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The Thing est un film américain réalisé en 1982 par John Carpenter. C'est la seconde adaptation de la nouvelle de John W. Campbell intitulée « La Bête d'un autre monde » (« Who Goes There? » en version originale), issue du recueil Le Ciel est mort. La première adaptation fut réalisée en 1951 par Christian Nyby, sous le titre La Chose d'un autre monde. À noter, à titre d'information seulement, une troisième adaptation de 2011 portant le même nom : The Thing. Réalisé trente ans plus tard par un certain Matthijs van Heijningen Jr, il s'agit en fait d'un prequel (1) décevant en manque d'inspiration.

L'atmosphère qui règne dans le film de Carpenter, tour à tour sombre, oppressante et anxiogène, en fait une œuvre noire unique en son genre. La blancheur éclatante des paysages enneigés de l’Antarctique (2) peine à pallier la torpeur des bunkers de l'équipe de recherche. La scène aberrante d'introduction où l'on voit un husky courir sur cette étendue immense et blanche (et non « immense et rouge », comme chez ce cher Prévert), pourchassé par un hélicoptère d'une autre équipe qui tente de l'abattre, en vain, confine en apparence à l'absurde, mais annonce en réalité l'arrivée du fléau.
kurt_russel.jpg Le sentiment d'isolement et d'enfermement chez des personnages seuls face à eux-mêmes, accentué par ces lieux de désolation enneigés qui les entourent, rappelle bien sûr The Shining, de Stanley Kubrick, sorti deux années auparavant. Mais la folie ne provient pas ici du cercle fermé des protagonistes ; elle vient à eux depuis l'extérieur, en les contaminant les uns après les autres. Peu à peu, la peur et la suspicion gagnent du terrain et envahissent les corps comme les esprits. La menace, incarnée à l'origine par le chien errant, se terre et parvient à se camoufler sous des traits humains, vecteur d'une psychose terriblement contagieuse. Tous deviennent alors des suspects potentiels, la chair humaine pouvant désormais abriter l'abomination en son sein.
Stimulé par la musique glaçante composée par Ennio Morricone (dans un style bien différent des westerns spaghettis à la Sergio Leone !), l'effroi grandissant participe de l'immersion dans cet environnement glacial peu hospitalier. À l'instar du premier Alien réalisé par Ridley Scott trois ans plus tôt, les personnages esseulés se retrouvent bien impuissants face à un danger insaisissable, tapis dans l'ombre mais bien présent.

« Homo homini lupus est » : l'homme est un loup pour l'homme. L'ambiance prenante du film, servie par une photographie remarquable et des jeux d'ombre et de lumière magnifiques, consacre la locution latine en exacerbant le sentiment de paranoïa qui naît simultanément chez les personnages et chez le spectateur.
Carpenter pousse ici l'horreur à l'extrême, dans une esthétique du difforme – voire de l'informe –, pour donner naissance à une œuvre ténébreuse, nihiliste, et dont le dénouement enterre le dernier soupçon d'optimisme. Le parallèle avec l’apparition du SIDA à la fin des années 1970 résonne parfaitement comme un double sens du film, avec une contamination d’origine mystérieuse et des tests de dépistages sanguins qui donnent lieu à une scène mythique de stress intense.
Malgré des effets spéciaux « mécaniques » extrêmement convaincants (merci à Rob Bottin pour ces trucages et ces séquences impressionnantes de réalisme) en avance sur leur époque, malgré la carrure de l'excellent Kurt Russel (ancien Snake Plissken de New York 1997 et futur cascadeur psychopathe de Boulevard de la Mort) campant le personnage de l'alcoolique jusqu’au-boutiste, The Thing fut un flop lors de sa sortie au cinéma. Les spectateurs boudèrent le chef-d'œuvre de Carpenter et y préférèrent le gentil E.T. de Steven Spielberg... Il faudra attendre sa commercialisation en VHS et les diffusions télévisées qui suivirent pour qu'il atteigne – enfin – le statut de film culte qu'il mérite largement, en témoigne sa considérable influence dans tout le milieu SF de la fin du XXe siècle.

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N.B. 1 : À propos de Carpenter...
En dépit d'une filmographie très inégale (une anagramme de géniale...), John Carpenter parvient parfois à viser juste et à frapper fort. Il est considéré comme l'inventeur des codes du slasher (3), et en particulier de cette technique qui consiste à filmer, dans un même plan, le tueur et sa victime sans que cette dernière ne se doute de quoi que ce soit – pendant un certain temps seulement... Ce procédé fut utilisé pour la première fois en 1978 dans Halloween. Capable du meilleur comme du pire, amateur des ambiances « série B », on retiendra dans sa filmographie, pour des raisons souvent diamétralement opposées : New York 1997 (1981) et sa suite Los Angeles 2013 (1996) mettant en scène le célèbre Snake Plissken, personnage interprété par Kurt Russel ; They Live (1988), brûlot qui a mal vieilli ironisant sur notre société de consommation ; Le Village des damnés (1995), remake raté d'un film de 1960 réalisé par Wolf Rilla, lui-même adapté d'un roman de John Wyndham ; Vampires (1998), où James Woods dégomme du mort-vivant à tout-va dans un second degré parfois poussif ; Prince des ténèbres (1987) et L'Antre de la folie (1995), très moyens, qui constituent avec The Thing ce que Carpenter nomme sa « trilogie de l'Apocalypse ».

N.B. 2 : Petit bonus pour les fans.
Un "remake" du film : http://www.youtube.com/watch?v=BG33zECv8dc

N.B. 3 : Un complément : la nouvelle de Peter Watts.
Si vous avez aimé le film, vous adorerez la nouvelle The Things, écrite en 2010 par Peter Watts et disponible gratuitement et intégralement ici : http://clarkesworldmagazine.com/watts_01_10. L'action se situe à la fin du film de Carpenter, et le récit adopte le point de vue de la "chose". Un vrai régal, qui est également disponible en version audio, avec la voie douce et agréable de Kathryn Baker. Un immense merci à Jim (cf. son commentaire) pour cette découverte.

N.B. 4 : L'une des répliques de film d'horreur préférées de John Landis.

« Lorsqu'un des personnages voit des pinces de crabe pousser de la tête décapitée d'un des autres personnages, et que le monstre se met à marcher, il s'exclame : "Putain, mais c'est une blague !" Dans ce contexte, c'est une réaction très réaliste. »

John Landis, dans Créatures fantastiques et monstres au cinéma, 2012.

(1) Un prequel est un néologisme anglais récent désignant une suite (d'un film, d'un livre) qui place le récit dans une époque antérieure à celle de l'œuvre originale. Exemples phares : Star Wars, épisodes I à III (George Lucas, 1999, 2002 et 2005). (retour)
(2) The Thing a été principalement tourné dans les studios Universal, à Los Angeles, dans des salles réfrigérées. La température extérieure étant caniculaire, l’équipe devait ôter les parkas ou les remettre selon les déplacements. Des scènes supplémentaires ont été tournées en Colombie-Britannique. (retour)
(3) Le slasher (de l’expression anglaise « slasher movie ») est un genre cinématographique, sous-genre du film d’horreur et du film d’exploitation, qui met en scène les meurtres à l'arme blanche d’un tueur psychopathe, généralement masqué, qui élimine méthodiquement un groupe d’individus souvent jeunes. Exemples phares : Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), Halloween (John Carpenter, 1978), Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980) et Scream (Wes Craven, 1996). (retour)