120x160 Mud OK 25-03

Mud est le troisième film réalisé par Jeff Nichols. Avec seulement trois irruptions dans le monde cinématographique depuis 2007, le réalisateur (qui écrit tous ses scénarios) a su se démarquer de la mouvance générale grâce à une narration soignée et très particulière. Alors que la tendance du cinéma contemporain se porte vers des histoires complètement lisibles, des personnages entiers, des fins et des enjeux clairs, Nichols semble consacrer quelque chose de moins manichéen, de plus subtil et de plus équilibré, où le spectateur ne sait pas exactement où le film le mène sans pour autant le perdre ou l'embrouiller.

Un peu plus d'un an après l'excellent Take Shelter, fresque monumentale sur l'Amérique en proie à la peur, au doute et aux crises diverses — écologique, financière, familiale —, le réalisateur semble revenir à une trame plus classique et moins risquée rappelant son premier Shotgun Stories. Invoquant l'univers de Mark Twain dès le sous-titre français « sur les rives du Mississippi, » Jeff Nichols laisse libre court à ses talents de narrateur dans ce très beau récit d'apprentissage aux personnages profonds, qu'ils soient principaux ou secondaires. Soit dit en passant, l'approche de la paternité et de l'éducation présentée ici est à des années-lumière de celle, très conservatrice, proposée dans The Place Beyond the Pines (par exemple). Le personnage de Mud, notamment, directement inspiré de Tom Sawyer et Huck Finn, est parfaitement servi par Matthew McConaughey (oubliez le traumatisme de Killer Joe mais gardez l'accent texan très prononcé) dans les habits de cet homme mystérieux, « bigger than life », au visage buriné par le soleil — mais qui peine à se détacher de son image pleine de classe et de héros badass, à l'instar du beau gosse de Brad Pitt dans Fight Club. Dernière remarque sur la distribution : Michael Shannon, acteur fétiche du réalisateur, occupe un petit rôle de pêcheur sous-marin.

La peur est comme un moteur dans le cinéma de Jeff Nichols : celle de perdre le frère ainé dans Shotgun Stories ou bien celle de ne pas se sortir d'une crise protéiforme dans Take Shelter. Le personnage de Mud procède quant à lui d'une manière un peu différente puisqu'il a construit un autre système de croyance (symbolisé par le tatouage de serpent sur son avant-bras) et semble n'avoir peur de rien ni personne, sauf peut-être du patriarche texan King en qui il voit l'incarnation du diable. Contrairement à la première impression, Nichols prend ici de vrais risques en multipliant les thèmes abordés (la vengeance, l'enfance, les différentes formes que peut prendre l'amour pour ne citer qu'eux) et les styles pour les illustrer. Si l'on pense tout d'abord au récit d’apprentissage, Mud ne se cantonne pas à un genre unique et oscille rapidement entre drame, aventure et conte, tout en conservant le point de vue des deux enfants Ellis et Neckbone. La richesse des sujets étudiés et la diversité des approches adoptées ne font que souligner la rigueur et le talent du jeune metteur en scène qui a su capter la dimension onirique des rives du Mississippi.

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Mud (Matthew McConaughey), la classe tendance Clint Eastwood époque spaghetti.

Ci-dessous, Ellis (Tye Sheridan) et Neckbone (Jacob Lofland).
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Certes, le film n'est pas parfait et la scène de fusillade où Sam Shepard se transforme en sniper (sûrement des restes de Butch Cassidy dans Blackthorn, cf. ce billet) paraît bien précipitée et gâche un petit peu l'immense plaisir des deux heures qui précèdent. Mais on aurait tort de faire l'impasse sur cet excellent réalisateur en puissance et en devenir qu'est Jeff Nichols, ce cinéaste dont la maigreur des fiches Wikipedia française (ici) et anglaise () fait peine à voir. Certains ont eu tôt fait de le comparer à Terrence Malick pour leur rapport particulier à la nature (entre autres éléments abscons comme le fait d'avoir en commun la productrice Sarah Green, le jeune acteur Tye Sheridan ou encore le lieu de leur résidence à Austin, Texas). Mais là où Malick puise son inspiration dans une forme d’impressionnisme parfois hasardeux, les intentions de Nichols sont profondément ancrées dans la réalité et le résultat, toujours subtil, sonne incroyablement juste — à des milles de n'importe quel Prometheus. Dernière réjouissance : son prochain projet s'intitule Midnight Special (1), abordera des thèmes liés à la science-fiction et sera a priori dans l'esprit du Starman de Carpenter (voir la source made in english).


N.B. : L'affiche américaine du film est quand même nettement moins subtile (et presque mensongère) : voir l'affiche.

(1) Personnellement, j'ai un petit penchant pour la version de Creedence... Ahahah. (retour)