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Une fois n'est pas coutume, la version originale du — titre du — film est infiniment meilleure. The Straight Story fait habilement référence au caractère réel de l'histoire (ce à quoi se limite la version française) et au personnage principal du film, le dénommé Alvin Straight. Une Histoire Vraie raconte le voyage d'Alvin, un vétéran de la seconde guerre mondiale parti en tondeuse à gazon retrouver son frère Lyle tombé gravement malade. Il devra surmonter ce road-trip de 300 kilomètres sans permis de conduire, et surtout prendre sur lui pour dépasser la dispute vieille de 10 ans qui les séparent.

Une Historie Vraie fait figure d'ovni dans la filmographie de David Lynch, au sens paradoxal où celui-ci n'en est justement pas un. On était habitué aux intrications farfelues du cinéaste, mêlant habilement introspections oniriques et soubresauts cauchemardesques dans un univers qui lui est bien spécifique : Eraserhead (1976), Elephant Man (1980), Blue Velvet (1986), Sailor & Lula (1990) et Twin Peaks (1992) — mais aussi la série éponyme de 1990 dont le film est l'adaptation, et avec le talentueux Kyle MacLachlan, personnage récurrent chez Lynch qui occupa entre-temps le rôle de Ray Manzarek dans le film d'Oliver Stone The Doors (1991) — pour la première période, saupoudrée d'un Dune en 1984, un défi perdu d'avance (et conspué par des générations de fans du bouquin) qu'il reniera par la suite. Puis vinrent les truculents Lost Highway (1997), Mulholland Drive (2001) et Inland Empire (2007), véritables marques de fabrique du réalisateur et considérés comme des chefs-d’œuvre par la majorité des critiques. Que ceux qui pensent avoir atteint le summum de la complexité en regardant Inception (2010), de Christopher Nolan, regardent ceux-là pour comprendre jusqu'où on peut pousser la réflexion, dans un registre très différent... Mention spéciale pour l'hypnotisant Mulholland Drive, film iconoclaste d'une rare intensité, baignant dans l'atmosphère mystérieuse de la bande originale d'Angelo Badalamenti, compositeur attitré de Lynch.
richard_farnsworth.jpgDans le rôle d'Alvin Straigh, Richard W. Farnsworth, quasi-octogénaire à la sortie du film, ne sort pas de nulle part. Après s'être longtemps dédié au métier de cascadeur en doublant régulièrement un certain John Wayne, il a occupé de nombreux seconds rôles dans de multiples westerns (comme par exemple celui de John Coble, aux côtés de Steve McQueen dans Tom Horn), sous la direction de John Ford entre autres. Le film repose en grande partie sur ses frêles (1) épaules. C'est lui qui nous transmet ses réflexions pleines de sens sur la vieillesse et le temps qui passe, autant que ses émotions à fleur de peau, oscillant entre son amour pour les orages accompagnés d'éclairs et la triste nouvelle concernant son frère qui ramène brutalement le poids des années passées.

David Lynch dépeint le quotidien des petites bourgades américaines et des petites gens simples et bien intentionnées, où solidarité et fraternité ont encore un sens, dans un pays où de telles valeurs adoptent rapidement une connotation réactionnaire. Il s'agit presque d'un éloge de la lenteur dans notre société, victime d'une frénésie pathologique, où tout va — et doit aller — toujours plus vite. Il y a d'ailleurs quelque chose de comique entre l'urgence de la situation (une maladie grave) et la lenteur d'Alvin (qui ne semble pas avoir le choix). Seul bémol : cette histoire pleine d'enseignements et de poésie est de-ci de-là appuyée par des violons un peu trop larmoyants à mon goût.

Une Histoire Vraie réussit avec brio l'exercice d'équilibriste qui consiste à se servir d'une histoire simple pour aborder des thèmes essentiels comme la solidarité, la vieillesse et l'harmonie sans pour autant verser dans le sentimentalisme exacerbé. À ce titre, ce film fait plus office de parenthèse que de rupture dans la filmographie de Lynch, exprimant pleinement la dualité du personnage.

« Le mal existe, mais pas sans le bien, comme l'ombre existe, mais pas sans la lumière. »
Alfred de Musset, Lorenzaccio, acte III, scène 3


(1) Richard Farnsworth était lui-même gravement malade lors du tournage.