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Éradication du mâle à la source

Plus on parcourt la filmographie de Kaneto Shindō, plus on s'aventure dans les recoins poétiques et atmosphériques de ses histoires, et plus le charme vénéneux de ses images fait sens, plus il gagne en puissance. En prenant pour cadre le Japon médiéval au temps des guerres civiles et des samouraïs-rois, The Black Cat ("A Black Cat in a Bamboo Grove" si l'on se tient à la traduction du titre original) ne déroge pas à la règle de ces films envoûtants et au style si particulier. Différence notable avec ses précédents films (connus), Shindō s'engage ici sur les terres mystérieuses du conte horrifique, dans des proportions bien différentes de ce que distillait avec malice Onibaba (lire le billet à ce sujet).

Si la poésie de l'ensemble se savoure sans retenue, tant dans les thématiques abordées que dans les choix esthétiques retenus, il faut dans un premier temps passer par un sursaut d'horreur d'un autre genre. L'introduction ne ménage pas les yeux des âmes en peine passant par là et fait déferler sur une pauvre femme (Nobuko Otowa, encore elle) et sa bru une horde de samouraïs rageurs et avides de chair. La guerre qui secoue le pays a enfanté ces êtres sauvages et dénués de morale, et les sévices qu'ils font subir aux deux femmes, en les violant et en brûlant leur maison, enfanteront à leur tour des esprits maléfiques assoiffés de vengeance. Il ne fait pas bon être samouraï en ces lieux, désormais, et passer non loin de la porte de Rajōmon (Kurosawa était déjà passé par là 18 ans plus tôt) se fera au péril de sa vie.

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Shindō reprend dans une certaine mesure le thème du rape and revenge médiéval qu'Ingmar Bergman avait magnifiquement mis en scène dans La Source (encore un billet). Mais là où le réalisateur suédois abordait le désir de vengeance à l'aune du questionnement existentiel et spirituel à travers le personnage interprété par Max von Sydow, The Black Cat suit le chemin plus simple mais tout autant sinueux des représailles méditées et teintées de fantastique. La terreur est tapie dans l'ombre d'une forêt de bambous et la peur enfle progressivement, à mesure que les samouraïs se perdent dans le piège sanglant tendu par les deux fantômes. C'est l'ambiance (visuelle et sonore), tissée avec grand soin, qui est au cœur des enjeux ici.

Que ce soit à travers l’utilisation des costumes fournis des samouraïs et des esprits, le maquillage très prononcé et évolutif (au gré de leurs humeurs de spectres vengeurs) des deux femmes, ou encore leurs déplacements très expressifs, comme si elles flottaient au ras du sol au lieu de marcher, The Black Cat fait beaucoup penser au théâtre traditionnel japonais, le kabuki. Le récit en emprunte une variation savoureusement féministe, et occasionnellement érotique. L’environnement sonore appuie encore davantage cette impression. Même si une portion de la première partie peut sembler répétitive, avec les allées et venues incessantes des samouraïs sur le point de se faire séduire et égorger, et même si la morale de ce conte peut paraître un peu simpliste, l’ambiance inquiétante qui se déroule peu à peu et qui nous enveloppe lentement comme les rets des fantômes se repliant autour des samouraïs déchus se suffit, très vite, à elle-même. À la première émanation de fumée blanche, aussi menaçante que cinégénique, le ton est donné. Et il est trop tard pour s’échapper : le piège s’est déjà refermé.

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