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Révolutions et contre-révolutions

The Internet's Own Boy se situe à la croisée de deux types de documentaires : les très bons sujets, d'une part, et les mauvais traitements, d'autre part. Mais disons-le d'emblée, le premier aspect l'emporte clairement sur le second : c'est le genre de documentaire qui a beau avoir recours à pas mal de procédés insupportables propres au genre (musique larmoyante, témoignages en pleurs, etc.), mais qui parvient tout de même à émouvoir tant son sujet, dans tous les sens du terme (thème et personnage principal), vise juste.

Premier constat amer : si seulement il existait plus d'Aaron Swartz sur Terre...

Brian Knappenberger ne s'est vraisemblablement pas lancé dans ce projet pour expliquer ni même vulgariser les détails techniques des travaux incroyables d'Aaron Swartz. On n'apprendra rien sur le fond de "The Info", un site précurseur de Wikipédia, ni sur le RSS ou encore les outils derrière la gestion des droits d'auteur sur le net via Creative Commons (licence sous laquelle est d'ailleurs diffusé le présent documentaire, financé sur Kickstarter et incitant au libre partage). Mais ce dont on prend conscience très rapidement, c'est qu'on a affaire à un gamin passionné d'informatique qui a lancé un ersatz de Wikipédia à 12 ans (et 3 ans avant sa création), qui a participé au développement d'outils majeurs du web durant son adolescence et qui devient millionnaire par défaut, à 20 ans, en revendant ses parts de Reddit suite à des divergences de points de vue.

Cela pourrait être le début d'une success story bateau comme on peut en voir des milliers, particulièrement dans le cinéma américain. Sauf qu'Aaron n'était pas le genre de personne à réinvestir sa fortune dans des hedge funds ou à mener une vie de rentier. Il est plutôt du genre pragmatique. Quand il constate un problème, quand il voit qu'un système est complètement vicié, il ne se contente pas de formuler poliment son mécontentement : il chie dans la colle. En réponse à l'organisation des revues scientifiques qu'il compare à du racket (Harvard poussera une gueulante à ce sujet en 2012, c'est dire : lien The Guardian), il écrit un petit bout de code lui permettant de récupérer via le réseau du MIT 4,8 millions d'articles scientifiques disponibles dans JSTOR. On imagine assez aisément, étant donnée la personnalité de l'énergumène, qu'il ne s'agissait pas d'en tirer un profit personnel mais plutôt de distribuer ce savoir à l'ensemble de la planète, et en particulier aux personnes n'ayant pas les moyens financiers d'y accéder par les voies légales prohibitives. Ou bien d'en tirer des résultats par méta-analyse comme il l'avait déjà fait dans le passé.

Mais ce n'est pas ce que les autorités américaines en ont retenu, évidemment, et un procès pour l'exemple se mit rapidement en place. Le MIT décida de garder une position neutre dans l'affaire, ce qui revenait à soutenir de manière indirecte les décisions de justice. Deux ans plus tard, suite au suicide d'Aaron Swartz juste avant son procès garni de treize chefs d'accusation, un rapport d'enquête interne indiquera qu'une telle position de la part du MIT "n'a sans doute pas été à la hauteur de son rôle de leader dans la technologie de l'information". En l'absence de soutien de la part de l'institution, le hacker de 26 ans devenu militant du web libre suite à sa mobilisation fructueuse contre le projet de loi SOPA encourait une peine d'emprisonnement maximale de 35 ans et une amende pouvant aller jusqu'à 1 million de dollars. Difficile de ne pas tomber un minimum dans le pathos, par moments au moins, avec un tel potentiel tragique : on pardonne volontiers ces écarts au bon goût et on ne peut qu'adhérer à la diffusion de l'histoire d'un tel personnage.

Le documentaire est disponible sous licence Creative Commons en VO sous-titrée ici : lien youtube.