within_our_gates.jpg, sept. 2020
"Can't you see that thinking would only give them a headache?"

Oscar Micheaux est l'auteur du film réalisé par un afro-américain le plus vieux qui nous soit parvenu jusqu'à présent, ce qui lui confère une importance autonome sur le plan historique et ce d'autant plus que Within Our Gates avait été pensé, déjà à l'époque, comme une réponse au très controversé Naissance d'une nation sorti 5 années plus tôt. Une thématique et des problématiques qui ne datent pas d'hier, donc. Micheaux était le fils d'esclaves affranchis et son film s'intéresse à la situation raciale aux États-Unis au début du XXe siècle, à l'époque de la renaissance du Ku Klux Klan et de la migration d'une partie de la population noire avec les villes du Nord et du Midwest.

Le plus marquant dans Within Our Gates, c'est la prolixité des thématiques abordées et des tonalités adoptées. On navigue entre différentes temporalités pour dépeindre plusieurs foyers autour d'un nombre conséquent de personnages, en alternant entre des élans mélodramatiques très classiques à l'époque et des accès de violence vraiment très surprenants — la séquence de lynchage est particulièrement marquante, et à l'origine de la censure du film en son temps. L'essentiel est focalisé sur le personnage de Sylvia Landry, une enseignante noire du Sud (accessoirement délaissée par son mari suite à un malentendu orchestré par une amie, pour la partie dramatique un peu forcée) qui se rend dans le Nord pour récolter de l'argent afin de sauver une école militant pour l'éducation des enfants pauvres victimes de la ségrégation. Dans l'envergure et dans la forme, on est bien loin de l'exigence technique d'un Griffith, c'est une certitude, mais le film contient néanmoins une part de rage très vive.

Micheaux ne fait pas vraiment dans la dentelle (comme beaucoup de mélodrames qui lui sont contemporains cela étant dit) et souhaite assez clairement choquer les consciences : il a ainsi la main un peu lourde quand il fait le portrait d'une partie de la population noire et de son désir d'ascension sociale ou quand il décrit les différences Nord-Sud à la tronçonneuse ("We find our characters in the North, where the prejudices and hatreds of the South do not exist - though this does not prevent the occasional lynching of a Negro."). "Can't you see that thinking would only give them a headache?", dira une vieille dame du Nord opposée au projet d’école dans le Sud. Il insère toutefois un personnage intéressant, celui de la protagoniste Sylvia, issue de la bourgeoisie cultivée tout en étant victime indirecte de la ségrégation. Signe mineur de nuance, il s'intéresse non seulement à certains Blancs qui ont un penchant un peu trop prononcé pour la corde au cou mais aussi à une partie de la communauté noire opportuniste qui souhaite avant tout se faire bien voir de ses maîtres blancs : c'est le cas du pasteur, qui utilise la religion pour asservir ses ouailles en les enjoignant de laisser les Blancs gérer la ville, ainsi que du serviteur extrêmement docile (et simplet) qui précipitera presque malgré lui le lynchage dont il ne sortira pas indemne.

Un film plein de maladresses et d'excès en tous genres, mais empreint d'une violence (morale, entre autres) franche qui détonne tout de même fortement dans le paysage cinématographique de l'époque.

sylvia.jpg, sept. 2020