Je m'attarde - Mot-clé - Fuite le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearBandits à Orgosolo (Banditi a Orgosolo), de Vittorio De Seta (1961)urn:md5:b3f481b2478b2f8b0802f3d6acce17562023-11-14T15:50:00+01:002023-11-14T15:51:02+01:00RenaudCinémaBergerChasseEauElevageFuiteItalieMontagneMoutonNéoréalismeRuralitéSardaigneVittorio De Seta <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/bandits_a_orgoloso.jpg" title="bandits_a_orgoloso.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.bandits_a_orgoloso_m.jpg" alt="bandits_a_orgoloso.jpg, nov. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Western des bergers sardes</strong></ins></span>
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<p>Au terme d'une décennie passée à réaliser des courts-métrages documentaires décrivant les aspects très diversifiés de corps sociaux italiens variés (parmi lesquels on peut citer les plus célèbres <ins>Isole di fuoco</ins> sur des éruptions volcanique en Sicile, <ins>Le Temps de l'espadon</ins> sur la pêche à la lance, <ins>Surfarara</ins> sur des mines de souffre ou encore <ins>Parabola d'oro</ins> sur des paysans siciliens), il n'est pas totalement étonnant de retrouver <strong>Vittorio De Seta</strong>, au détour de son premier long métrage, dans une fiction très largement perméable aux composantes documentaires. Et rurales, plus particulièrement, au travers de ces décors rocailleux des montagnes de Sardaigne magnifiquement capturées dans "Banditi a Orgosolo".</p>
<p>C'est ce qui frappe d'entrée de jeu : la profondeur des contrastes de l'image de <strong>Vittorio De Seta </strong>(lui-même directeur de la photographie et scénariste en plus de son poste de réalisateur), qui confère à la nature sarde une dimension incroyablement photogénique, avec dans les hauteurs les espaces partagés entre l'élevage et la chasse. Michele, avec son très jeune frère Peppeddu, s'occupe de son troupeau de moutons dans ce cadre magique, entre conditions extrêmes et vie recluse. L'arrivée de trois étrangers qui ont volé des cochons et recherchés à ce titre par les carabiniers, provoquant la mort de l'un de ces derniers, dégénèrera en quiproquo puisque Michele se retrouvera accusé à tort de tous ces méfaits. N'ayant aucune confiance en sa capacité à démontrer son innocence mais surtout par peur de perdre son bétail (son unique capital garantissant sa subsistance voire même sa survie) durant l'instruction et un probable séjour en prison, il choisit l'option de la fuite dans les montagnes.</p>
<p>Avec sa veine puissamment néoréaliste qui s'attache à décrire des hommes luttant contre la nature (le dénivelé en montagne, le stress hydrique qui affecte autant les hommes que les bêtes, la faim qui ne tarde pas à gronder aussi), <ins>Bandits à Orgosolo</ins> ressemble à une hybridation entre une tradition documentaire héritée de <strong>Flaherty </strong>(les montagnes ici sont l'élément contre lequel on bataille au même titre que la mer enragée dans <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Homme-d-Aran-de-Robert-Flaherty-1934">L'Homme d'Aran</a></ins>) et l'acharnement du sort contre une communauté au bord de la misère — il suffit de remplacer les pêcheurs de <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-terre-tremble-de-Luchino-Visconti-1948">La terre tremble</a></ins> chez <strong>Visconti </strong>par des éleveurs. Les sentiments sont très variés ici, entre la défiance contre les représentants de l'autorité et le refus de se rendre et d'abandonner son troupeau, symbole de toute une vie, et ils sont parfaitement embrassés par les véritables bergers qui tiennent les rôles principaux dans ce western des montagnes. Le seul passage au cours duquel les protagonistes descendent de ces hauteurs, pour rejoindre leur famille dans un moment intime intense, rompt avec l'âpreté de la fuite et constitue un de ces moments incroyables, comme en apesanteur.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img1.jpg" title="img1.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img2.jpg" title="img2.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img3.jpg" title="img3.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img4.jpg" title="img4.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img5.jpg" title="img5.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img6.jpg" title="img6.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/img7.jpg" title="img7.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bandits_a_orgoloso/.img7_m.jpg" alt="img7.jpg, nov. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Bandits-a-Orgosolo-de-Vittorio-De-Seta-1961#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1279Le capitaine Volkonogov s'est échappé (Kapitan Volkonogov bezhal), de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov (2022)urn:md5:4a86d73a745b681294769724a028c3b22023-10-09T11:22:00+02:002023-10-09T10:26:20+02:00RenaudCinémaChasse à l hommeFuitePardonPersécutionPolicePolitiquePurgesRussieRédemptionRépressionStalineTortureTotalitarisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.capitaine_volkonogov_s-est_echappe_m.jpg" alt="capitaine_volkonogov_s-est_echappe.jpg, sept. 2023" class="media-center" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>S'évader du NKVD <br /></strong></ins></span>
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<p><ins>Le capitaine Volkonogov s'est échappé</ins> est un film de coulisses portant sur une thématique bien connue, et c'est cette dimension-là de captation à la marge qui en constitue l'argument principal à mes yeux. Les coulisses des grandes purges staliniennes de la fin des années 1930, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, vues à travers les yeux d'un membre de la police politique (le NKVD) précisément en charge de la mise en œuvre de cette répression — arrestations, interrogatoires, torture, exécution. <strong>Natalia Merkoulova </strong>et <strong>Alexeï Tchoupov </strong>ont eu l'excellente idée de ne pas se lancer dans un réquisitoire trop évident sur l'horreur frontale mais plutôt de suivre le point de vue très subjectif de Volkonogov, hier tortionnaire et aujourd'hui victime du régime, dans sa fuite. Il en résulte un film original, dans l'environnement décrit, au plus près des hommes en rouge du Service de sécurité nationale, et un film haletant, dans l'échappée immersive d'un capitaine se sachant condamné, au creux d'un microcosme façonné par les persécutions politiques et leurs conséquences.</p>
<p>C'est annoncé assez tôt dans l'intrigue : la fuite prendra la forme d'une quête de rédemption pour le protagoniste, frappé d'une vision lui révélant que pour l'absoudre de ses crimes, il devra affronter le regard des familles des personnes qu'il a torturées et obtenir leur pardon. Le trait est un peu épais mais il a le mérite d'être annoncé clairement plutôt que de se cacher dans un coin, et cette configuration permet de se confronter nous aussi, aux côtés de Volkonogov, aux séquences répétées au cours desquelles il va présenter ses excuses. L'effet d'annonce, au sens où on sait qu'il va parcourir les fiches de renseignement du dossier qu'il a volé et se confronter à différentes situations difficiles, fonctionne vraiment très bien et nourrit une tension parallèle à celle de sa propre fuite.</p>
<p>Une fois la chasse à l'homme lancée, le film se structure ainsi autour de ces rencontres qui se succèdent entre un ancien bourreau (devenu proie) et des proches de personnes exécutées par le régime policier totalitaire. Il faut reconnaître à <strong>Youri Borissov </strong>un talent manifeste dans la composition du rôle-titre, partagé entre la peur, le traumatisme, la ténacité et la révélation quasi-mystique, et aux auteurs un talent formel incroyable dans la confection d'une ambiance graphique crédible et prenante. Les confrontations se déroulent dans des lieux à chaque fois très différents, et la première d'entre elles fait partie des plus marquantes — une séquence dans une morgue, au fond d'une cave, en compagnie d'une ancienne médecin. Il y a quelque chose d'indélébile dans ces séquences qui recherchent des petits bouts d'humanité au sein d'une déshumanisation par définition, doublé d'un sentiment tragique de pardon impossible.</p>
<p>Il y a aussi un équilibre persistant dans les rues de Léningrad transformée en ville-fantôme, avec d'un côté une inclination réaliste qui ne nous épargne pas quelques moments de violence crue et de l'autre côté cette dimension symbolique, allégorique, dans la recherche du pardon de la part d'un Sisyphe errant machinalement d'un parent de victime à un autre. La structure narrative est émaillée de flashbacks relativement brefs, alimentant souvent un climat froid et angoissant, qui portent sur des épisodes de la vie de Volkonogov, un épisode de torture (sans esbroufe, en appuyant juste comme il faut) par-ci, une démonstration de mise à mort (un peu trop appuyée dans sa tonalité glaciale à mon goût, avec les victimes qui défilent froidement comme du bétail, en miroir de la séquence finale) par-là.</p>
<p>Il ne faut donc pas rechercher dans <ins>Le capitaine Volkonogov s'est échappé</ins> une reconstitution précise, historique et exhaustive d'un système totalitaire, mais plutôt une sorte de tableau expressionniste partagé entre des visions d'horreur et des répétitions presque comiques, le film n'étant pas avare en humour noir — il faut voir Volkonogov réitérer ces "votre proche a été exécuté, il lui a été appliqué des méthodes spécifiques", comme une déformation professionnelle, suivi d'un laconique "pouvez-vous s'il vous plaît me pardonner ?", dans un état de faiblesse et d'apathie maximales. En résulte un voyage temporel et sensoriel, poisseux et étouffant, insistant sous certains aspects (qui se révèleront plus ou moins comme des entraves à l'appréciation) mais qui en tous cas m'a vigoureusement saisi.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/capitaine_volkonogov_s-est_echappe/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, sept. 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-capitaine-Volkonogov-s-est-echappe-de-Natalia-Merkoulova-et-Alexei-Tchoupov-2022#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1249Huit Heures de sursis, de Carol Reed (1947)urn:md5:46dca64a67465babeb46895fc2f84ddc2023-08-18T10:35:00+02:002023-08-18T09:41:40+02:00RenaudCinémaBelfastBraquageCarol ReedFilm noirFuiteIRAIrlandeJames MasonSolitude <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/huit_heures_de_sursis/.huit_heures_de_sursis_m.jpg" alt="huit_heures_de_sursis.jpg, août 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"We're all dying."</strong></ins></span>
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<p>Drôle de sensation, en voyant ce film de <strong>Carol Reed </strong>j'étais persuadé d'en avoir vu beaucoup d'autres alors que je ne connaissais que <ins>Le Troisième homme</ins> qui sortira deux ans plus tard. Étrange.</p>
<p>Les précautions prises dès les premières secondes du film, en faisant défiler un texte indiquant qu'on se situe en dehors du cadre de l'IRA (il est question d'une organisation irlandaise, rien de plus), donne une idée du climat qu'il devait régner à l'époque, de crainte et de censure, à ce sujet. Je trouve que cela a un effet décontextualisant légèrement dommageable, et ce renforcé par le fait qu'il y avait un précédent chez <strong>John Ford</strong> avec <ins>The Informer</ins> en 1935.</p>
<p><ins>Odd Man Out</ins> développe un narratif assez simple : <strong>James Mason </strong>est le chef d'un groupuscule paramilitaire qui entend réaliser un braquage pour financer des opérations clandestines. Le braquage se passe mal, et l'essentiel de l'action porte sur sa fuite dans les bas-fonds de Belfast (la ville n'est jamais citée, mais on peut imaginer), alors qu'il est blessé et abandonné plus ou moins consciemment par ses compères. Une fuite sous la forme d'une longue errance et, blessure aidant, avec de nombreuses références au symbolisme religieux du chemin de croix.</p>
<p>Cette plongée dans un enfer de souffrance et de traque policière aurait pu tout à fait constituer le carburant d'un film noir sec et froid, y compris dénué de contexte politique. Malheureusement il me semble que <strong>Reed </strong>se fourvoie quelque peu dans la longueur, avec tout particulièrement les interventions nombreuses et très pénibles de deux bouffons, le peintre et l'amateur d'oiseau : cette tonalité loufoque et à caractère comique brise totalement la tension d'une trajectoire sombre. Il y a en plus de cela quelques abus du point de vue formel qui ont mal vieilli (c'est le cas d'effets récurrents pour montrer le vacillement de <strong>Mason</strong>, entre le flou de sa vision et les hallucinations avec les tableaux) et qui empêchent le film de s'épanouir pleinement dans le noir. Le final pousse une fibre tragique qui aurait pourtant pu fournir une belle puissance émotionnelle au terme de ce voyage en solitaire.</p>
<p><strong>James Mason </strong>reste malgré tout le phare dans ces approximations, avec son timbre singulier et sa diction agréablement britannique, et le classicisme de la mise en scène renforce son interprétation spectrale.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/huit_heures_de_sursis/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, août 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/huit_heures_de_sursis/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, août 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/huit_heures_de_sursis/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, août 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Huit-Heures-de-sursis-de-Carol-Reed-1947#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1217Délit de fuite, de Mikio Naruse (1966)urn:md5:5f75d3d40e6e1e8b711fd4a3943d7ac72022-04-07T12:10:00+02:002022-04-07T12:10:00+02:00RenaudCinémaAccidentFuiteHideko TakamineJaponMikio NaruseVengeanceVoiture <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/delit_de_fuite/.delit_de_fuite_m.jpg" alt="delit_de_fuite.jpg, févr. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Symétries de la souffrance<br /></strong></ins></span>
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<p>Thématique très originale et style surprenant dans la filmographie de <strong>Mikio Naruse</strong>, pour son avant-dernier film. Première fois que le thème de la vengeance apparaît aussi frontalement, voire apparaît tout court — il me reste pour trancher à voir le reste de ses plus de 90 films en tant que réalisateur... L'effet de contraste est plutôt agréable et me pousse à surnoter légèrement, car ici tout est étonnamment lisible et directement accessible, avec pour corollaire l'absence d'épiphanie finale qui m'attendait dans les dernières minutes de tous les grands films de <strong>Naruse</strong>, de <ins>Nuages flottants</ins> à <ins>Tourments</ins> en passant par <ins>Le Grondement de la montagne</ins>.</p>
<p>Une trajectoire presque rectiligne, qui suit le destin d'une femme interprétée par <strong>Hideko Takamine</strong>, fidèle parmi les fidèles de <strong>Naruse </strong>: mère élevant seule son fils, elle le perd brutalement suite à un accident de voiture impliquant un délit de fuite auquel on assiste en parfaite connaissance de cause. Il s'agit en réalité de la femme d'un riche industriel automobile qui conduisait une voiture de sport en compagnie de son amant. Dans la panique, pensant que le gamin allait bien, elle décide de s'enfuir de peur de laisser s'éventer cette histoire d'adultère. <ins>Délit de fuite</ins> se concentrera presque entièrement sur la démarche de la mère éplorée dans sa volonté de faire éclater la vérité autour de l'accident, au sein d'un réseau dense de silences cherchant à dissimuler les événements.</p>
<p>Il y a en toile de fond la description d'une certaine modernité japonaise, dans les années 60, présentée comme sous influence capitaliste occidentale à travers l'omniprésence de la voiture, hautement symbolique. Le final est aussi d'une teneur didactique en matière de sécurité routière relativement ridicule. Mais en regard de cela, il y a surtout le double portrait de ces deux femmes, presque en miroir, avec deux formes très distinctes de malheurs et de souffrances. Le film déploie une très belle tension à ce niveau-là, en montrant un calvaire noué, une symétrie dérangeante, un malaise permanent. Avec en prime quelques expérimentations visuelles surprenante chez <strong>Naruse</strong>, avec déformation chromatique de la photo et plans anguleux pour accompagner la folie de <strong>Takamine</strong>.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/delit_de_fuite/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, févr. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/delit_de_fuite/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, févr. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/delit_de_fuite/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, févr. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/delit_de_fuite/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, févr. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Delit-de-fuite-de-Mikio-Naruse-1966#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1042L'Incroyable Vérité, de Hal Hartley (1989)urn:md5:94a00ccd4b7c1671b665b79753e8beea2021-05-12T20:06:00+02:002021-05-12T20:06:00+02:00RenaudCinémaAdrienne ShellyComédieErranceFamilleFuiteHal HartleyRomance <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/incroyable_verite/.incroyable_verite_m.jpg" alt="incroyable_verite.jpg, avr. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"The last time I took a drink, I got into a car crash and I killed a girl — That's enough to drive you to drink."<br /></strong></ins></span></div>
<p>Un film de <strong>Hal Hartley </strong>est reconnaissable entre mille. Alors que je n'en ai vu que deux en 10 ans, il y a peut-être imposture dans ce qui vient d'être écrit, m'enfin passons. <ins>The Unbelievable Truth</ins> est en tous cas extrêmement similaire à <ins>Trust Me</ins>, le film suivant dans sa filmographie, le plus connu et celui qui le fit connaître à l'international : ce ton décalé permanent, cet humour léger et légèrement noir qui définit toutes les relations entre les personnages, et surtout cette romance compliquée entre deux êtres aux existences cabossées qui sera malmenée par tout l'entourage. <strong>Robert John Burke</strong>, avec son visage impénétrable, ses yeux bleus perçants, son allure de prêtre ("Are you a priest?" lui demandera-t-on sans cesse, comme un running gag), est peut-être encore meilleur dans ce rôle que ce que produira <strong>Martin Donovan </strong>dans <ins>Trust Me</ins>. <strong>Adrienne Shelly</strong> est en revanche fidèle à elle-même, une jeune femme qui découvre l'indépendance mais également les contraintes, les compromis, et tout ce que le monde adulte peut comporter comme sources de coercition.</p>
<p>Un film résolument lent, contemplatif diront certains, en tous cas un film qui prend beaucoup de temps pour poser les situations, avec des personnages assez fortement archétypaux sans pour autant que cela ne vienne constituer un tableau stéréotypé : l'archétype nourrit ici une forme de comique décalé souvent savoureux. Ce n'est plus trop mon truc, mais j'aurais adoré cela il y a 10 ans. <ins>The Unbelievable Truth</ins> tient presque quelque chose du road movie, dans sa mise en scène de l'errance, dans sa composition d'un couple en fuite (dans l'idée, la fuite du carcan familial, de la ville natale, de sa condition, de l'étiquette collée, etc.). Certaines facilités d'écriture peuvent lasser, comme la révélation (bien évidemment) sur le passé du protagoniste faussement qualifié de mass murderer, avec tous ces personnages barjots, parents, petit ami, ami, ainsi qu'un mécanicien guitariste et un photographe dragueur. Au final, tous voient chez les autres ce qu'ils ont envie de voir.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/incroyable_verite/.pere_m.jpg" alt="pere.jpg, avr. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/incroyable_verite/.petit_ami_m.jpg" alt="petit_ami.jpg, avr. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/incroyable_verite/.couple_m.jpg" alt="couple.jpg, avr. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Incroyable-Verite-de-Hal-Hartley-1989#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/952Le Cœur fou, de Jean-Gabriel Albicocco (1970)urn:md5:f0f5bdd3c74eb4cc6e95fd1af7ed396c2021-03-10T21:51:00+01:002021-03-10T21:52:49+01:00RenaudCinémaBaroqueFolieFuiteMichel AuclairPsychiatrieRomance <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/coeur_fou/coeur-fou.jpg" alt="coeur-fou.jpg, fév. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Possession et amour à la folie<br /></strong></ins></span></div>
<p><strong>Jean-Gabriel Albicocco </strong>est un total inconnu à mes yeux et si je n'irais pas comme <strong>Jean-Pierre Dionnet </strong>jusqu'à la comparer avec <strong>Dario Argento </strong>pour ses éclats formalistes, il est en revanche extrêmement tentant de voir dans le prisme esthétique déformant qui parcourt et même structure tout <ins>Le Cœur fou</ins> une parenté franco-russe avec l'esthétique constitutive du cinéma d'<strong>Alexandre Sokourov</strong>. Avec son grand angle, ses filtres colorés, ses déformations optiques produisant des aberrations graphiques intenses, et ses mouvements de caméra sur rail ou sur grue, <strong>Albicocco </strong>travaille la pellicule jusqu'à atteindre un niveau d'expérimentation assez incroyable à l'échelle du cinéma français du tout début des années 70. Son seul objectif : suivre le couple formé par un reporter-photographe (<strong>Michel Auclair</strong>) et une résidente d'un hôpital psychiatrique (<strong>Ewa Swann</strong>) au cours de leur fuite constante jusqu'à l'extrémité du film, dans leur relation amoureuse qui n'en finit pas de longer des manifestations pyrotechniques.</p>
<p>Sans trop forcer, on peut dire que <ins>Le Cœur fou</ins> ne ressemble à aucun autre film et ne se range dans aucune case prédéfinie. C'est une pépite de cinéma tout ce qu'il y a de plus excessif dans ses partis pris. Une fois passée une vague introduction, montrant un homme en mission photographique auprès de son ex-épouse et actrice fraîchement internée après une grave dépression, tout le film étudiera la trajectoire du duo qui l'associe à cette femme pyromane. Loin des sentiers balisés du road trip sentimental ou du drame romantique, on nage dans une eau extrêmement tumultueuse, bouillonnante et chaotique. La mise en scène arbore une étonnante constance dans la folie de ses effets — on peut être sûr que tout le monde n'appréciera pas — et accompagne le crescendo de démence qui circonscrit l'évolution du couple.</p>
<p>Un cinéma à forte propension maniériste, avec une inclination nette pour les séquences hystériques, agaçant sous certains aspects, dérangeant à de nombreux titres, mais qui fait de son refus du réalisme un puissant carburant pour un romantisme noir et halluciné. <strong>Albicocco </strong>ne semble pas être un homme de compromis : il se situe plutôt du côté de l'incendie. Peut-être davantage que le formalisme baroque d'<strong>Argento</strong>, c'est l'excentricité angoissante d'un <strong>Zulawski </strong>(tendance <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Possession-de-Andrzej-Zulawski-1981"><ins>Possession</ins></a>) qu'évoque <ins>Le Cœur fou</ins> — avec une petite dose de LSD en plus. Les travellings et les plans-séquences à répétition pourront en lasser certains, il n'empêche que la mise en scène confine à l'abstraction et opère un hold-up fou sur l'intrigue, à grand renfort de fuites dans la forêt, d'échappées oniriques dans les paysages de la Sologne, et de distorsions en tous genres.</p>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Coeur-fou-de-Jean-Gabriel-Albicocco-1970#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/915De sang-froid, de Richard Brooks (1967)urn:md5:a69fda709adc44dc9368f20d473efe882020-07-03T10:06:00+02:002020-07-03T10:06:00+02:00RenaudCinémaDéterminisme socialEtats-UnisFuiteMeurtrePeine de mortRichard BrooksViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sang_froid/.sang_froid_m.jpg" alt="sang_froid.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>
Nouveau monde, nouveaux monstres : parallélisme des structures
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<p><ins>In Cold Blood</ins> est un film qui déborde de qualités, et ce à tous les niveaux : composante documentaire s'attachant à contextualiser l'horrible tragédie au centre névralgique des deux heures, travail photographique incroyable pour composer des atmosphères nocturnes à l'aide d'un noir et blanc tranchant, montage intelligent qui joue avec différentes temporalités et différents régimes d'explicite qui fait de la rétention d'information un puissant carburant pour l'intrigue... La liste est longue pour tenter de détourer les raisons d'une telle réussite, sur la toile de fond d'une histoire sordide : deux jeunes hommes en liberté conditionnelle qui assassinèrent une famille d'agriculteurs sans véritable mobile, poussés par l'appât d'un gain illusoire basé sur des rumeurs, acculés dans leur fourvoiement. Une histoire inspirée d'un fait survenu 10 ans plus tôt, en 1959. En sous-texte, le portrait d'une certaine Amérique, peuplée de rêveurs qui aspirent à la réussite qu'on leur a vendue mais qui se heurtent à la dure réalité sociale. Perry et Dick incarnent ainsi un concentré de ressentiments à l'égard de leur pays, de l'institution, et de ce qu'ils perçoivent comme une injustice fondamentale : "<em>Ever see a millionaire fry in the electric chair?</em>".</p>
<p>Si l'on peut reprocher une chose à <strong>Richard Brooks</strong>, c'est d'avoir mis les bouchées doubles pour légitimer la fragilité psychologique de Perry en usant et abusant du traumatisme passé qui resurgit constamment dans sa perception du présent. Pour le reste, il fait preuve d'une finesse appréciable dans le portrait du duo, dans l'avancement de l'enquête en parallèle de la fuite, avec pour point de convergence la révélation finale des événements qui ont scellé leur sort, à la faveur d'un ultime flashback. Une séquence riche en tension qui vient habilement (du point de vue de la dramaturgie mais pas nécessairement de la logique psychologique) consacrer les comportements des deux protagonistes.</p>
<p>Le travail de montage est vraiment ce qui rend le film aussi efficace à mes yeux, aidé en cela par la qualité de la photo qui sait conserver une grande part de sobriété. Au montage parallèle qui fait progresser le travail des enquêteurs en même temps que les pérégrinations des tueurs après leur méfait (tout en prenant le soin de ne rien dévoiler de manière explicite, pour préserver une incertitude), répond le parallèle des deux temps forts finaux, avec tout d'abord le massacre imprévu de la famille prise en otage suivi de la longue attente des détenus dans le célèbre couloir de la mort. Ces deux moments contiennent une même dimension suffocante, éprouvante, épuisante, et se font le reflet de deux excroissances malades des États-Unis, sans tomber ni dans le pamphlet contre la peine de mort (même si le constat est explicite) ni dans le réquisitoire contre deux assassins (partagés entre l'horreur de leur crime et une sorte de déterminisme social tragique). Sans doute, à mon sens, que lever le pied sur l'explication psychologique de l'acte meurtrier aurait conféré au film une puissance supérieure.</p>
<p>Mais pour le reste de la proposition, la structure est d'une efficacité redoutable, filant tout droit vers ses derniers moments, avec d'un côté les chocs de la responsabilité individuelle contre la responsabilité collective qui explosent lors de l'interrogatoire (Dick passant du psychopathe en contrôle à la victime qui se déresponsabilise) et de l'autre l'impasse caractérisée de l'exécution de la peine capitale (qui ne résout absolument rien en se cachant derrière de saintes valeurs). La mécanique de la violence est d'une implacabilité sidérante. C'est un peu comme si on assistait à la naissance d'un nouveau monde, avec ses nouveaux monstres, parfois sincères, parfois effroyables, tour à tour égoïstes et inconscients. Le malaise est total.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sang_froid/.arme_m.jpg" alt="Screen Shot 2015-06-10 at 12.25.58 PM.tif, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" title="Screen Shot 2015-06-10 at 12.25.58 PM.tif" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/De-sang-froid-de-Richard-Brooks-1967#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/797