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Défiance obsessionnelle

Le parallèle est un peu hasardeux mais je garde le souvenir d'une séance étrange, l'impression d'occuper une position semblable aux chevaux sauvages que le protagoniste tente de dresser avec soin et minutie. À reculons, qui plus est, avec des réserves alimentées par le précédent film de Chloé Zhao, Les Chansons que mes frères m'ont apprises, vague succédané d'un Terrence Malick des mauvais jours dont le sceau "Sundance" était un peu trop apparent à ma sensibilité. La surprise est donc de taille quand on se retrouve happé par cette enveloppe formelle, et surtout par cet univers qui sur le papier n'avait pas d'arguments décisifs.

The Rider parvient à faire cohabiter récit documentaire et partie fictionnelle beaucoup plus naturellement et efficacement. L'influence supposée de Malick n'est pas tout à fait abolie, mais elle est beaucoup mieux canalisée, moins gênante, moins systématique dans son utilisation des plans au ras des herbes hautes en contre-jour, avec la lumière rasante d'un lever ou d'un coucher de soleil. On n'aura aucun mal à croire que la blessure de Brady Jandreau exhibée en tout début de film, stigmate d'un rodéo qui s'est mal terminé, est bien réelle.

Il y a bien des passages légèrement pénibles, un peu trop sur-signifiés, notamment quand le film essaie de dépeindre les conséquences du traumatisme sur son comportement en famille, la pression psychologique, son dévouement auprès d'un ami qui a subi le même accident que lui mais qui s'en est beaucoup moins bien sorti. Le parallèle entre l'homme et le cheval, le premier pouvant continuer à vivre avec une blessure quand il faut abattre le second, est dans le même esprit, un peu trop souligné mais porteur d'un symbolisme pas complètement rédhibitoire.

Là où The Rider excelle, au-delà de sa capacité à magnifier les espaces naturels du Dakota de l'aube au crépuscule, c'est dans la retranscription des gestes simples du cavalier devenu dresseur. Dans sa façon d'approcher l'animal, dans la simplicité apparente de ses mouvements, il parvient à faire toucher du doigt quelque chose qui ne paraît pas particulièrement sensible de prime abord. Chloé Zhao parvient également à laisser émerger un certain anachronisme, avec ces cowboys du XXIe siècle, qui éclate lorsque Brady se retrouve au supermarché, pris en photo avec un téléphone au rayon des cosmétiques. La confrontation entre les deux mondes n'est ni comique ni tragique, elle se développe dans l'arrière-plan et esquisse doucement une incompatibilité fondamentale.

C'est d'ailleurs un atout discret du film, qui parvient à jouer sur la dimension émotionnelle de son histoire sans trop tirer sur la corde sentimentaliste. Le dispositif minimaliste déployé au niveau de la narration, par opposition avec la forme parfois grandiloquente, introduit un paradoxe intéressant. Pas de mièvrerie pour décrire les douleurs, les blessures, les handicaps : la frontière n'est pas toujours très loin, mais l'exercice est tout de même globalement réussi. Il y a dans le portrait de Brady une forme de candeur, une défiance envers la mort, une forme d'incommunicabilité, une obsession maladive telle une chape de plomb l'empêchant d'évoluer dans une autre direction.

NB : Référence aux commissaires-priseurs dans How Much Wood Would a Woodchuck Chuck? de Herzog ou simple coïncidence ?

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