), etc. Les ceintures correspondent à un certain nombre de compétences (donnant des droits et des devoirs différents aux élèves). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Quant aux résultats de ces pédagogies alternatives, Marie-Laure Viaud y consacre plusieurs pages dans le chapitre 6 intitulé « Et après ? Les résultats de ces écoles ». Elle répond entre autres aux questions restrictives que je posais en accroche de la chronique, et elle élargit ces interrogations à d'autres aspects de comparaison. Mais au risque d'amoindrir davantage les idées et les analyses pertinentes de son auteur, je vous invite donc chaudement à vous procurer ce guide. Il constitue un document synthétique, et tourné assurément vers la pratique. J'insiste sur le fait que ces méthodes alternatives sont expliquées par des exemples concrets observés dans les classes existantes : structure d'une journée d'école, détails des activités, analyse des comportements des enfants, description du matériel, etc. Tout cela sans jamais être rébarbatif, faisant resurgir des souvenirs d'école et poussant à reconsidérer les pratiques des enseignants dont nous avons partagé les journées. Le paratexte est par ailleurs très riche et nous incite à poursuivre la découverte de ces méthodes sur internet (vidéos, sites web, publications, etc) ou à se déplacer dans ces écoles dont on trouvera une liste quasi-exhaustive à la fin du livre.


NB : Toujours autour du thème de l'école alternative, on pourra s'attarder sur le billet de Renaud, Du paradigme de l'éducation : « Ken Robinson says schools kill creativity ».