Je m'attarde - Mot-clé - Al Pacino le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearL'Impasse, de Brian De Palma (1993)urn:md5:468960cedb29017d29892c811fa5281b2020-05-11T13:03:00+02:002020-05-11T13:17:20+02:00RenaudCinémaAl PacinoBrian De PalmaDrogueGangsterMeurtrePrisonSean PennThriller <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/impasse/.impasse_m.jpg" alt="impasse.jpg, mai 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"If you can't see the angles no more, you're in trouble."</strong></ins></span>
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<p> Rares sont les films qui conservent autant de puissance au fil du temps, et qui parviennent à maintenir un niveau d'intérêt (quand bien même l'intérêt en question aurait changé) ou un plaisir de visionnage très clair d'un bout à l'autre d'une cinéphilie qui s'étend sur tant d'années. Après tout, les sensibilités évoluent énormément au fil des rencontres humaines et artistiques, au gré des érosions, laissant peu de place aux véritables jalons indéboulonnables en ce qui me concerne. <ins>Carlito's Way</ins> (ou <ins>L'Impasse</ins>, à l'époque) faisait partie de mes films favoris à la sortie de prépa MP, et il réussit avec brio l'épreuve du nouveau regard et de la confrontation aux souvenirs, après 14 ans d'endurcissement et de boulimie cinématographiques qui ont contribué à construire bien malgré moi une carapace de peine à jouir. Dans ce dialogue avec moi-même, je suis bien le premier surpris.</p>
<p>La surprise tient aussi, en grande partie, au fait que le recul occasionné par le parcours de la filmographie de <strong>Brian De Palma </strong>permet de voir dans ce néo-noir une sorte de consécration de toutes les caractéristiques de son œuvre d'alors. Exit les tics techniques de très mauvais goût avec les doubles bonnettes ostentatoires toutes moches (elles sont toujours présentes mais on peut ne pas y prêter attention tant les coutures sont peu visibles) et les ralentis malvenus (inexistants ici me semble-t-il). Même son fétichisme pour certaines parties du corps féminin sont en sourdine ici, si l'on excepte quelques moments d'égarement au détour d'une dissertation sur le port de la mini-jupe. Sa fixette hitchcockienne devient tout à fait digeste, et la gestion des grands moments de tension est travaillée en harmonie avec le contexte. On pourrait presque y voir une volonté mineure de produire une nouvelle version (bien plus réussie) de son <ins>Scarface</ins>, dont Tony Montana serait repris à travers un personnage latino interprété par <strong>John Leguizamo</strong>.</p>
<p> Il faut reconnaître, toutes proportions gardées, l'utilisation parcimonieuse et sensée de certains effets : à commencer par la dilatation du temps, insoutenable, lors de la séquence finale dans Grand Central Station, où la tension atteint des sommets alors qu'on en connaît parfaitement l'issue. Même chose pour la première scène où Carlito sent que quelque chose ne tourne pas rond, qu'il y a anguille sous roche, avec cette nervosité grandissante et hallucinante autour d'un billard, avec une autre action bien identifiée en arrière-plan. <strong>De Palma </strong>a mis son attrait pour le kitsch légendaire en sourdine et a su alimenter une certaine flamboyance, avec tout le lyrisme que le cadre narratif exige.</p>
<p>Autre méfait de la mémoire, j'avais totalement oublié la prédominance de la mélancolie qui enveloppe le personnage d'<strong>Al Pacino</strong>, le héros tragique condamné d'avance par le double sens du titre original et bien sûr par la séquence inaugurale. Les temps ont bien changé depuis qu'il a été emprisonné : l'occasion de laisser infuser dans le sous-texte tout ce qui a trait au vieillissement, aux changements inéluctables, aux trahisons. Le film se veut assez ouvertement une longue marche funèbre, puisque la fin dramatique est donnée en introduction : de la même façon que la cocaïne a remplacé l'héroïne, on attend patiemment de voir Carlito Brigante se faire consumer par son environnement, en dépit de toute sa bonne volonté de taulard en réinsertion active.</p>
<p>La façon avec laquelle est suggérée la reprise de ses instincts, dans la façon de découper les scènes au montage, est un pur régal : entrebâillement d'une porte, un flingue caché sous la chemise, une configuration particulière des lieux, etc. La lecture qu'il a des indices perturbateurs (une ingéniosité malheureusement tout à fait vaine) nous parvient sans que rien ne soit trop souligné, et illustre très bien l'inconfort de sa position, tiraillé entre son passé peuplé de démons et son impératif de concrétiser un rêve dans un futur qu'il espère proche. Il a fait le deuil de la gloire passée (en occasionnant au passage une déconstruction de la figure du gangster) mais cela ne sera pas suffisant : le décalage total qui structure son environnement immédiat, comme s'il était en retard sur son époque et n'avait jamais su le rattraper, comme s'il était devenu un étranger sans en avoir pleinement conscience, aura raison du reste. Il ne voit plus les angles morts.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/impasse/.duo_m.jpg" alt="duo.jpg, mai 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Impasse-de-Brian-De-Palma-1993#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/773Cruising, la chasse, de William Friedkin (1980)urn:md5:f74116405a12731e09dd1aa53f3418082019-05-06T10:42:00+02:002019-05-06T12:58:26+02:00RenaudCinémaAl PacinoHomosexualitéIdentitéIncertitudeThrillerWilliam Friedkin <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.cruising_m.jpg" alt="cruising.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="cruising.jpg, mai 2019" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"There’s a lot about me you don’t know."</strong></ins></span>
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<p>Étrangement, il ne me semble pas que le film ou même les milieux décrits dans le film aient vraiment vieilli — sous entendu, mal vieilli : les années 80 se flairent quoi qu'il en soit à des kilomètres. Au contraire, à mes yeux, <ins>Cruising</ins> renvoie une image très nette de cette décennie, avec une myriade de symboles, de styles, de préoccupations thématiques et esthétiques. Tout est resté intact. Je rejetterais les accusations d'homophobie dont le film a fait l'objet ici ou là, bien que je ne sois pas le mieux placé pour en parler, car dès l'introduction du contexte de la mission d'<strong>Al Pacino</strong> on nous signale bien le fait que le milieu dans lequel le protagoniste va devoir s'infiltrer n'a rien de la communauté homosexuelle "traditionnelle", mais est plutôt porté sur des pratiques SM qui n'ont rien de représentatif. J'y vois là un signe manifeste de la part de <strong>Friedkin</strong>, une sorte de gage pour précisément éviter ces accusations... Peine perdue.</p>
<p>On peut croire dans un premier temps à une banale enquête policière, dans un contexte social certes particulier, mais cela aurait été bien mal connaître <strong>Friedkin</strong> et ses petites lubies. Faux sujet, faux thriller. Tout cela est progressivement mis de côté, un prétexte tout au plus, pour se focaliser sur le portrait de plus en plus ambigu de <strong>Pacino</strong> en immersion, en plein questionnement existentiel (et pas uniquement sexuel). On peut assez facilement voir dans la traque du tueur une quête introspective du flic, le véritable enjeu au centre du film.</p>
<p>Ce qui est tout aussi appréciable, à un autre niveau, c'est la façon relativement subtile dont sont disséminés plusieurs faux indices, comme autant de vrais symboles. Je ne les ai probablement pas tous recensés, mais l'ensemble forme une toile de fond intrigante, qui se densifie et se complexifie au cours du temps. Il y a bien sûr les "évidences" de fin de film, avec le meurtre de son ancien voisin et les habits (les mêmes que portait le probable tueur) qu'il a conservés, témoignant l'instabilité de son état. Mais il y a bien plus que cela, et de nombreuses questions essaimées tout au long de <ins>Cruising</ins> resteront en suspens. Pourquoi l'assassin, quand il est filmé de manière directe mais partielle, semble-t-il constamment changer de visage, parfois presque d'une scène à l'autre ? Pourquoi <strong>Pacino </strong>semble-t-il s'être trompé en mettant un foulard jaune dans sa poche arrière (signification : donneur ou receveur de golden shower), alors qu'il venait de demander au commerçant le sens de ces foulards de couleur ? Son "<em>there’s a lot about me you don’t know</em>" final entretient savamment le doute. Ce faisceau d'indices un peu flous tant sur la personnalité du personnage que sur les motivations du film construit une belle incertitude.</p>
<p>Loin des préoccupations hypothétiquement documentaires (ce dont je doute), et au-delà de l'absence de jugement moral (qui me paraît sincère, encore une fois), <strong>Friedkin</strong> esquisse une continuité dans la transmission du mal et dans le caractère contagieux de la perversion qui donne à <ins>Cruising</ins> une couleur presque fantastique.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.flics_m.jpg" alt="flics.jpg" title="flics.jpg, mai 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.porche_m.jpg" alt="porche.jpg" title="porche.jpg, mai 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.escaliers_m.jpg" alt="escaliers.jpg" title="escaliers.jpg, mai 2019" />
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