black_robe.jpg, oct. 2020
"They have hairy faces like dogs. Who are they? — They are French."

Dans cette vision très crue de la mission d'évangélisation au sein d'Indiens Hurons menée par un jeune jésuite au Canada au 17e siècle, on reconnaît le style parfois brutal de Bruce Beresford, auteur de Héros ou Salopards sur des lieutenants australiens accusés d'avoir injustement exécuté des prisonniers durant la guerre des Boers. Filmé comme une épopée spiritualo-existentielle du point de vue du missionnaire, Black Robe se double d'une réflexion très intéressante — à replacer dans le contexte d'un film très humble, toutefois, dans ses moyens de production — sur la colonisation du continent nord-américain par les peuples européens. Le parti pris notable ici : mettre sur un pied d'égalité, de manière subtile et implicite, les deux cultures en présence (Indiens et Chrétiens) à travers la juxtaposition d'une série de rituels et de croyances qui laissent entrevoir des points de convergence vu d'aujourd'hui alors que les deux cultures étaient profondément incompatibles à l'époque.

Lothaire Bluteau incarne avec une certaine justesse le père Laforgue, chargé par Samuel de Champlain d'évangéliser ces pauvres tribus d'Indiens (considérées comme) impies, les Hurons. C'est dans une première partie presque un film d'aventures, au sens où on suit un petit groupe dans leur voyage à travers les forêts canadiennes denses et enneigées, à mesures que leurs certitudes et leurs croyances semblent vaciller. C'est notamment le cas lorsque le religieux observe les pulsions sexuelles des peuplades indiennes se déchaîner le soir venu, dans des moments très crus sans être vulgaires, filmé avec la même frontalité que les accès de violence très soudains. Le doute quant au sens de cette mission pénètre peu à peu le groupe, et la rencontre avec ces fous furieux d'Indien Iroquois achèvera de les désillusionner. Un grand moment de cruauté.

Difficile voire impossible de discerner la part de réalité dans cette version fictionnalisée du réel. Mais l'égarement de ce pasteur idéaliste dans des territoires sauvages parvient à se frayer un chemin agréable, loin de tout prosélytisme, vers une sorte de quête initiatique inattendue. On sent à quelques reprises sa foi vaciller, peut-être, lorsqu'il discerne chez les Hurons des valeurs au moins aussi fortes que celles portées par le christianisme. Eux, en retour, s'interroge sur son célibat. L'occasion de méditer sur le choc des cultures car Beresford fait la part belle au mode de vie des Indiens à l'heure de la colonisation. Point de thèse sur le thème du paradis perdu : on est en plein dans le tragique des illusions perdues et dans l'influence européenne désastreuse (épidémies de variole et baptêmes qui conduiront les Hurons à se faire massacrer par les Iroquois) sur le continent américain.

indiens.jpg, oct. 2020