Je m'attarde - Mot-clé - Dogme le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLa Déesse, de Satyajit Ray (1960)urn:md5:fb56431ce00374b4caed400ddbcd45822021-12-18T17:28:00+01:002021-12-18T17:28:00+01:00RenaudCinémaDogmeFanatismeObscurantismeReligionSatyajit RaySpiritualitéSuperstition <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/deesse/deesse.jpg" alt="deesse.jpg, nov. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Le poids de la croyance<br /></strong></ins></span>
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<p>Le cinéma de <strong>Satyajit Ray</strong>, peut-être de par l'exotisme de ses références culturelles ou les perspectives adoptées imposant un pas de côté à l'œil occidental, est sans doute un de ceux au sein desquels je tolère et apprécie le plus naturellement de tels contes moraux. Le cadre est celui du Bengale au début du XIXe siècle, à l'intérieur d'une demeure luxueuse semblable à celle dans <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Salon-de-musique-de-Satyajit-Ray-1958"><ins>Le Salon de musique</ins></a> et où on retrouve également <strong>Chhabi Biswas</strong>, ici dans le rôle d'un riche et très respecté seigneur. Grand adorateur de la déesse Kali, un jour, sa jeune bru lui apparaît en rêve comme une réincarnation divine, déclenchant ainsi un vaste mouvement de vénération à travers la région tout entière. Une population conséquente défilera devant la divinité pour recevoir autant de bénédictions, jusqu'au jour où le dogmatisme religieux entrera en conflit avec le pragmatisme d'une situation dramatique.</p>
<p>Drôle de correspondance avec le film de <strong>Preminger </strong>vu récemment, <ins>Le Cardinal</ins>, qui voyait <strong>Tom Tryon </strong>en catholique convaincu mais sujet au doute passager, et surtout confronté aux limites de la croyance religieuse dans la gestion de diverses thématiques plus ou moins prosaïques — de la mort de sa sœur suite à un refus d'avortement jusqu'à l'avènement du nazisme en Autriche. <strong>Ray </strong>quant à lui dépeint avec une grande subtilité les fondations périlleuses d'une société patriarcale, en proie à des dogmes religieux aux conséquences dramatiques. Dans un premier temps, la révélation nocturne du beau-père est une bénédiction pour la belle Doya, vénérée du jour au lendemain comme une déesse et incarnation de Kali. Une statue humaine, figée au sein d'un décor de tissus luxueux et de fumées d'encens. Peu à peu, le renoncement contraint de son humanité d'être mortel alimentera une crise identitaire profonde qui conduira, dans une seconde partie, à une tension intenable.</p>
<p><ins>La Déesse</ins> explore avec beaucoup de tact le conflit latent entre liberté individuelle et fanatisme spirituel, pour un discours dont on n'a aucun mal à saisir la part de subversif — sans avoir à effectuer un voyage dans le temps 60 ans en arrière. Non pas le procès de la religion bien sûr, mais celui de l'obscurantisme et des conséquences des inégalités sociales : dislocation familiale, mortalité infantile, ou encore désintégration psychologique. <strong>Ray</strong> peut ainsi se voir dans cette thématique comme le pendant hindouiste de <strong>Buñuel </strong>vis-à-vis du christianisme. Indépendamment de ces considérations-là, on peut se contenter de la tragédie qui se noue lorsque le miracle est censé survenir, déclenchant la propagation d'une rumeur qui traversera le pays et reviendra frapper à la porte de la malheureuse, victime du poids de la superstition et de la dévotion aliénante. </p>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Deesse-de-Satyajit-Ray-1960#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1015Jour de colère, de Carl Theodor Dreyer (1943)urn:md5:61a1eca5c515064a5274c09fc4235ec22020-04-05T00:38:00+02:002020-04-04T23:44:29+02:00RenaudCinémaBûcherCarl Theodor DreyerDogmeEgliseInquisitionSorcellerieSouffrance <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jour_de_colere/.jour_de_colere_m.jpg" alt="jour_de_colere.jpg, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Rien n'est plus paisible qu'un cœur qui a cessé de battre."</strong></ins></span>
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<p><ins>Jour de colère</ins> commence un peu comme se terminait <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Passion-de-Jeanne-d-Arc-de-Carl-Theodor-Dreyer-1928"><ins>La Passion de Jeanne d'Arc</ins></a> 16 ans plus tôt, à savoir le procès en sorcellerie d'une femme dont l'obtention des aveux se fera dans une grande douleur. Si l'austérité formelle et narrative (c'est le moins qu'on puisse dire) caractérise aussi bien l'un que l'autre, la comparaison s'arrête là car ici cette exécution constituera un point de départ et non un point final.</p>
<p>Dans un cadre extrêmement rigoriste, <strong>Dreyer </strong>s'intéresse au foyer du pasteur Absalon dans un village danois du 17ème siècle, structuré autour de plusieurs pôles : sa mère Merete, sa femme et seconde épouse Anne, et son fils Martin issu d'un premier mariage, qui bouleversera l'équilibre relatif de la demeure à l'occasion de son retour, au même titre que la vieille Marte expiée de ses péchés par le feu en introduction. Au creux d'un récit âpre, lent, sec, froid, le caractère méthodique et décharné de la progression se verra toutefois régulièrement bouleversé par des séquences d'une très grande puissance émotionnelle.</p>
<p>Si l'on peut difficilement contester le fait que le film soit tout entier gouverné par une tonalité parmi les plus dures et les plus dépouillées qui soient, cela ne signifie pas nécessairement que l'émotion en soit exclue. Bien au contraire : quelques temps forts articulent solidement le récit, en brisant la dimension monotone et l'austère des échanges sur le sacré, et lui confèrent un rythme tout aussi indéniable.</p>
<p>C'est d'abord le sort de Marte, qui demande pardon à genou et en pleurs, moment terrible, qui révèle une part sombre du passé d'Absalon, et qui finira au bûcher en emportant avec elle ce secret au-delà de la séance de torture qui aboutit à sa confession.<br />
C'est ensuite cet instant lumineux et bucolique, cette parenthèse poétique enchantée au cours de laquelle Anne s'enfuira avec son amant l'espace de quelques scènes en forêt, dans les champs, en profitant des seuls rayons de soleil et des seuls courants d'air qui traverseront le film. L'espace d'un instant, c'est comme s'ils renouaient avec un Paradis perdu.<br />
C'est enfin ce dernier segment, glaçant, qui se terminera sur la procession funéraire d'enfants devant un cercueil, avec le geste accusateur terrible de la mère Merete et le renoncement in extremis du fils Martin quant à ses engagements.<br />
Il en résulte une peinture du dogme et de l'aveuglement, sur le chemin de l'idéal de pureté, entre intégrisme religieux, égoïsme et intolérance, construisant par petites touches successives le portait d'une souffrance et d'un mal terrifiant.</p>
<p>Étonnamment donc, les émotions et les sentiments sont omniprésents dans <ins>Jour de colère</ins>, latents, prêts à sourdre comme <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Source-de-Ingmar-Bergman-1960"><ins>La Source</ins> </a>de <strong>Bergman</strong>. Cela relèverait presque d'un symbolisme scandinave. Autant de passions, divergentes en soi, mais également soulignées par un travail de contraste permanent. À l'image du visage d'Anne, saisi au vif à de nombreuses reprises, comme emprisonné dans des clairs-obscurs sublimes.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jour_de_colere/.cercueil_m.jpg" alt="cercueil.jpg, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Jour-de-colere-de-Carl-Theodor-Dreyer-1943#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/754La Passion de Jeanne d'Arc, de Carl Theodor Dreyer (1928)urn:md5:68927d15bc3de49aaa0d53e19b823af92017-06-26T11:57:00+02:002017-06-26T12:26:01+02:00RenaudCinémaAliénationCarl Theodor DreyerDogmeEgliseHistoireJeanne d ArcSouffranceVisage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/passion_de_jeanne_d_arc/.passion_de_jeanne_d_arc_m.jpg" alt="passion_de_jeanne_d_arc.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="passion_de_jeanne_d_arc.jpg, juin 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>L'aliénation du dogme et la prison de l'indicible<br /></strong></ins></span></p>
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<p>Le personnage de Jeanne d'Arc ne fait pas partie de ceux que je trouve fondamentalement et directement passionnants dans l'Histoire de France, mais même en prenant en compte ces considérations édulcorantes, le regard que Dreyer porte (et celui qu'il capte... on ne s'en remet pas) sur un fragment de son existence m'aura offert une des visions les plus tranchantes sur la souffrance intérieure, sur la folie multiple et l'aveuglement à plusieurs niveaux.</p>
<p>Bon sang, d'emblée, comment ne pas se retrouver prisonnier du piège tendu par une telle mise en scène, comme coincé dans le cadre étroit... Au centre de ce tableau mouvant, les yeux de <strong>Maria Falconetti </strong>n'ont pas fini de me hanter. C'est tétanisant, sidérant, au sens propre de la sidération, l'anéantissement subit des forces vitales. C'est une œuvre remarquablement travaillée, du travail de l'artisan, au contenu mis en valeur à l'aide d'une succession quasi-exclusive de gros plans, de champs-contrechamps, et de plongées-contre-plongées aux effets affinés. C'est le dénuement le plus total, touchant à une forme de pureté dans le fond comme dans la forme : un procédé qui génère une atmosphère unique. Et on est en 1928.</p>
<p>J'aime beaucoup le parti pris de la fenêtre historique choisie, très resserrée : aucune référence (visuelle) aux combats qui ont forgé la légende ici et ailleurs, l'enjeu se trouve en l'occurrence dans le procès (aux contours très particuliers, avec des aléas qui laissent respirer ou au contraire font suffoquer) et dans l'affrontement entre deux grandes figures de l'aveuglement, entre deux croyances. Point de destin grandiose ici, uniquement un dialogue de sourds épuré et magnifié comme on peut difficilement l'imaginer. Un titre qui rappelle évidemment un autre morceau historique, un autre mythe autour de l'incompréhension : d'un côté, la haine des Pharisiens, et de l'autre, ici, l'humiliation de l'Église. La haine naît de l'incompréhension, semble-t-il réciproque, même si elle ne se traduit pas dans les mêmes termes. Des termes qui eux ne sont absolument pas réciproques, les rapports de force n'étant pas vraiment équilibrés. Les barreaux des prisons respectives ne sont en outre pas fait du même matériau : Jeanne est enfermée dans le registre de l'indicible, l'Église dans celui de son dogme.</p>
<p>Et pour illustrer cette méditation, des décors dépouillés, quasi inexistants. Il n'y a presque que des visages dans <ins>La passion de Jeanne d'Arc</ins>, des regards, pétris de menaces ou de faiblesses. Une lenteur obsessionnelle, une blancheur éclatante. Et cette souffrance, bon sang, je ne l'avais jamais ressentie comme ça. C'est littéralement extraordinaire. Le tout se termine dans un fracas apocalyptique, le bûcher comme une apothéose, entouré par la folie qui parcourt la foule et qui sera sévèrement réprimée. Des images impressionnantes d'un point de vue purement graphique, incandescentes et terriblement marquantes. Au-delà de la complexité du message, et, surtout, au-delà de sa transmission de manière non-verbale, le caractère muet du film s'efface devant son éloquence et son ampleur.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/passion_de_jeanne_d_arc/.regard_m.jpg" alt="regard.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="regard.jpg, juin 2017" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Passion-de-Jeanne-d-Arc-de-Carl-Theodor-Dreyer-1928#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/421