story_of_a_beloved_wife.jpg, nov. 2020
Shindō scénariste et mise en abyme autobiographique

Le Kaneto Shindō des débuts, pour son tout premier film en tant que réalisateur, ne ressemble en rien à celui des années 60 (prolixe en propositions formelles incandescentes du type Onibaba) ni à celui des décennies suivantes. Mais résumer la carrière de Shindō à seulement quelques-unes de ses œuvres, alors qu'il est l'auteur de plus de 200 scénarios et de près de 50 mises en scène, serait un exercice bien périlleux, une vision extrêmement biaisée et partiale. Tout ce que l'on peut affirmer avec certitude au sujet de Story of a Beloved Wife, c'est que derrière cette mise en abyme du processus créatif au cinéma, mettant en avant le travail d'un scénariste débutant, se cache une part autobiographique sur le premier mariage de Shindō.

Loin des exercices de style formels exceptionnels qui l'ont rendu célèbre, la tonalité dominante ici est celle du mélodrame, à travers l'histoire d'un homme ayant perdu toute confiance en lui après que sa proposition de scénario a été rejeté unilatéralement par un réalisateur exigeant, mais qui retrouvera la force de poursuivre grâce au soutien sans faille de sa femme. Le cadre inauguré en introduction pose un contexte plutôt académique, avec un conflit familial explicité sans ambages opposant les deux amants au père de la fille, alors que ce dernier refuse de la voir mariée à un artiste, profession pour laquelle il a très peu de respect. L'abnégation avec laquelle la femme soutiendra son mari, envers et contre tout, en dépit de toutes ses sautes d'humeur et du peu de considération qu'il exprimera pour elle, oriente le film dans un sillon très classique. Pour interpréter le protagoniste, Jûkichi Uno se livre à une interprétation d'une sécheresse et d'un détachement assez impressionnants, qui feraient presque passer Chishū Ryū pour un joyeux fêtard.

Sauf que derrière le personnage du réalisateur pointilleux, Sakaguchi dans le film, se cache en réalité Kenji Mizoguchi, pour lequel Shindō avait travaillé en tant que scénariste — et dont on retrouve éventuellement quelques traces thématiques, dans l'exploration de la condition artistique. C'est en tous cas là que surgit la composante autobiographique de l'histoire, ainsi que dans le sort tragique de la femme du scénariste exilée de Tokyo vers Kyoto pour le suivre, contre l'avis de ses parents. Mais la mise en abyme ne s'arrête pas là : pour interpréter la femme de Shindō atteinte de tuberculose, c'est l'actrice Nobuko Otowa qui fut retenue — elle deviendra la femme et la muse de Shindō, jouant dans nombre de ses films postérieurs comme L'Île nue et Onibaba.

En résumé, Story of a Beloved Wife est un film réalisé par un homme qui voulait rendre hommage au dévouement de sa défunte femme en la faisant jouer par sa future femme, alors qu'il était en couple avec une troisième femme. Ces années compliquées, tant du point de vue de la production artistique que du contexte de la Seconde Guerre mondiale (les bombes sont annoncées vers la fin du film), trouvent selon ces considérations une autre résonance.

elle.jpg, nov. 2020 lui.jpg, nov. 2020