Je m'attarde - Mot-clé - Esthétique le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearÉcrits fantômes : Lettres de suicides (1700-1948), de Vincent Platini (2023)urn:md5:54d0a93d0ae6b7f7e6f53c9afa99f8732024-02-01T17:22:00+01:002024-02-01T17:26:29+01:00RenaudLectureEsthétiqueLettreMortSuicide <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/ecrits_fantomes.jpg" title="ecrits_fantomes.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.ecrits_fantomes_m.jpg" alt="ecrits_fantomes.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Exploration de la littérature "thanato-épistolaire"</strong></ins></span>
</div>
<p><ins>Écrits fantômes</ins> traite d'un sujet peu commun et selon une méthode tout aussi originale : les lettres de suicide chez le commun des mortels, éloignées des écrits célèbres et publiés, fruit d'un travail de recherche s'étalant sur plusieurs années à fouiller diverses archives françaises et à trouver le bon angle d'attaque pour synthétiser, agencer et présenter les résultats. Il est par exemple parfaitement clair que <strong>Vincent Platini</strong> cherche à tout prix à éviter la fascination morbide, façon cabinet de curiosité, et à respecter les familles et les descendants — ce pourquoi les lettres datant de moins de 75 ans ont été anonymisées. Selon une dizaine de cercles thématiques qui n'interdisent pas les zones de recouvrement, l'ouvrage parcourt de nombreux documents et d'aussi nombreuses situations qui ont poussé des hommes et des femmes à mettre fin à leurs jours (ou, parfois, à tenter de le faire) sur une période allant de 1700 à 1948.</p>
<p><strong>Platini </strong>donne très peu d'informations en préambule de son travail, à dessein, pour ne pas écraser le sens des lettres avec une lecture prédéterminée : il faudra attendre la fin du livre (voire écouter des émissions comme celle-ci : <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poesie-et-ainsi-de-suite/lettres-de-suicide-se-reinventer-in-extremis-3913600">lien France Culture</a>) pour comprendre comment les données ont été agrégées, quelles pistes de réflexion ont été suivies. C'est très volontairement qu'il n'indique pas comment il faut s'y prendre pour appréhender le contenu, si ce n'est "le respect des souffrances les attentions de la lecture" que ces écrits méritent. On se familiarise cependant assez vite avec les différents registres : chaque lettre est précédée d'une contextualisation plus ou moins extensive en fonction des éléments dont on dispose, à l'intérieur de chaque thème on suit un classement chronologique, et les écrits sont soit des retranscriptions de sources primaires soit des rapports de police qui avaient au moment des faits recopié leur contenu. Fait notable, presque primordial : <ins>Écrits fantômes</ins> conserve les graphies phonétiques des lettres de suicides, avec toutes les fautes et toutes les ratures révélant leur part du contexte (avec quelques reproductions des documents originaux), ainsi que des indications concernant les supports — le beau papier à l'intérieur d'une enveloppe cachetée, la feuille de brouillon froissée, les différentes mentions des autorités qui ont collecté les preuves. Un travail d'orfèvre et de pionnier sur un sujet peu étudié, pour ne pas dire occulté.</p>
<p>Ainsi se plonge-t-on dans la vie d'inconnus ayant pris la plume pour un ultime message, autant de scripteurs se déclarant auteurs de leur mort. <strong>Platini </strong>parle d'objets appartenant à une "littérature thanato-épistolaire" qui mettent en scène un suicide pour donner à ces derniers instants une certaine esthétique. Il est souvent question du destinataire à qui on s'adresse, et parfois, de manière détournée et déterminée, à qui on ne pense pas, explicitement (en rédigeant une lettre à la voisine et une au commissaire mais rien au mari qui trouvera le corps, on affirme quelque chose). Il n'y a rien d'indécent, rien de sordide : tout y est consigné avec un respect très approprié, respect pour les personnes et pour les éléments factuels qui esquissent des circonstances et qui laissent s'échapper des fragilités évidentes.</p>
<p>La puissance de certaines lettres est sans comparaison, exprimant sans cesse des sentiments différents, des situations variées. On y croise des de temps en temps des suicides ratés, mais plus souvent des dernières volontés transmises à un proche. Les écrits sont parfois extrêmement laconiques, ici un simple "J'en ai marre", "adieu s'est pour toujour voila ma fin", "Lasse de souffrir / adieu" et là quelques mots d'une phrase incomplète, parfois beaucoup plus profus avec un attachement fort à expliciter les circonstances jusque dans leurs moindres détails. Il y a ceux qui s'y reprennent à plusieurs fois, en complétant la lettre d'adieux en conséquence, et il y a ceux qui font le récit détaillé des derniers moments, dans l'attente de la mort en décrivant méthodiquement les symptômes de l'intoxication allant crescendo. Certains entraînent avec eux leurs petits-enfants ou leurs animaux de compagnie, d'autres en couple se réjouissent à l'idée de savoir leurs os réunis dans un même cercueil.</p>
<p>Bien que ce ne soit pas le but premier recherché, il se dégage de ces écrits un regard sur l'histoire, sur l'évolution du sens derrière l'écriture d'un terme comme "adieu" sur deux siècles, sur la transformation des modes de suicide : on se fait brûler la cervelle avec une arme à feu en uniforme, on se jette du haut d'un immeuble, on s'empoisonne à l'aide de divers produits chimiques, on se noie, on s'asphyxie au charbon puis, plus tard, au gaz. Le cadre est en tous cas fixé d'un côté par le tout début du XVIIIe siècle car très peu de lettres existent antérieurement, et de l'autre côté par l'année 1948 après laquelle le nombre de lettres explose. Si ce genre de documents témoigne du choix de leurs auteurs, ce contre quoi il se fait, quels points de résistance il oppose, comment il se déterminait et se représentait, <strong>Platini </strong>rappelle à juste titre qu'il existe un sérieux biais dans les informations recueillies : "la missive réussie est celle qu'on ne retrouve pas, puisqu'elle est parvenue à destination. Les lettres restantes proposent une image déformée".</p>
<p>On apprend ainsi qu'on se détermine très souvent contre quelque chose : contre l'institution (l'armée par exemple), contre la famille, contre le harcèlement, contre la tyrannie. Les sujets se déclarent dans un contexte amoureux, politique, ou malade. L'occasion également d'observer l'évolution de l'image renvoyée par l'acte du suicide, un acte considéré comme criminel jusqu'en 1791 (on garde au frais un cadavre suspect, on lui fait un procès, on le supplicie) dont la perception se transforme progressivement. Les personnes qui se suicident mentent régulièrement dans leurs lettres, des escrocs se font passer pour des victimes, des fugitifs simulent leur mort pour tromper la police. Certaines lettres sont en grande partie incompréhensibles : "Set engale je fine ma vie a te piere je te pardon de tou le peine te tue ma couse tue a fait mon maleure tache de feire le bonneure de notre que tu aime meu que moy". Elles parlent toutes d'amour, de déshonneur, de honte, de maladie, de religion, de famille, et certaines parviennent même à être drôles. On est quoi qu'il en soit très loin de l'anthologie et du spectaculaire, de l'obscène et du voyeurisme : on entre très paisiblement, avec beaucoup de précautions et d'empathie, dans ce recueil de vies brisées. Des lettres d'inconnus, anecdotiques, mais d'une richesse incroyable dans cette dernière image de soi.</p>
<p>Un exemple de lettre assortie de son contexte :</p>
<blockquote><p>Vers 6 h 30 du matin, on frappe à la porte d’une chambre de l’hôtel de Biron. François Emmanuel, chasseur au service du duc de Biron, vient ouvrir. C’est un dénommé Joly Coeur, cavalier de la maréchaussée, qui vient rendre visite à un ami : Brem, dit Birner, jeune brigadier du régiment des hussards de Lauzun, occupe une chambre au premier étage en sa qualité de sous-secrétaire du duc. Joly Coeur est inquiet. Il a trouvé sur la porte de Brem un écriteau lugubre. Les deux hommes montent. Une demi-feuille de grand papier est accrochée à l’entrée. On peut y lire ces mots, écrits en travers et ornés d’une accolade :<br /><br />
Ne vous effraiés point en entrant<br />
car vous me trouverrés<br />
Parti pour l’autre monde.<br />
Envoiés tout de suite la lettre à Mr Mis<br />
qui est sur la table et ne toucher à Rien<br />
et n’envoiés rien quil ne soit venu.<br /><br />
[Papier à lettres, 31 × 20 cm, encre noire.]</p>
</blockquote>
<div id="centrage">
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img1.jpg" title="img1.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img2.jpg" title="img2.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img3.jpg" title="img3.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img4.jpg" title="img4.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ecrits-fantomes-Lettres-de-suicides-1700-1948-de-Vincent-Platini-2023#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1340Éloge de l'ombre (陰翳礼讃, In'ei raisan), de Jun'ichirō Tanizaki (1933)urn:md5:b5900ff9b0e9c0060cc4214a4f308dea2024-01-22T09:54:00+01:002024-01-22T09:56:42+01:00RenaudLectureArchitectureAsieEsthétiqueEuropeJaponLumièrePhotographie <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/eloge_ombre/eloge_ombre.jpg" title="eloge_ombre.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/eloge_ombre/.eloge_ombre_m.jpg" alt="eloge_ombre.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Le beau et le laid, le propre et le sale, le sombre et le clair</strong></ins></span>
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<p>L'essai de <strong>Jun'ichirō Tanizaki </strong>sur l'esthétique japonaise est à la fois court, dense, et déconcertant. Il faut dire que pour aborder la question du beau, et avant de développer sa pensée sur l'opposition entre l'esthétique asiatique basée sur l'ombre et l'esthétique occidentale basée sur le visible, il nous embarque directement... dans ses toilettes. Point de départ assez déroutant pour une réflexion qui ne se révèlera que très progressivement, en prenant le lecteur (occidental mécréant, du moins) à rebours, et qui laissera beaucoup de zones d'ombre — c'est sans doute une sensation très à propos, au regard de la thématique.</p>
<p>Chose amusante et intéressante, il est difficile de caractériser la position de <strong>Tanizaki</strong>, réactionnaire sous certains aspects, mais doué d'autodérision sous d'autres : il se moquera de lui-même à de nombreuses reprises, qualifiant ses paroles de divagations de vieillard (il n'a que 47 ans). Parfois, il se fait extrêmement véhément et peu nuancé pour critiquer la définition du beau en Occident ou pour glorifier la culture nationale patriotique, et parfois il avance ses pensées sous l'angle de l'incompréhension sincère et posée, en avouant le caractère relatif de ses jugements. S'il finit par explorer des thèmes artistiques plus conventionnels, comme le théâtre (en opposant Kabuki et Nô) ou des architectures spectaculaires, il s'attarde très longuement sur les éléments du quotidien en s'intéressant aux intérieurs d'une maison. Et de pester sur l'électricité (qu'il installera dans sa maison malgré tout), sur ces lumières trop fortes et trop chaudes qui dénature le cœur même de la maison japonaise en éliminant, entre autres, la pénombre des alcôves.</p>
<p>On en vient souvent à se demander ce que <strong>Tanizaki </strong>pensera de l'occidentalisation de la société japonaise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lui qui souffre déjà énormément de l'évolution culturelle à marche forcée au tout début des années 1930. L'écrivain donne l'impression d'être un apôtre de l'ombre comme un parent éloigné de <strong>Soulages</strong>, insistant sur le fait que la clarté à quelque chose d'aveuglant, et que la où les occidentaux s'échinent à astiquer leurs objets d'art, les asiatiques trouvent une finalité toute particulière dans la patine de la crasse. Un attrait pour la souillure, vecteur du temps qui passe, qui rend plus attrayant le jade terne plutôt que le diamant étincelant.</p>
<p>Un essai difficile à appréhender, derrière sa fausse désinvolture il est très stimulant dans son ébauche de théorisation sur l'esthétique, mais il multiplie en outre les dissonances, d'un côté capable de commentaire bassement raciste à l'encontre d'Einstein en visite au Japon s'étonnant d'un éclairage public fonctionnant en plein jour ("c’était un Juif, après tout"), et quelques pages plus loin se moque de lui-même de peur de devenir, voire d'être devenu, un vieux réac grabataire. La dernière partie de cet <ins>Éloge de l'ombre</ins> est plus confuse, moins précise, on aborde la soupe miso dans un bol sombre et les sushis enveloppés dans des feuilles de kaki, disons que ces divagations sont moins intéressantes que celles sur la blancheur de la porcelaine, l'intérieur et les toits des temples ou encore les contrastes colorimétriques de la peau (avec option "noircissement des dents" pour les femmes). Une chose est sûre, on referme le livre en observant son environnement différemment, en traquant toutes les zones d'ombre avec l'envie, comme <strong>Tanizaki </strong>dans sa conclusion presque potache, d'aller "éteindre [sa] lampe électrique".</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Eloge-de-l-ombre-de-Junichiro-Tanizaki-1933#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1330La Guerre des espions, de Masahiro Shinoda (1965)urn:md5:f5102a3e0132c007483823f5a09240c62023-01-26T09:10:00+01:002023-01-26T09:12:35+01:00RenaudCinémaAssassinatChanbaraEspionnageEsthétiqueGuerreJaponMasahiro ShinodaNinjaPolitiqueTrahison <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.guerre_des_espions_m.jpg" alt="guerre_des_espions.jpg, déc. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Poursuivre sa vie n'est pas toujours une chose agréable."<br /></strong></ins></span>
</div>
<p><ins>La Guerre des espions</ins> est un chanbara comme je les adore, alliant contexte historique précis (au lendemain de l'importante bataille de Sekigahara, qui a marqué le début de l'époque d'Edo à l'orée du XVIIe siècle, surnommée aujourd'hui "la bataille qui décida de l'avenir du pays" et considérée comme le début non-officiel du shogunat Tokugawa, le dernier à avoir contrôlé le Japon), allusion à l'époque contemporaine (<strong>Masahiro Shinoda </strong>réalise le film en 1965 et les références à la Guerre Froide peuvent être vues à peu près partout, selon un point de vue de non-aligné), intrigue retorse (bon courage pour comprendre l'intégralité des sous-intrigues au sein de ce réseau dense d'espionnage et de trahison, j'ai dû m'y reprendre à trois fois personnellement, mais sans que le plaisir de visionnage ne soit à aucun moment gâché), et empreinte graphique délicieuse (on pourrait presque considérer chaque plan du film et admirer la composition, le cadre, les jeux de lumière, les angles débullés, les mouvements de caméra, les déplacements des personnages, le contraste du noir et blanc qui rend le sang ténébreux, les ralentis classieux lors des combats, etc.). Même le travail au niveau du son est extrêmement immersif, avec d'un côté des séquences silencieuses lors des phases d'infiltration avec des ninjas qui sautent de toit en toit sans un bruit, et de l'autre des percussions boisées légèrement angoissantes pendant certains affrontements clés.</p>
<p>L'introduction en voix off est assez consistante mais elle pose très clairement le cadre du récit, alors que les clans Toyotomi et Tokugawa sont sur le point de s'affronter à nouveau 14 ans après la fameuse bataille de Sekigahara en 1600. Toute l'histoire est racontée du point de vue de Sasuke, un samouraï espion à la solde d'un troisième clan neutre dans le principal conflit. Suite à deux meurtres impliquant les différentes parties dans lesquels il se trouve mêlé malgré lui, sa neutralité est mise à rude épreuve entre l'enquête à mener et sa peau à sauver. Le conflit entre différentes factions sera à la fois sanglant, fractionné, et particulièrement abstrus.</p>
<p>Même si les détails de l'intrigue politique restent sans doute inaccessibles pour le commun des mortels (en dehors des fins connaisseurs de l'histoire du Japon je suppose), cela n'empêche en rien d'apprécier les nombreux rebondissements qui rythment le film et la mise en scène tranchante comme un katana. Pour le dire autrement, on est totalement paumé (comme le protagoniste, un peu moins sans doute) dans cette intrigue tortueuse où tout le monde espionne, trahit et trucide tout le monde, ou presque. Ce n'est manifestement pas un hasard si de nombreuses séquences s'illustrent par leur obscurité ou par la brume qui envahit l'écran, et si les faux-semblants sont légion — à l'image du samouraï caché sous d'épais tissus blancs pour dissimuler sa lèpre.</p>
<p>Ce bordel scénaristique, excessif dans sa densité et dans son chaos, ne trouvera grâce qu'aux yeux de ceux qui sauront se satisfaire de la stylisation à outrance et se délecter des scènes de combat très peu nombreuses mais extrêmement bien mises en valeur. Elles baignent dans une forme d'abstraction qui en rebutera certains, c'est sûr, mais ce minimalisme très expressif aura à titre personnel été une vraie sucrerie. L'impression que tout est parfaitement millimétré, entre les ninjas faisant preuve d'une détente surhumaine et les sabres qui font rigoureusement pleuvoir des morts à chaque coup. À ranger non loin du très beau film de <strong>Satsuo Yamamoto </strong>sorti quelques années auparavant, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Secret-du-ninja-de-Satsuo-Yamamoto-1962"><ins>Le Secret du ninja</ins></a>. </p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, déc. 2022" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img7_m.jpg" alt="img7.jpg, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/guerre_des_espions/.img8_m.jpg" alt="img8.jpg, déc. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Guerre-des-espions-de-Masahiro-Shinoda-1965#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1106À l'Ouest, rien de nouveau, de Edward Berger (2022)urn:md5:5d2af675d12b88c6545839f92586472f2023-01-23T22:42:00+01:002023-01-23T22:45:56+01:00RenaudCinémaAllemagneEsthétiqueFranceGuerreMortPremière Guerre mondiale <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_l-ouest_rien_de_nouveau/.a_l-ouest_rien_de_nouveau_m.jpg" alt="a_l-ouest_rien_de_nouveau.jpg, janv. 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Boucherie<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Cette nouvelle adaptation de <ins>À l'Ouest, rien de nouveau</ins> (90 ans après celle de <strong>Lewis Milestone</strong>) est une réponse cinglante et fort à propos au regard qu'avait porté <strong>Sam Mendes </strong>sur la Première Guerre mondiale à travers son <ins>1917</ins> il y a trois ans, tout en plans-séquences hors sol et en propreté déplacée. La version de <strong>Edward Berger </strong>est loin d'être irréprochable mais elle est d'une efficacité et d'une pertinence toutes autres à mes yeux, tout en explorant une piste graphique d'ampleur similaire.</p>
<p>Esthétiquement, on peut déjà dire que le budget (merci Netflix je suppose) permet de mettre en scène de très nombreuses séquences avec puissance, que ce soit via certains plans-séquences marquants (l'introduction par exemple, même si le schéma commence presque à devenir un cliché) ou dans l'instauration d'un climat glacé apocalyptique (très beaux éclairages opposant le froid bleuté de la neige et les sources lumineuses rougeoyantes). Les classiques sont là, neige, boue, sang, mais tout est exécuté avec précision.</p>
<p>Ce point de vue, allemand, est quand même infiniment plus intéressant que ce que <strong>Mendes </strong>a pu proposer il me semble. Un film sur une défaite sera en un sens toujours plus beau que celui sur une victoire, et ici la bataille est double : en cette fin de guerre, les combats font rage dans le nord-est de la France tandis que les généraux négocient l'armistice. Le film n'est pas du tout exempt de clichés, de raccourcis, de passages trop appuyés : notamment j'ai été assez déçu par les trois derniers quarts d'heure, vraiment de trop dans le registre du surplus d'horreur. Il y avait quand même de la marge pour éviter le happy end, pas la peine de sombrer dans un tel cocktail de boucherie et de stupidité guerrière pour terminer la grande parabole qui avait commencé avec l'euphorie des jeunes troupes en introduction (un peu minée par l'épisode de l'étiquette). Deux fautes de goût notables : la répétition de la séquence chez les fermiers, qui tourne mal, et la concomitance armistice / mort d'un personnage. Pas trop emballé non plus par le contraste poussif entre l'horreur viscérale des tranchées et le calme propre de l'intérieur des salons des généraux : c'est vraiment superflu, au cinéma, quoique bien relié à une vérité historique. Même constat au sujet de l'opposition Foch / Erzberger.</p>
<p>Cela étant dit, il y a quelque chose de fascinant dans la beauté de la mise en scène sans cesse corrélée avec l'ampleur de la boucherie, avec de très nombreux gros plans sur des horreurs sanglantes — peut-être un peu trop de plans fixes insistant sur certains cadavres, mais c'est selon les goûts. La peur qui gonfle dans les rangs allemands est rendue avec beaucoup d'intensité, et je pense qu'on se rappellera pendant longtemps de l'arrivée des chars français sur le champ de bataille, ainsi que des lance-flammes et les avions. Glaçant. Au même titre que toutes les scènes de bataille ceci dit, très bien mises en scène. J'ai en outre étonnamment apprécié l'utilisation très anachronique de la musique, qu'on croirait parfois sortie des mains de <strong>Hans Zimmer </strong>pour un film de science-fiction : très surprenant.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_l-ouest_rien_de_nouveau/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_l-ouest_rien_de_nouveau/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2023" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_l-ouest_rien_de_nouveau/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2023" />
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/A-l-Ouest-rien-de-nouveau-de-Edward-Berger-2022#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1108Atlantis, de Valentyn Vasyanovych (2020)urn:md5:a0c6a21a354264e5c9560e1b312c2e9b2021-02-22T19:41:00+01:002021-02-22T19:41:00+01:00RenaudCinémaCadavreEsthétiqueExhumationFonderieGuerrePost-apocalypseRussieUkraine <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.atlntis_m.jpg" alt="atlntis.jpg, janv. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Post-apo militaire dans le Donbass <br /></strong></ins></span></div>
<p>Film de guerre, film de science-fiction à la lisière du post-apocalyptique, film s'inscrivant dans la continuité du conflit armé actuellement en cours dans le Donbass à l'Est de l'Ukraine, mais aussi, pour être tout à fait honnête, film d'auteur au sens un peu péjoratif du terme, dans l'acception d'un cinéma un peu poseur : <ins>Atlantis</ins>, c'est près de deux heures en immersion dans un futur proche ("2025, un an après la guerre" s'inscrit à l'écran dans les premières séquences), et dont 90% de la mise en scène repose sur des plans fixes en plans-séquences. Mais à partir du moment où l'on accepte ces prémices, ces partis pris narratifs et esthétiques parfois un peu excessifs (la laideur de l'affiche du film n'est en rien représentative des graphismes), l'expérience dystopique se révèlera incroyablement prenante.</p>
<p>Le réalisateur ukrainien <strong>Valentyn Vasyanovych </strong>reprend dans une certaine mesure le contexte historique et géopolitique de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Frost-de-Sarunas-Bartas-2017"><ins>Frost</ins></a> (du lituanien <strong>Šarūnas Bartas</strong>, sorti en 2017) qui s'intéressait au sort d'une mission humanitaire aux confins du Donbass, en plein conflit. Ici, la temporalité s'inscrit résolument dans l'après-guerre, le conflit entre l'armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes appartenant au passé — les corps des soldats des différentes forces, ensevelis dans la terre et la boue au sein des paysages dévastés et pollués par la guerre, sont là pour en témoigner. Les corps garnissent les sols aux côtés des mines antipersonnel, aux humanitaires de déterrer les premiers et aux militaires de faire exploser les seconds. Quelques séquences foudroient de leur sens du macabre, un corps en décomposition à la morgue ou un terrain d'exhumation de corps momifiés. Une séquence presque comique, tout de même, lors d'une conférence dans l'usine métallurgique au cours de laquelle un dirigeant annonce la fermeture du site sur fond d'images de <strong>Dziga Vertov</strong>.</p>
<p>La première moitié du film s'articule autour de deux anciens soldats ukrainiens souffrant de stress post-traumatique, reconvertis dans une fonderie : l'occasion pour <strong>Vasyanovych </strong>de composer quelques plans d'une beauté graphique sidérante, en jouant sur les teintes orangées du métal en fusion, sur les reflets bleutés des soudures et sur la minéralité ocre des sols. La désolation omniprésente des lieux offre un contraste assez classique avec la photographie extrêmement léchée (les plans fixes renferment toute la symétrie et toute la composition millimétrée qu'on peut imaginer), mais le film parvient tout de même à laisser la posture de côté. La seconde moitié, qui voit naître une relation d'amitié avec la volontaire d'une mission humanitaire, aide beaucoup le film à trouver sa respiration — on suffoque beaucoup, difficile de le nier. "It took you 10 years to cleanse this region of Soviet propaganda and myths", dira la femme de manière un peu trop explicite, comme si l'atmosphère post-apocalyptique de ce désastre militaire et environnemental ne se suffisait pas à elle seule. Mais les quelques petites fautes n'effacent en aucun cas la puissance du reste du récit.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.infrarouge_m.jpg" alt="infrarouge.jpg, janv. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.fonderie_m.jpg" alt="fonderie.jpg, janv. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.decharge_m.jpg" alt="decharge.jpg, janv. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.tir_m.jpg" alt="tir.jpg, janv. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.morgue_m.jpg" alt="morgue.jpg, janv. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.bain_m.jpg" alt="bain.jpg, janv. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atlantis/.camion_m.jpg" alt="camion.jpg, janv. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Atlantis-de-Valentyn-Vasyanovych-2020#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/904Finis Terrae, de Jean Epstein (1929)urn:md5:c6c8fab1fc6e1d66dee8a81c66e90f362021-02-07T13:46:00+01:002021-02-07T13:46:00+01:00RenaudCinémaBretagneCinéma muetEsthétiqueIleImpressionnismeJean EpsteinPoésiePêcheRevisionnage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/.finis_terrae_m.jpg" alt="finis_terrae.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="finis_terrae.jpg, sept. 2016" />
<div id="centrage"> <span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Aux confins d'un monde<br /></strong></ins></span></div>
<p><em>Première publication le 04-09-2016.</em></p>
<p>Quelle poésie du réel... Quelle façon de filmer l'homme au travail, quelle façon de magnifier les gestes du quotidien ! Quotidien du siècle dernier, certes, puisque les goémoniers d'alors ne devaient pas pêcher, faire sécher, et réduire à l'état de cendres (dans le but de vendre cette substance riche en soude) les algues marines comme on le fait aujourd'hui. On peut imaginer que les pêcheurs bretons du 21e siècle n'ont plus à s'isoler sur l'île de Bannec, au large de l'île d'Ouessant (le Finistère viendrait du latin <em>finis terrae</em>, "fin de la terre"), pendant plusieurs mois, dans de telles conditions. Mais la démarche conserve tout son pouvoir de fascination : <strong>Jean Epstein </strong>s'applique, pendant une bonne partie du film, à extirper la substantifique et merveilleuse moelle du réel. Ou presque réel.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/.batisse_m.jpg" alt="batisse.jpg" title="batisse.jpg, sept. 2016" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/.bouteille_m.jpg" alt="bouteille.jpg" title="bouteille.jpg, sept. 2016" /></div>
<p>Le réalisateur français, né dans l'Empire russe, expliquait ainsi son approche : « <em>Aucun décor, aucun costume n'auront l'allure, le pli, de la vérité. Aucun faux-professionnel n'aura les admirables gestes techniques du gabier ou du pêcheur.</em> » Et force est de constater qu'il se dégage de cette "presque réalité" peuplée d'acteurs non-professionnels, de cette "ethnofiction", quelque chose de fabuleux. Leurs gestes ancestraux, leurs visages burinés, leurs mains sculptées par le travail prennent une dimension étonnamment lyrique à travers les yeux d'<strong>Epstein</strong>. On est bien au-delà du simple désir d'exhiber des images pittoresques. Chaque plan ou presque pourrait être extrait d'un reportage photographique, documentaire et vaguement impressionniste. En dépit de sa trame narrative éminemment tragique (un pêcheur se blesse et risque la mort sur cette île isolée), <ins>Finis Terrae</ins> se tient bien loin du mélodrame et se rapproche du témoignage.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/.cote_m.jpg" alt="cote.jpg" title="cote.jpg, sept. 2016" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/.pain_m.jpg" alt="pain.jpg" title="pain.jpg, sept. 2016" /></div>
<p>Sous bien des aspects, on peut faire le rapprochement entre <ins>Finis Terrae</ins> et les œuvres de <strong>Robert J. Flaherty</strong> comme <ins>Nanouk l'esquimau</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Nanouk-l-Esquimau-de-Robert-Flaherty-1922">lire le billet</a>) et surtout <ins>Tabou</ins>, co-réalisé avec <strong>Murnau</strong> en 1931. Difficile d'imaginer qu'<strong>Epstein</strong>, surtout à l'époque, n'avait pas ces "films"-là en tête quand il tourna le sien. Il y a clairement dans sa façon de filmer les vagues s'écrasant contre le récif, au ralenti, de manière répétée, une certaine volonté de rendre encore plus intense la réalité de l'attente des familles, voire de la peur. De donner une vision du réel (parmi d'autres, sous-entendu). La photogénie des côtes bretonnes sous son œil est bouleversante ; la puissance poétique de ces images à l'esthétique raffinée effleurant l'épure, au cadre et à la composition minutieusement arrangés, est renversante.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/fum%C3%A9e.jpg" alt="fumée.jpg" title="fumée.jpg, sept. 2016" /> <br /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/finis_terrae/fin.jpg" alt="fin.jpg" title="fin.jpg, sept. 2016" /></div>
<p><em>Seconde publication le 06-02-2021.</em></p>
<p><ins>Finis Terrae</ins> marque une rupture nette dans la filmographie de <strong>Jean Epstein</strong>, un an après "<ins>La Chute de la maison Usher</ins>" qui initiait l'exploration d'une composante cinématographique à haute teneur poétique. Exit le fantastique, place au réel et au pragmatique, en immersion du côté des îles de Bannec et d'Ouessant. Mais <strong>Epstein </strong>ne s'engage pas dans une veine documentaire classique, en travaillant son matériau (la vie, les coutumes et les histoires des habitants du coin) à la frontière du réel et de la fiction. Il extrait une matière poétique très surprenante par ses cadrages intenses, presque en photographe lors de certains plans figés, et en expurgeant une grande partie du potentiel mélodramatique (une initiative peu commune à l'époque) de cette histoire de pêcheur entre la vie et la mort isolé sur un petit îlot désert. Tout est dans la suggestion pour figurer l'attente insurmontable du village, avec le ralenti des vagues qui s'écrasent contre le récif au sein d'un segment interminable du film, tandis qu'un médecin a été envoyé à travers la brume sur la mer houleuse.</p>
<p>On reconnaît également l'état d'avancement du travail d'<strong>Epstein </strong>en matière d'expérimentation graphique, notamment pour représenter la maladie virant au délire d'Ambroise, le pêcheur blessé dont l'état inquiète. Des lentilles déformantes, des surimpressions, des lumières vacillantes, des nappes brumeuses, le montage qui s'affole ou au contraire se calme soudainement... L'irréel ainsi extrait du réel pour susciter une évocation du travail des goémonier au début du XXe siècle, à travers les gestes quotidiens érigés en poème lyrique, bien détachée du principe de la chronique sociale ou de l'enquête ethnographique, débouche sur une œuvre d'une grande singularité, dans le sillon des poèmes bretons signés <strong>Epstein</strong>.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Finis-Terrae-de-Jean-Epstein-1929#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/346Les Dieux du stade, de Leni Riefenstahl (1938)urn:md5:a5810ea4ab34b5623e09977cf48dae3c2020-09-19T15:08:00+02:002020-09-21T12:08:21+02:00RenaudCinémaAllemagneEsthétiqueJeux olympiquesLeni RiefenstahlNazismeSport <div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.dieux_du_stade_1_m.jpg" alt="dieux_du_stade_1.jpg, sept. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.dieux_du_stade_2_m.jpg" alt="dieux_du_stade_2.jpg, sept. 2020" />
</div>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Essai esthétique<br /></strong></ins></span></div>
<h2>Partie 1 : Le Festival des Nations.</h2>
<p>Incroyable moment esthétique qui aura eu le mérite, immense en ce qui me concerne, de me scotcher pendant deux heures devant un événement sportif télévisé. <strong>Leni Riefenstahl</strong>, qu'on a souvent tendance à classer un peu hâtivement et unilatéralement dans la case des cinéastes attitrés du régime nazi, propose dans la première partie de <ins>Les Dieux du stade</ins>, parfois sous-titrée "Le Festival des Nations", un documentaire d'une incroyable modernité. S'il est clair que l'Allemagne nazie est mise sur le devant de la scène, en tant que nation qui accueille les Jeux olympiques de 1936, je serais en revanche bien en peine d'y voir une célébration unilatérale de l'idéologie nationale-socialiste tant les éléments qui vont à l'encontre des principaux fondements sont légion. Il suffit de voir la place qui est laissée aux victoires de <strong>Jesse Owens </strong>pour s'en convaincre, cela coule de source.</p>
<p>Le prologue, sous forme de filiation des jeux avec l'époque de la Grèce antique, avec ses mouvements sophistiqués autour de statues et ses contre-plongées à contre-jour sur des athlètes presque nus, précisément dans le style des nus grecs, ou encore la traversée européenne de la flamme, est impressionnant sans être trop kitsch. L'ambiance est posée en évitant le ridicule, disons, à la différence des courts-métrages de <strong>Jean-Daniel Pollet</strong> dans les années 70 à 90... Et la suite s'articulera autour d'un hymne dual, autant au corps (filmé sous toutes ses coutures) qu'à la paix (comme en témoignent les dernières phrases du film). Au final je me retrouve un peu dans ce que disait le réalisateur et critique de cinéma <strong>Jonas Mekas </strong>: "<em>Si vous êtes un idéaliste, vous y verrez de l'idéalisme ; si vous êtes un classique, vous y verrez une ode au classicisme ; si vous êtes un nazi, vous y verrez du nazisme.</em>" La pluralité des points de vue est présente, a minima.</p>
<p>On sent bien que l'équipe technique surdimensionnée qui épaule <strong>Riefenstahl </strong>permet de filmer les épreuves dans des conditions particulièrement privilégiées en 1938. Rien n'est censuré en apparence, avec la mise en évidence de victoires chez les futurs ennemis (imposante bannière étoilée sur fond de l'hymne correspondant). Des moyens exceptionnels pendant et après la compétition, puisque quelques sportifs reproduiront leurs gestes a posteriori pour les filmer selon des angles impossibles en tournoi — c'est notamment le cas pour le saut en hauteur. Le travail sur les ralentis, l'expérimentation avec les caméras en mouvement, l'innovation constante dans la proposition formelle, forment une enveloppe technique sidérante. Et au milieu de tout ça, les croix gammées et les saluts nazis sont omniprésents.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.statue_m.jpg" alt="statue.jpg, sept. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.intro_m.jpg" alt="intro.jpg, sept. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.course_m.jpg" alt="course.jpg, sept. 2020" />
</div>
<h2>Partie 2 : La Fête de la Beauté.</h2>
<p>Dans cette seconde partie intitulée "La Fête de la Beauté", <strong>Leni Riefenstahl </strong>quitte le stade olympique pour se focaliser sur tous les sports pratiqués à l'extérieur, de la course de chevaux à l'escrime en passant par la natation, la boxe, la gymnastique, l'aviron, le cyclisme ou encore le hockey sur gazon. Après une introduction s'attachant à illustrer les amitiés viriles qui se dégagent de ces corps nus et musclés sculptés en clair-obscur, sans mise en scène extravagante comme ce fut le cas pour le premier volet, la réalisatrice allemande parcourt à très grande vitesse les différents lieux de compétition.</p>
<p>Ce n'est pas la décomposition au ralenti des mouvements des sportifs qui est mis en avant cette fois-ci, même si le procédé reste bien présent. De par la similitude des titres, on pense beaucoup au <ins>Force et beauté</ins> de <strong>Nicholas Kaufmann</strong> et <strong>Wilhelm Prager</strong>, un autre film allemand réalisé en 1925 et également prompt à promouvoir la culture physique. Ici, il s'agit plutôt de balayer une grande diversité de pratiques, toujours dans l'optique de la glorification du corps (mâle, essentiellement) et de ses prouesses. Manque de bol, le décathlon et le pentathlon seront remportés par l'Américain <strong>Glenn Morris</strong>...</p>
<p>Deux grands temps forts sont à noter. Tout d'abord, la séquence des plongeons. La dernière configuration, lorsque <strong>Riefenstahl </strong>observe les plongeurs en contre-plongée et à contre-jour, au ralenti, avec le ciel nuageux en toile de fond traversée par des silhouettes volantes, est d'une beauté renversante. On se croirait transporté dans une autre dimension. Il y a également le passage consacré aux courses à cheval, au cours de laquelle on peut voir des officiers nazis aux petits soins des cavaliers étrangers (dont français et américains notamment) tombés de leurs destriers, et arbitrer l'épreuve en uniforme. Un sentiment très étrange domine, dans ce flot de saluts nazis capturés dans une non-fiction, à une époque où cela n'avait pas encore tout à fait la signification contemporaine. Et toujours cette incroyable modernité dans l'esthétique du mouvement, magnifiquement illustrée lors de l'épreuve d'aviron, avec des caméras qui semblent montées directement sur les bateaux pour capter au plus près le mouvement des rameurs. Sur les plans esthétique et historique, un document passionnant.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.reflet_m.jpg" alt="reflet.jpg, sept. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.cheval_m.jpg" alt="cheval.jpg, sept. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dieux_du_stade/.stade_m.jpg" alt="stade.jpg, sept. 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Dieux-du-stade-de-Leni-Riefenstahl-1938#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/831