Vie animale (VO : We the animals) est le premier roman de Justin Torres, jeune écrivain new yorkais, traduit en français par Lætitia Devaux.

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Trois frères métis de 6 et 7 ans vivent une enfance foutoir dans un quartier de New York. Enfants d'un père portoricain et d'une mère blanche, ils apprennent à se méfier de la colère de leur père et de la confusion de leur mère. Les bribes de vie de ces 3 enfants qui sont livrés à eux mêmes nous happent très vite grâce à une narration brute de réalisme. Ces scènes de vie désarçonnantes nous sont rapportées par la voix du benjamin.

L'usage du « on » devient naturellement la meilleure façon pour l'enfant d'exprimer les sentiments collectifs de la fratrie dans laquelle sa personnalité se fond. Ce même « on » dont la répétition dès les premières pages saute aux yeux, jouant sur l'anaphore et des phrases courtes pour imprimer un rythme incisif, une langue percutante et parfois poétique.

« On en voulait encore. On frappait sur la table avec le manche de nos fourchettes, on cognait nos cuillères vides contre nos bols vides ; on avait faim. On voulait plus de bruit, plus de révoltes. On montait le son de la télé jusqu’à avoir mal aux oreilles à cause du cri des hommes en colère. On voulait plus de musique à la radio ; on voulait du rythme ; on voulait du rock. On voulait des muscles sur nos bras maigres. On avait des os d’oiseau creux et légers, on voulait plus d’épaisseur, plus de poids. On était six mains qui happaient et six pieds qui trépignaient ; on était des frères, des garçons, trois petits rois unis dans un complot pour en avoir encore. »

Pas lavés, mal nourris, les enfants avides se conduisent comme une meute, et ils transcendent leur quotidien. Ils sont énergiques, instinctifs, tempétueux. Toutes les manifestations d'affection sont de vrais moments de grâce qui tranchent avec les coups de gueules et la fureur d'une mère résignée, épuisée, et désarmée qui travaille la nuit dans une brasserie, et la dureté d'un père autoritaire dont certains comportements sont tout simplement ahurissants.

Des scènes justifient à elles seules la lecture de ce court roman de 130 pages (les repas, une leçon de natation atypique, la scène charnelle dans la salle de bain...). En quelque sorte, le récit est cousu de fil blanc car nous pressentons que le benjamin va finir par sortir de l'indistinction, et cette césure inéluctable du groupe (passage du « on » au « je ») sera violente !