vacances_romaines.jpg, sept. 2020
La légèreté comme refuge au désespoir

C'est très clairement dans le registre du mélodrame que William Wyler aura à mes yeux tourné ses plus beaux films, que ce soit à travers le prisme de la fin de la Seconde Guerre mondiale (Les Plus Belles Années de notre vie), des angoisses bourgeoises (L'Héritière) ou de ses collaborations avec Bette Davis (L'Insoumise, La Lettre, La Vipère, pour ne citer qu'eux). Vacances romaines, film postérieur à tous ceux cités précédemment, s'inscrit dans un cadre différent, celui de la comédie romantique, même si la séquence finale peut se ressentir comme un électrochoc mélodramatique d'une grande amertume. L'argument, éminemment léger, presque superficiel, tient à l'émancipation d'une très jeune princesse dans les rues de la capitale italienne. À la faveur d'un instant de liberté, elle échappe à l'étouffant protocole auquel elle est soumise et s'évade incognito de son palais en même temps que de sa condition en compagnie d'un homme qui prendra soin de dissimuler sa profession, journaliste.

Pendant près de deux heures, Wyler s'amuse avec les clichés de l'enchantement d'une princesse dans les rues de Rome, en profitant du charme de ses deux comédiens, Audrey Hepburn et Gregory Peck, tous deux exquis dans leurs rôles respectifs. D'abord unis dans l'ignorance du statut de l'autre (lui prétend travailler dans l'agrochimie, elle prétexte des vacances avec ses parents), suite à une rencontre on ne peut plus fortuite, l'équilibre de la situation initiale évoluera à l'avantage du journaliste qui prend l'ascendant en découvrant par hasard le pot au rose. Tandis que le princesse Hepburn cachée derrière le pseudonyme Smitty s'extasie aux quatre coins de la ville, entre la terrasse d'un café et un site touristique, le journaliste Joe Bradley fomente un immense coup de paparazzi avec son ami photographe (avec son fameux briquet-photo et sa réplique "Joe, we can't go running around town with a hot princess!"). Mais, bien sûr, l'un comme l'autre ne resteront pas insensibles aux charmes de l'inconnu(e) récemment rencontré(e). À de nombreuses reprises, d'ailleurs, en ce qui concerne Gregory Peck, on ne saurait dire si c'est le journaliste ou l'homme sous le charme qui est en contrôle : difficile de dire si c'est son intérêt qui parle, pour capturer un maximum de clichés et d'anecdotes à faire fructifier dans les colonnes du journal le plus offrant, ou s'il lui est intimement impossible de perturber cette femme dans un tel moment de bonheur, simple, pur, et surtout tragiquement éphémère. On n'oublie pas qu'il s'agit d'un oiseau sorti de sa cage, certes dorée : à la fin, les illusions du conte de fée s'évanouissent mélancoliquement.

Wyler ne se cantonne pas à un registre unique et fait allègrement dialoguer la romance avec la comédie. Les ressorts comiques irriguent tout le film, du début à la fin, de cette partie de poker avec d'immenses sommes en jeu (jusqu'à ce qu'on apprenne qu'il s'agit de lires et non de dollars) jusqu'aux révélations / présentations en bonne et due forme dans le palais princier. Mieux encore, lorsque la princesse quitte l'appartement de son bienfaiteur et lui demande amicalement de l'argent pour la journée, la gêne de Peck sous les yeux du concierge qui croit assister au paiement d'une soirée en compagnie d'une prostituée est parfaite. Vacances romaines distille ainsi un humour très raffiné, entrecoupé par du burlesque pur jus, à l'instar de la séquence de danse sur un bateau qui se terminera par une baston générale entre police et services secrets ou celle de "la bouche de la vérité", en partie improvisée — d'où la surprise de Hepburn, sincère, à l'écran. On peut imaginer que cette composante-là aurait été absente du film réalisé par Capra, premier metteur en scène envisagé qui se désista en apprenant que le scénario provenait de Dalton Trumbo, en pleine période de maccarthysme.

cafe.jpg, sept. 2020