Je m'attarde - Mot-clé - Disparition le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearAnother Sky, de Gavin Lambert (1954)urn:md5:853107bfedffd0955f9cb0a56eff48f52023-06-05T10:41:00+02:002023-06-05T09:46:17+02:00RenaudCinémaAfriqueDisparitionDésertEmigrationMarocMarrakechMélancolieRomanceRoyaume-UniSexeSolitude <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/another_sky/.another_sky_m.jpg" alt="another_sky.jpg, mai 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Romance et désert</strong></ins></span>
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<p>Très belle évocation d'une solitude, celle d'une jeune femme britannique au contact d'une culture nord-africaine — l'histoire de Rose Graham ne sera jamais circonscrite à un cadre précis, géographique ou temporel, de telle sorte que le sentiment d'errance de la protagoniste dans un pays indéterminé et à une époque indéterminée participe activement à l'ambiance vaporeuse générale et traverse très naturellement l'écran. <ins>Another Sky</ins> se présente sous la forme de réminiscences partagées à la faveur d'un flashback, dans une tradition romantique caractéristique du cinéma des années 1950, Rose déroulant peu à peu les raisons qui l'ont poussée à émigrer et les conditions qui l'ont conduite à se retrouver dans cette situation. Le premier plan, qui est en réalité structuré en écho avec le tout dernier, ne sera compréhensible qu'à la toute fin, après un long parcours épousant la trajectoire d'une mélancolie amoureuse sinueuse.</p>
<p>Il faut dire, je le concède, que <strong>Victoria Grayson </strong>(quasiment inconnue) a réussi à composer un personnage très attachant et charmant au travers de cette Anglaise prude de nature, rapidement intimidée par les coutumes locales dans les environs de la maison qui l'emploie comme gouvernante — vestige des protectorats dont la fin fut annoncée en 1956, peu de temps après la sortie du film. C'est en ce sens un film dont le parfum est manifestement désuet, avec cette voix off — tout à fait justifiée et bien intégrée ici — racontant de manière particulièrement mélancolique le contenu d'un drame sentimental et ces dialogues / interprétations pas toujours très adroits, mais dont la désuétude constitue un charme puissant. Ou un puissant repoussoir, bien sûr... La faiblesse du budget qu'on peut deviner n'empêche en rien <strong>Gavin Lambert </strong>(dont ce sera l'unique réalisation) de déployer une mise en scène très à propos en direction d'une rêverie évocatrice.</p>
<p>Plutôt que de rester dans les environs occidentalisés de son lieu de travail, Rose préfère aller se perdre dans les ruelles de Marrakech, ce qui donne l'occasion de rencontrer de nombreux artistes, musiciens, danseurs et charmeurs de serpents. De ce point de vue-là le film semble 20 ans en avance sur son temps, avec une approche très particulière de la découverte de l'étranger. La chaleur de la région et le côté mystérieux de nombreux aspects de la culture locale ont tôt fait d'alimenter une ambiance très originale et très étonnante pour l'époque, avec une sorte de récit d'apprentissage basé sur un éveil à la sexualité. Après une rencontre marquante et une disparition soudaine, le récit s'embarque dans une quête presque surréaliste dans son dernier tiers, à travers un désert et sa traversée dont la portée symbolique est incroyable. On sort du film comme la jeune femme de ses souvenirs, au bord de la folie romantique (elle se déclare comme morte, symboliquement), comme d'un rêve étrange qui nous enveloppe de son voile envoûtant. Ce portrait d'un éveil sentimental autant que sexuel croisé avec celui du Maroc des années 50 est fascinant.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/another_sky/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, mai 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/another_sky/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, mai 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Another-Sky-de-Gavin-Lambert-1954#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1157Keane, de Lodge Kerrigan (2005)urn:md5:33ed40215504aadba8904a93139ec0d02023-05-15T09:54:00+02:002023-05-15T08:55:17+02:00RenaudCinémaAngoisseDisparitionErranceMontageNew YorkPeurSteven Soderbergh <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/keane/.keane_m.jpg" alt="keane.jpg, avr. 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Essai sur les effets de montage</strong></ins></span>
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<p>Une fois absorbée la surprise de la découverte des enjeux, absolument tout dans <ins>Keane</ins> repose sur les épaules de son interprète principal, l'acteur britannique <strong>Damian Lewis</strong>, et de l'appréciation de son jeu découle presque intégralement l'appréciation du film. Toute l'intrigue se déroule avec une caméra collée au plus près de son errance, celle d'un père qui semble avoir perdu sa fille et qui la recherche désespérément dans les rues et les souterrains de New York.</p>
<p>Le cadre des actions que l'on nous montre est laissé volontairement flou, on ne sait pas exactement combien de temps s'est déroulé depuis la disparition, et la santé mentale du protagoniste éponyme n'est pas beaucoup plus claire. On voit bien qu'il est en souffrance, mais on ne sait pas vraiment jusqu'où s'étend sa condition psychiatrique. Il est à noter que j'ai vu la version de <strong>Steven Soderbergh</strong>, réduite d'une dizaine de minutes par rapport à la version originale, et dont le montage altéré introduit apparemment un doute supérieur par rapport à la version originale : dans cette perspective, l'introduction laisse là aussi sciemment une zone d'incertitude quant aux raisons des pérégrinations de cet homme. Ce pourrait être un "fou", un toxico, un tueur en quête d'une victime : là où l'objectif du père est révélé dès les premières minutes dans le montage d'origine, il faut attendre près d'une demi-heure pour comprendre de manière certaine l'objet de la peine de cet homme — quand bien même cette peine restera incertaine à la fin du film, tant l'hypothèse d'une folie hallucinatoire reste présente dans les dernières minutes.</p>
<p>Le film aurait été très lourd et éprouvant dans ses partis pris assumés jusqu'au bout s'il ne s'était pas concentré, à partir d'un moment, sur la rencontre avec une femme et sa fille — qui forcément rappelle au protagoniste la sienne. D'un coup, toutes les séquences qu'on a vues dans lesquelles il arpentait des rues, des centres commerciaux, des couloirs de métro et des quais de gare deviennent un potentiel pour une action toute autre, comme si en un instant sa folie tragique pouvait se transformer en une autre forme de tragédie, c'est-à-dire un autre kidnapping. On oscille ainsi entre désespoir et angoisse à de multiples niveaux, tout en évitant soigneusement les écueils faciles d'un cinéma misérabiliste et minimaliste (on voit bien comment on aurait pu dériver vers le masochisme social désagréable d'un film à la <strong>Dardenne</strong>). Même si les dernières séquences procurent quelques frissons, filmer un personnage obsessionnel prisonnier de sa quête (dans ce qu'on pourrait appeler une expérience saisissante de 1h30) me semble montrer moins d'intérêt, a posteriori, que de mettre en scène un film sur l'obsession à proprement parler.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/keane/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, avr. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/keane/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, avr. 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Keane-de-Lodge-Kerrigan-2005#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1152Madre, de Rodrigo Sorogoyen (2019)urn:md5:ed98a37870a547b7facd4871ad4a56f22021-02-10T18:15:00+01:002021-02-10T18:18:43+01:00RenaudCinémaDisparitionEnfanceLandesMaternité <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/madre/.madre_m.jpg" alt="madre.jpg, janv. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Courtes focales en plans-séquences<br /></strong></ins></span></div>
<p>Beaucoup de partis pris de mise en scène développés par <strong>Rodrigo Sorogoyen </strong>peuvent paraître excessifs, surtout au terme d'un voyage de deux heures ancré sur la côte atlantique des Landes qui revendique aussi frontalement son systématisme technique — et dont courte focale et plan-séquence sont manifestement les maîtres-mots. On pourrait s'arrêter au sensationnalisme du quart d'heure introductif (un court-métrage du même nom, à l'origine) qui tord les boyaux à peu de frais en jouant sur la tension générée par une peur basique de parents, la perte d'un enfant. Le bruit du ressac permanent, aussi, comme la continuation ininterrompue d'une souffrance se rappelant sans cesse à cette femme (bouleversante <strong>Marta Nieto</strong>) qui tente de se reconstruire précisément sur les lieux de la disparition de son enfant, peut finir par user les sens. Quelques ingrédients psychologisants de trop, quelques dialogues maladroits, regrettables eux aussi.</p>
<p>Pourtant, de l'autre côté de l'ellipse qui sépare le court-métrage de <strong>Sorogoyen </strong>de 2017 de la suite offerte par cette version longue de <ins>Madre</ins>, il y a un portrait de femme vraiment bouleversant. Sur cette plage des Landes, dix ans après la disparition qui restera mystérieuse et non-élucidée, Elena est une mère endeuillée qui se reconstruit après la perte d'un enfant. Le sujet est bien traité, avec la bonne distance, la bonne dose d'incertitude (pour le personnage tout comme à l'extérieur de la diégèse), les bonnes zones de flottement aux bons moments. Après l'introduction qui foudroie, le film s'oriente vers la douceur d'une quête éperdue, celle d'une femme évoluant dans un univers presque vaporeux, à la poursuite d'illusions bénignes en apparence.</p>
<p><strong>Sorogoyen </strong>parvient à jouer sur la thématique de l'ambiguïté et du malaise, dans la relation qui se noue entre la mère et cet enfant qu'elle pense être le sien, avec une certaine dextérité, sans en faire trop. L'asymétrie des intérêts dans cette relation est le moteur de la narration, avec d'un côté un enfant de substitution et de l'autre une femme qui ne ressemble à aucune autre. En creux, la question de la réciprocité extrêmement troublante d'un amour difficilement descriptible. Immensité de la plage, immensité de la mer, immensité de la douleur. Rien ne viendra éclairer les circonstances du drame : en découle un voile pudique sur le drame passé qui enferme peut-être davantage la protagoniste dans sa solitude. <strong>Marta Nieto</strong>, dans le rôle de cette mère blessée transformée en animal sauvage, sur la route du pardon, en écho à une sensibilité déchirante, est inoubliable.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/madre/.plage_m.jpg" alt="plage.jpg, janv. 2021" />
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Madre-de-Rodrigo-Sorogoyen-2019#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/898Les Étendues imaginaires, de Yeo Siew Hua (2018)urn:md5:c01e4c41a4f4cecacd9ea4bbb926087c2019-06-23T12:19:00+02:002019-06-23T11:39:59+02:00RenaudCinémaDisparitionEnquête policièreNuitOnirismeSingapour <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/etendues_imaginaires/.etendues_imaginaires_m.jpg" alt="etendues_imaginaires.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="etendues_imaginaires.jpg, juin 2019" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Voyage halluciné au bout de la nuit</strong></ins></span>
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<p>Pendant un petit moment, au début du film, on croit avoir une prise sur un scénario aux contours bien définis, en l'occurrence une enquête policière menée par un flic hagard sur la disparition d'un ouvrier sur son chantier. Peu à peu, quelques éléments mystérieux se glissent dans le champ. D'abord quelques scènes vaguement oniriques. Puis une scène rassemblant deux temporalités dans le même mouvement, avec dans le premier plan le flic dans son enquête en cours, et dans l'arrière plan, après une longue mise au point et un lent zoom avant, le personnage qu'il est censé rechercher : il s'agit donc d'un flashback, illustrant le moment où il s'est blessé, le début de ses pérégrinations. Suite à cela, <ins>Les Étendues imaginaires</ins> n'aura de cesse d'entretenir le doute sur la temporalité ou le niveau d'abstraction dans lequel on se situe.</p>
<p>Évidemment, avec un tel parti pris nous laissant très vite flotter dans un magma narratif flou et incertain, l'expérience est déroutante. Formellement, il n'y a pas grand chose à dire tant <strong>Yeo Siew Hua </strong>a soigné l'ambiance générale et en particulier celle qui règne dans la salle de jeux, avec tous ces ordinateurs, casques, souris et claviers arborant des lumières oscillantes à la limite de l'irréel. Ce lieu sera d'ailleurs le seul point commun entre les deux personnages principaux, l'enquêteur et l'ouvrier blessé, achevant de consacrer la dimension mixte du film, entre réalisme et onirisme. Même s'il n'est pas irréprochable sur bien des effets, on ne peut pas lui enlever ce côté envoûtant, pour peu qu'on se prête au jeu. Un peu comme chez <strong>Bi Gan</strong>, il faut parfois savoir lâcher prise et se laisser aller au gré du courant flou, se laisser flotter sur la toile d'un réseau scénaristique non-conventionnel.</p>
<p>On repère quelques excès un peu gênants essaimés par-ci par-là, peut-être la marque des premiers films, avec par exemple cette dernière scène un peu trop frontalement ouverte, comme un appel à l'imagerie de <ins>Mulholland Drive</ins> et tous ses questionnements identitaires. Mais <ins>Les Étendues imaginaires</ins>, d'une certaine façon, fait une proposition de cinéma hybride assez forte, comme un polar vaporeux au bord du cauchemar, le long d'un trip hallucinatoire. Quelques complications excessives, quelques ellipses en trop, et une certaine prise de risque qui fait défaut quand il s'agit de dépeindre l'envers du décor social au-delà du miracle économique singapourien, avec l'exploitation de ces ouvriers immigrés qui en constitue la face sombre. Importer du sable étranger pour gagner quelques mètres par an sur l'océan, comme une lutte acharnée et futile, comme des étendues imaginaires explorées au terme d'un voyage halluciné.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/etendues_imaginaires/.rue_m.jpg" alt="rue.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="rue.jpg, juin 2019" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Etendues-imaginaires-de-Yeo-Siew-Hua-2018#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/659Gone Girl, de David Fincher (2014)urn:md5:da764b5a715c7a34fdd94e30bac90c252014-10-19T16:04:00+02:002014-10-19T23:46:45+02:00RenaudCinémaCoupleDavid FincherDisparitionEnquête policièreEtats-UnisJusticeMariage <div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gone_girl/.gone_girl_usa_m.jpg" alt="gone_girl_usa.jpg" title="gone_girl_usa.jpg, oct. 2014" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gone_girl/.gone_girl_fr_m.jpg" alt="gone_girl_fr.jpg" title="gone_girl_fr.jpg, oct. 2014" /><br /> <em>Affiches américaine et française du film.</em></div>
<div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>Le culte de la transparence, l’opacité des apparences</strong></ins></span></p>
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<p>Elle et lui, Amy et Nick : la caméra n’a d’yeux que pour eux. <strong>Rosamund Pike</strong>, actrice invisible dans tous ses films (dernière confirmation en date, le pénible <ins>What We Did on Our Holiday</ins> aux parfums écossais) qui crève subitement l’écran sous la direction de <strong>David Fincher</strong>. Et <strong>Ben Affleck</strong>, acteur transparent qui s’améliore, indéniablement. Tout commence comme l’un de ces contes de fées dont raffolent les médias américains : un journaliste natif du Missouri charme une écrivaine new-yorkaise, une histoire à l’eau de rose comme on en a déjà vu cent. Une rencontre filmée de manière on ne peut plus traditionnelle qui rappelle la rupture entre <strong>Jesse Eisenberg </strong>et <strong>Rooney Mara</strong>, filmée en introduction de <ins>The Social Network</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/The-Social-Network-de-David-Fincher-2010">lire le billet</a>). Le couple roucoule gentiment et s’installe dans la ville du mari avant que le titre du film ne prenne son sens. Un jour, Amy disparaît.</p>
Une heure durant, la caméra de <strong>Fincher </strong>traque Nick et observe méticuleusement ses faits et gestes. Elle resserre progressivement l’étau autour de celui que tout accuse. C’est un meurtre presque acté tant les détails l’incriminant abondent : seul le corps fait défaut. La victime est un symbole de perfection, irréprochable aux yeux des télévisions devant lesquelles le mari, un peu maladroit, semble incapable de jouer le jeu des larmes que tous attendent. Les talents de conteur du réalisateur transpirent de ce premier récit, à travers un montage parallèle sous forme de flashbacks maintenant Amy à l’écran. Son journal intime explique le déroulement des épisodes précédents alors que l’enquête progresse dans un habile mélange de passé et de présent. Puis, tout à coup, tout bascule, à l’image de ces anamorphoses picturales qui se déforment et changent totalement de sens par simple déplacement du regard. Faux suspense et faux twist (“Qu’est-il arrivé à Amy ?”, “Qui est le coupable ?”), ce n’est que le deuxième temps d’une valse qui en comptera trois. <br /><p>Comme souvent chez <strong>Fincher</strong>, le récit progresse de manière logique et mécanique : procédures et micro-enquêtes, dispositifs décrits de manière clinique et énigmes à double fond… une tension qui va crescendo en intensité, jusqu’au vertige, et qui s’articule autour d’une inconnue. Le réalisateur tape-à-l'œil de <ins>Fight Club</ins> a clairement délaissé cette esthétique de publicitaire pour quelque chose de plus mature, comme l’ont déjà démontré <ins>Zodiac</ins> et <ins>The Social Network</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/The-Social-Network-de-David-Fincher-2010">envie de le relire ?</a>). Jamais le vocabulaire technique de la mise en scène de <strong>Fincher </strong>n’aura trouvé de résonance aussi forte avec son sujet : la soif insatiable de transparence du monde médiatique contemporain ne produit, paradoxalement, qu’opacité, illusion, et réversibilité des vérités et de l’opinion. Des apparences fondamentalement trompeuses, bien sûr, mais aussi et surtout monnayables (lire la critique de Senscritchaiev à ce sujet : <a title="http://www.senscritique.com/film/Gone_Girl/critique/39736023" href="http://www.senscritique.com/film/Gone_Girl/critique/39736023">lien vers la critique</a>).</p>
Dommage que le plaisir cynique avec lequel <strong>Fincher </strong>décrit notre époque, cette façon stupide de relayer la moindre rumeur et de s’en tenir effrontément aux apparences, tourne à vide très rapidement. Ou, du moins, sur des sentiers largement balisés par le cinéma critique de ces quarante dernières années, de <strong>Sidney Lumet</strong> à <strong>David Cronenberg</strong> en passant par <strong>Peter Weier</strong>. Peut-être manque-t-il un point d’appui un peu plus profond ou plus mystérieux (plus intéressant ?) que l’évidente métaphore du mariage comme enfer consenti. <strong>Fincher</strong>, à l’inverse, cherche à tout expliquer et à verrouiller toutes les pistes, non sans humour et ironie (tous deux féroces). Un scénario trop écrit, trop sophistiqué, trop sûr de ses effets et de ses réponses qui empêche la mise en scène de <strong>Fincher</strong>, toujours impériale et virtuose, de se déployer entièrement. Il est cependant amusant de constater comment ce qu’on croyait être des défauts d’écriture du scénario se transforment (pour certains) en défauts de l’enquête policière, et donc autant d’éléments à charge contre la justice américaine.<br /><br />Si l’on oublie ses petit défauts, <ins>Gone Girl</ins> se savoure avec délectation. On rit devant cette guerre des images que se livrent les deux ex-tourtereaux, et on pleure devant ces médias et autres réseaux sociaux qui construisent un monde en accord avec nos désirs et qui, in fine, fabriquent de la pathologie ordinaire.<br /><br /><img title="missing.jpg, oct. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="missing.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gone_girl/.missing_m.jpg" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Gone-Girl-de-David-Fincher-2014#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/258