Je m'attarde - Mot-clé - Intégrité le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearReptile, de Grant Singer (2023)urn:md5:658eeeb717212b184f4e7a6e7502c61c2023-11-02T15:19:00+01:002023-11-02T15:20:44+01:00RenaudCinémaBenicio del ToroCorruptionEnquête policièreFilm noirIntégritéJustin TimberlakeMeurtreMichael PittThriller <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/reptile.jpg" title="reptile.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/.reptile_m.jpg" alt="reptile.jpg, oct. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Noir et glacé</strong></ins></span></div>
<p><ins>Reptile</ins> titille en moi la bonne combinaison de cordes en matière de thriller néo-noir contemporain, et ce qui m'est apparu comme prenant et intense pourra se révéler totalement anecdotique chez toute personne désintéressée dans ce genre typique des 90s. Pire, l'ensemble des défauts prendra probablement le dessus. Pour son premier film, <strong>Grant Singer </strong>fait preuve d'une maîtrise assez remarquable, avec néanmoins les traces caractéristiques de celui qui veut trop bien faire sur un coup d'essai, et les références me paraissent clairement identifiables (pour le meilleur, me concernant) : <ins>Prisoners</ins> de <strong>Villeneuve</strong>, les thrillers de <strong>Fincher </strong>au tournant des années 1990 / 2000, avec un soupçon de corruption dans les thématiques convoquant tous les films dans la lignée de <ins>Copland</ins>. Un meurtre, une enquête, et des révélations qui explosent à chaque strate de secret grattée.</p>
<p>Dans le fond il n'y a rien de fondamentalement neuf, mais en un sens le néo-noir a toujours été un registre très codifié il me semble, ne permettant pas de prise de liberté folle. Il arrive un moment dans le film où les différents rouages du récit, autonomes jusque-là, s'emboîtent et forment une certaine cohérence laissant s'échapper la suite des péripéties avec une certaine prévisibilité. Mais même à ce moment-là, le thriller a su tisser son atmosphère pesante et parvient à aligner quelques séquences convenues mais pas moins étouffantes — la convocation du lendemain matin, l'arrestation en pleine nuit par une patrouille sur la route, et quelques autres. <ins>Reptile</ins> se révèle très habile dans sa capacité à semer des indices et des fausses pistes, en jouant sur des motifs largement connus tout en développant des choses plus originales, sans que l'exercice ne devienne pénible. On choisit d'accorder de l'importance à ces détails, ou pas.</p>
<p>Et il faut avouer que dans mon visionnage, c'est <strong>Benicio del Toro </strong>le flic qui a bouffé toute l'attention, écrasant allègrement le personnage de <strong>Justin Timberlake </strong>(très bien dans le rôle, mais un peu faiblard en fils d'une femme à la tête d'un puissant empire immobilier) et celui de <strong>Michael Pitt </strong>(pourtant particulièrement gratiné, un peu trop à mon goût dans le registre "je suis le voisin destroy, voyez ce super suspect"). Le rapport du protagoniste avec sa femme, <strong>Alicia Silverstone</strong>, est également bien écrit et pas du tout laissé en marge au-delà du simple fait que cette dernière est liée à l'équipe de son mari constituée d'enquêteurs. Car c'est aussi un film sur un flic dont les frontières vacillent, qui se pose beaucoup de questions sur sa femme, sur son boulot, sur son intégrité. Un flic qui prend conscience de certaines illusions, et qui prend des coups. À ce titre le travail au niveau de l'ambiance sonore pourra déplaire à certains par sa prédominance, mais j'ai personnellement beaucoup aimé l'immersion provoquée et la sensation de malaise occasionnée par certaines dissonances. C'est en réalité à l'image du reste : un peu trop démonstratif par moments, comme beaucoup de premiers films qui veulent laisser une empreinte, mais suffisamment fluide et satisfaisant dans la mise en scène pour produire un portrait désenchanté captivant, sans toutefois prétendre révolutionner le genre.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/img1.jpg" title="img1.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/img2.jpg" title="img2.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/img3.jpg" title="img3.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/img4.jpg" title="img4.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reptile_2023/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, oct. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Reptile-de-Grant-Singer-2023#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1264Comment tuer un juge (Perché si uccide un magistrato), de Damiano Damiani (1975)urn:md5:b23d4cdcb981c62ff8120f85d738cbc52023-09-27T15:12:00+02:002023-09-27T15:12:00+02:00RenaudCinémaAssassinatCensureComplotCulpabilitéDamiano DamianiDouteFranco NeroFrançoise FabianIntégritéItalieJusticeMafiaMortPolitiqueSicileThriller <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/comment_tuer_un_juge/.comment_tuer_un_juge_m.jpg" alt="comment_tuer_un_juge.jpg, sept. 2023" class="media-center" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Nero dans l'étau du doute</strong></ins></span></div>
<p>Le style <strong>Damiani </strong>commence à se dégager plus précisément, et surtout au creux du cinéma politique italien des années 70, années de plomb. Je n'ai pas encore assez de recul pour percevoir la portée méta du personnage de <strong>Franco Nero </strong>dans sa totalité, mais il paraît assez évident de voir dans son personnage de cinéaste, avec un film dans le film qui se trouve être un thriller politique mettant en scène la mort d'un juge proche de la mafia, une dualité avec sa propre personne. Le personnage en question, Solaris, se retrouve au milieu de ce qui ressemble à un complot mafieux et politique lorsqu'un vrai magistrat est assassiné, peu de temps après s'être prononcé contre la censure dudit film.</p>
<p><strong>Franco Nero</strong>, au-delà de son regard bleu perçant (impressionnant ici), incarne une forme de droiture, de probité et d'intégrité mises à mal dans ce monde de fous, reflet de la société italienne. D'un côté <ins>Perché si uccide un magistrato</ins> travaille la fibre du thriller politique avec les morts qui s'amoncellent autour de lui, alimentant diverses hypothèses plus ou moins complotistes, sans qu’on ne parvienne à cerner précisément le contour de la conspiration. De l'autre côté, il y a cette dimension de porte-parole qui évite très clairement le manichéisme et l'illusion d'omniscience en avançant à visage découvert, c'est-à-dire avec les idéaux clairement établis, mais en avançant dans le même temps toute la montagne d'incertitudes qui les accompagne. On sent chez le personnage de <strong>Nero </strong>beaucoup de culpabilité et de questionnements, doutant régulièrement de ses actions et de leurs conséquences, avec bien sûr en tête la sortie de son film qu'il pense pouvoir être à l'origine du meurtre du juge sicilien.</p>
<p>Le personnage de la veuve, dans un premier temps associé à la défense de l'honneur de son mari, offre un très solide contrepoint grâce à l'interprétation de <strong>Françoise Fabian </strong>: pendant un très long moment, tant que la pelote n'est pas déroulée, on l'image enfermée dans le déni, meurtrie, potentiellement apeurée. La réalité sera bien plus sale moralement, même si elle conserve une part de dignité au sein de la toile vénéneuse des puissants et des influents qui cherchent à faire taire les forces menaçant leurs intérêts. C'est un jeu tout en coups cachés où chaque pôle essaie de protéger ses intérêts personnels, et qui souligne sans forcer les méandres de la corruption et de la manipulation. <strong>Nero </strong>dans le rôle du cinéaste-enquêteur qui se bat contre des moulins à vent, plus fébrile qu'à l'accoutumée, est très convainquant, jusqu'à la découverte tristement prosaïque de la vérité. Le dernier plan, avec les différents groupes journalistes / politiques / mafieux, fait son petit effet.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/comment_tuer_un_juge/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/comment_tuer_un_juge/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/comment_tuer_un_juge/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/comment_tuer_un_juge/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, sept. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/comment_tuer_un_juge/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, sept. 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Comment-tuer-un-juge-de-Damiano-Damiani-1975#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1240Le Héros sacrilège, de Kenji Mizoguchi (1955)urn:md5:75e4e6ec24999f81057a91b4f2620e4f2020-06-19T16:47:00+02:002020-06-19T16:47:00+02:00RenaudCinémaCritiqueHistoireIntégritéJaponKenji MizoguchiMoyen ÂgePouvoirSamouraïSecret <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.heros-sacrilege_m.jpg" alt="heros-sacrilege.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Émancipation de la classe des samouraïs<br /></strong></ins></span></div>
<p>La situation initiale pourtant bien détaillée dès l'introduction de <ins>Le Héros sacrilège</ins> est un obstacle à la compréhension en soi, du moins lorsqu'on n'est pas Japonais et en pleine connaissance de son histoire médiévale. Il faut un certain temps pour bien s'imprégner de tous les détails, tous les antécédents, et tous les rapports de force qui constituent la toile de fond sur laquelle viendra s'écrire cette histoire en 1170, à une époque où le Japon était gouverné par deux empereurs — source de nombreux conflits. Un long préambule écrit résume la situation complexe du pays, au sein duquel le pouvoir est accaparé et maintenu par un groupe social hétérogène composé de nobles et de moines, qui chacun à sa façon désire entretenir des privilèges en exerçant des pressions de nature politique ou religieuse. <strong>Mizoguchi </strong>fait le choix de s'intéresser à une classe alors inférieure, celle des samouraïs, condamnés à constituer le bras armé du pouvoir tout en restant exclus des sphères décisionnelles et des zones de respect.</p>
<p>C'est dans ce cadre, maillé par un réseau complexe de liens de subordination, que le samouraï Tadamori et son fils Kiyomori essaient de se frayer un chemin vers la cour impériale, de retour d'une guerre victorieuse, dans l'espoir d'obtenir de l'estime de la part des puissants en lieu et place du mépris ancestral.</p>
<p>La couleur en teintes pastel, chose rare chez <strong>Mizoguchi </strong>(sa filmographie, essentiellement en noir et blanc, ne comptera que deux tentatives de la sorte), contribue très efficacement au sentiment d'immersion, notamment dans les premières séquences, en évoluant dans différents recoins d'un marché. La dynamique des foules, les scènes de liesse au même titre que les échauffourées, témoigne un certain sens du détail très appréciable. Tous ces éléments graphiques composent aussi un discours, en illustrant successivement les différentes situations de domination, lorsque Tadamori est traité avec condescendance, puis lorsqu'il est adoubé (avec les costumes de circonstance) avant d'être à nouveau déchu. Ce sera la même chose pour Kiyomori, attiré par les beaux tissus, dans sa position de valeureux guerrier pourfendeur de la superstition : la scène en habits de combat, où il tire sur les miroirs des palanquins avec son arc, brisant ainsi des croyances centenaires entretenues par les moines opportunistes, est d'une grande beauté. <strong>Mizoguchi </strong>fait le choix de ne pas s'intéresser aux conséquences ultérieures de ces actes, au-delà de la terreur immédiate suscitée chez les moines, pour se concentrer sur la confiance nouvelle dont Kiyomori peut enfin bénéficier, sûr de l'identité de son géniteur et de ses origines après avoir déjoué un complot.</p>
<p>D'un scénario historique complexe jalonné de conflits politiques, <strong>Mizoguchi </strong>en extrait une très belle parabole sur l'avènement de la gouvernance des samouraïs. Une plongée acerbe dans le système féodal profondément inégalitaire, gangréné par les luttes de pouvoir, qui ne sera dépassé que par l'acharnement d'une émancipation sacrilège mais bienveillante, à travers les classes et détachée des liens parentaux traditionnels. La dernière séquence, dans laquelle Kiyomori observe sa mère insouciante dans une vaste champ sans pouvoir l'approcher, offre en ce sens un délicieux dernier regard.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.arbres_m.jpg" alt="arbres.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.arc_m.jpg" alt="arc.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.foret_m.jpg" alt="foret.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.robe_m.jpg" alt="robe.jpg, juin 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Heros-sacrilege-de-Kenji-Mizoguchi-1955#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/793Le Gouffre aux chimères, de Billy Wilder (1951)urn:md5:f27eacce7708b685110549bc9e8bf7352019-07-01T12:07:00+02:002019-07-01T11:22:52+02:00RenaudCinémaBilly WilderGrotteIntégritéJournalismeKirk DouglasMédiasProbité <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gouffre_aux_chimeres/.gouffre_aux_chimeres_m.jpg" alt="gouffre_aux_chimeres.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="gouffre_aux_chimeres.jpg, juil. 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"We're all in the same boat! — I'm in the boat. You're in the water. Now let's see how you can swim."</strong></ins></span>
</div>
<p>Existe-t-il un autre réalisateur, toutes époques confondues, présentant des signes de bipolarité cinématographique aussi prononcés que ceux qui émanent de la filmographie de <strong>Billy Wilder </strong>? D'un côté, les comédies sophistiquées : <ins>Some Like It Hot</ins>, <ins>The Major and the Minor</ins> (Uniformes et Jupon court), <ins>Kiss Me, Stupid</ins>, etc. De l'autre, les films noirs radicaux : <ins>Sunset Boulevard</ins>, <ins>Double Indemnity</ins> (Assurance sur la mort), etc. La dichotomie ne s'étend pas de manière exhaustive à l'ensemble de ses films, mais ces deux composantes restent suffisamment proéminentes pour en faire une œuvre très atypique. <ins>Ace in the Hole</ins> (Le Gouffre aux chimères) appartient en tous cas très nettement à la seconde catégorie, et nous embarque dans un voyage au Nouveau-Mexique aux côtés de Charles Tatum, un journaliste relativement étranger au concept de probité. <strong>Kirk Douglas</strong>, toujours aussi impressionnant de constance quel que soit le genre et l'époque, est au centre d'un portrait de la société du spectacle (longtemps avant que la dénomination ne soit formalisée) incroyablement visionnaire.</p>
<p>La description du personnage de Tatum est ébauchée en seulement quelques traits, mais ils sont largement suffisants : on apprend qu'il a été licencié de plusieurs journaux américains renommés en dépit de son grand talent (c'est ainsi qu'il se voit en tous cas), suite à diverses histoires d'alcool, de femme, et d'éthique. Son sourire semi-carnassier parle de lui-même, c'est un homme sûr de lui qui ne prend que très peu de risques — comme son patron, il porte d'ailleurs ceinture ET bretelles. C'est ainsi qu'il débarque dans un trou paumé des États-Unis, non loin de la frontière mexicaine, un coin où la chasse au crotale constitue la principale activité des habitants et la principale matière première du journal local. Heureusement pour lui, Léo, un mineur indien, aura la bonne idée de se retrouver coincé au fond d'une galerie effondrée : une occasion en or, car comme il le répètera, "<em>Bad news sells best</em>". Difficile de le contredire. C'est le carré d'as au fond du trou à l'origine du titre original, et les chimères au fond du gouffre dans sa traduction française. De ce fait divers a priori anodin et inoffensif, Tatum batira un empire médiatique monumental sur lequel il règnera sans partage. Au "<em>We're all in the same boat!</em>" que lui lancera un ancien confrère à son arrivée sur les lieux, il lui répondra un cinglant "<em>I'm in the boat. You're in the water. Now let's see how you can swim.</em>"</p>
<p><strong>Kirk Douglas </strong>s'en donne à cœur joie dans le rôle de ce journaliste mégalomane. <ins>Le Gouffre aux chimères</ins> détaille avec une précision presque sadique (on oublie régulièrement qu'un homme est en train de crever au fond d'un trou) comment Tatum manipule l'ensemble des intervenants locaux, de la femme de la victime (réplique ultime : "<em>I don't go to church. Kneeling bags my nylons.</em>") jusqu'au shérif, afin de s'arroger une exclusivité absolue sur l'événement. Il manipule les politiciens en les faisant entrer dans un cirque médiatique dont ils sauront tirer un grand profit (financier pour l'un, électoral pour l'autre) dans un joli concerto de magouilles, il flirte avec la femme du mineur (en lui assurant que l'accident aura des répercussions intéressantes sur son commerce) tout en fraternisant avec ce dernier lors de ses captations d'informations régulières. Toute la litanie de la presse à scandale est déjà là, avec la photo voyeuriste et sordide en première page ou encore les détails croustillants qui auront tôt fait d'intriguer les badauds passant par là avant de s'étendre à très grande échelle. La curiosité malsaine ne connaît aucune limite, et l'hypocrisie de Tatum atteindra des sommets de perfidie lorsqu'il persuadera les secours d'adopter la méthode de sauvetage la plus lente tout en assurant à Léo que tout est fait pour le sortir de son désespoir au plus vite.</p>
<p>Au milieu de cet océan d'obscénité et de cupidité agrémentées de corruption, quelques îlots satiriques subsistent : c'est notamment le cas de l'immense panneau situé à l'entrée du site de la grotte, affichant la mention "Free" au tout début de l'histoire avant de voir son tarif augmenter vers 25 cents, 50 cents et 1 dollar à mesure que la popularité de l'événement croît, pour in fine se transformer en une petite pancarte indiquant de manière ironique que l'argent récolté alimentera un fonds de soutien pour la mission de secours de Léo. Mais l'apogée de cette trajectoire fulgurante, au sens propre comme au sens figuré, c'est bien sûr lorsque <strong>Kirk Douglas</strong>, du haut de la montagne, s'adresse à la foule immense de curieux amassés par milliers devant la grotte de la bien-nommée "montagne des sept vautours". C'est en sa qualité de demi-dieu sur Terre qu'il leur annonce la fin tragique de l'histoire, avant que toute la populace ne s'éclipse en un clin d'œil, une fois la source tarie. La critique n'épargne donc pas le public : derrière l'audience, il y a bien des auditeurs, et si les médias arborent régulièrement leurs costumes d'abominables monstres, les vautours affluent en masse pour dépecer la charogne (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=feNQK5hE5B4" title="https://www.youtube.com/watch?v=feNQK5hE5B4">https://www.youtube.com/watch?v=feNQK5hE5B4</a>, âmes sensibles s'abstenir).</p>
<p>L'ultime partie du film prend une dimension un peu théâtrale en prolongeant le déchaînement de Tatum jusqu'à son anéantissement, entre un épuisement absolu et une blessure non-soignée, en s'effondrant aux pieds de son patron. La conséquence d'un revirement soudain, in extremis, à demi-rédempteur, comme s'il avait fini par contracter une petite part d'humanité au contact de Léo que son système ne tolérait pas. <strong>Wilder </strong>termine ainsi son pamphlet sur une note emphatique (et très peu empathique) quelque peu dommageable, même si elle n'entache en rien la parabole d'une cruauté et d'une noirceur implacables. La férocité de la charge et la lucidité du constat restent intactes près de 70 ans plus tard.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gouffre_aux_chimeres/.secours_m.jpg" alt="secours.jpg" title="secours.jpg, juil. 2019" /><br /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gouffre_aux_chimeres/.trou_m.jpg" alt="trou.jpg" title="trou.jpg, juil. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Gouffre-aux-chimeres-de-Billy-Wilder-1951#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/664Orochi, de Buntarō Futagawa (1925)urn:md5:6cb75b9c85bd3d84042e472d2f01f70c2018-09-19T10:36:00+02:002018-09-19T11:43:57+02:00RenaudCinémaBenshiChanbaraCinéma muetIntégritéJaponSamouraï <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/orochi/.orochi_m.jpg" alt="orochi.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="orochi.jpg, sept. 2018" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Cinéma muet, cinéma parlant<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>L'histoire des benshi au Japon mériterait un ample développement, alors que j'en découvre l'existence, l'importance et les fonctions à travers ce chanbara, l'un des premiers du genre, pourvu de certaines caractéristiques très originales.</p>
<p>À l'époque du cinéma muet, les benshi lisaient à voix haute les intertitres pour l'audience, analphabète en grande partie, mais commentaient également le film de manière relativement subjective en décrivant les actions à l'écran ou en énonçant des dialogues de leur cru. Tous ces textes étaient inventés à l'occasion de chaque représentation, colorant le cinéma muet de manière très singulière — et il faut le dire un peu déroutante quand on n'y est pas habitué, car cela perturbe énormément le déroulement de la narration classique, minimaliste, dans ce registre d'habitude peu loquace. Les histoires pouvaient ainsi différer sensiblement d'un benshi à un autre, et ils disposaient ainsi d'un pouvoir sur le récit qui allaient jusqu'à les rendre plus célèbres que les acteurs, réalisateurs et autres personnes impliquées dans les films qu'ils décrivaient. L'existence et l'importance capitale des benshi dans les années 20 expliquent aussi (en partie sans doute) le décalage dans l'arrivée du cinéma parlant au Japon, à la fin des années 30 : il y eut par exemple une grève des benshi en 1932 pour tenter de résister à la disparition de leur métier. Des détails (pour nous) de l'histoire du cinéma assez intéressants, qui renversent certaines perspectives : on peut par exemple considérer que le cinéma muet n'a jamais existé en tant que tel au Japon, que les images ne servaient qu'à illustrer un spectacle de benshi (thèse défendue par M'guela Li), ou encore qu'au Japon, le cinéma serait né avec le parlant...</p>
<p>Cette parenthèse refermée, <ins>Orochi</ins> constitue sans difficulté (une partie de) l'avant-garde des films de samouraïs attachés à la critique de leur code, le bushido, et on peut y avoir les prémices de la déconstruction d'une sorte de mythe qui peuplera le cinéma japonais trois ou quatre décennies plus tard.. L'archétype absolu de ce courant étant sans doute le magnifique <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike"><ins>Harakiri</ins></a> de <strong>Masaki Kobayashi</strong>, en 1962. Sans trop verser dans le misérabilisme, <strong>Buntarô Futagawa </strong>pose un regard extrêmement pessimiste sur le monde et sur l'environnement du samouraï. Le protagoniste est un samouraï à l'intégrité et au sens moral irréprochables, honnête, loyal, fidèle à son maître autant qu'à sa dulcinée, mais dont la douce naïveté et la probité absolue précipiteront sa chute, dans un univers intrinsèquement corrompu où la vertu seule ne suffit pas.</p>
<p>Il n'y a pas de place pour les héros dans cet espace vicié, et les plus nobles des samouraïs, aussi bien intentionnés soient-ils, font partie de ceux qui souffrent le plus. Le personnage interprété par <strong>Tsumasaburo Bando </strong>(excellent acteur au demeurant, à creuser) renferme à ce titre nombre d'éléments constitutifs des rôles à venir de <strong>Toshiro Mifune </strong>ou <strong>Tatsuya Nakadai</strong>, dans le registre du samouraï maudit. Et le combat final offre un climax aussi intéressant que captivant, très dynamique (1925 bon sang !), ne laissant aucune chance au héros et aucune place au happy end.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/orochi/.combat_m.png" alt="combat.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="combat.png, sept. 2018" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Orochi-de-Buntaro-Futagawa-1925#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/552Karla, de Hermann Zschoche (1965)urn:md5:11ebd78f1ae6649740b2f0c95483a5982017-10-04T13:24:00+02:002017-10-06T13:43:00+02:00RenaudCinémaAllemagneEmancipationEnseignementIntégritéSoumissionTotalitarisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/karla/.karla_m.jpg" alt="karla.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="karla.jpg, oct. 2017" /><div id="centrage">
<p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Émancipation et normalisation par l'enseignement<br /></strong></ins></span></p>
</div>
<p>Même si les deux films aspirent à des thématiques et à des développements sensiblement différents, <ins>Karla</ins> peut rappeler, dans la rigueur des portraits et dans le justesse du ton, un autre excellent film centré sur les problématiques liées à l'enseignement, à ses exigences et à ses contradictions : <ins>L'Ombre d'un homme</ins> (<em>The Browning Version</em> en V.O.). Plus d'une décennie les sépare et les contextes géopolitiques n'ont littéralement rien à voir : d'un côté, l'Allemagne côté RDA toujours en reconstruction morale 20 ans après la Seconde Guerre mondiale et le spectre du totalitarisme toujours présent ; de l'autre, une approche beaucoup plus intellectuelle, presque théorique, mais non dénuée d'émotions, avec tout la finesse et la délicatesse qu'on peut attribuer au charme britannique. Il n'empêche : les deux films proposent, en empruntant des chemins bien différents, de très beaux regards sur les dilemmes de l'enseignement et sur le questionnement de son intégrité.</p>
<p>La Karla du titre est une jeune enseignante tout juste diplômée, dans le cadre de l'Allemagne de l'Est des années 60, confrontée pour la première fois à une classe. Elle déborde d'enthousiasme pour enseigner la pensée critique à ses élèves, mais son idéalisme se retrouvera très vite annihilé par la rigidité idéologique de l'établissement et par l'incompréhension générale que sa méthode suscite dans un premier temps. La fonction première du système semble consacrée à la modération des ardeurs des individus les plus téméraires, en encourageant à des degrés divers l'enseignement des thèses et des programmes officiels. </p>
<p><ins>Karla</ins> pourrait être symbolisé par (voire résumé à) son mouvement de va-et-vient entre deux pôles, deux désirs intrinsèques : l'émancipation et la normalisation. La professeure éponyme incarne avec autant de tendresse que de conviction une nouvelle vague, une nouvelle génération d'Allemands (de l'Est, encore une fois) désireux de penser par eux-même, en dehors d'un certain carcan idéologique. Mais le refus d'alignement à la norme et le désir criant d'indépendance intellectuelle n'ont guère de place dans la société décrite ici presque par allégorie, dans un établissement scolaire. Le comportement de Karla, dans sa philosophie éducative comme dans ses fréquentations (Kaspar, notamment, un journaliste opposé à la censure soviétique), la contraindra dans un premier temps à la résignation. Pire : comble de l'ironie, cette résignation, constitutive d'une forme de soumission tout à fait consciente, sera récompensée quelques mois plus tard par l'administration. Mais la cérémonie englobant cette récompense, censée consacrer le fait que Karla soit rentrée dans le rang, suscite de manière paradoxale un électrochoc salvateur : elle se réveillera d'une sorte de léthargie psychique en réalisant sa compromission et ses nombreux renoncements.</p>
<p>Un réveil qui lui coûtera cher, et un combat contre l'hypocrisie inculquée de manière implicite à l'école voué à l'échec. Le directeur se justifie d'ailleurs à ce sujet, en insistant sur le fait que cette supposée hypocrisie ne figure
dans aucun programme. Il profite ainsi du fait que les enfants ne peuvent pas
mettre les mots sur cette situation et exploite le trait commun des élèves soumis voulant "bien faire". Cela donne lieu à une séquence marquante de remise de dissertations sur le thème "Que m'a apporté l'école", étalage absolu d'hypocrisie plus ou moins volontaire : "on m'a appris la franchise", "le directeur m'a toujours soutenu", "on m'a aidé à corriger mon manque de clarté idéologique", etc. La logique de la compromission commence ici : plus je loue l'école, plus l'école me louera en retour. Devant cette absence manifeste de sincérité, Karla a essayé d'éveiller l'envie, le courage, et le besoin de donner son véritable avis avant de revenir sur tout cela : elle est revenue sur l'envie en évitant d'aborder les problèmes délicats, sur le courage en récompensant ceux qui répètent bêtement des thèses, et sur le besoin de s'exprimer en les gavant de contenu de programme. Le constat est amer, la remise en question tragique : Karla ira même jusqu'à comparer ses élèves à des volailles engraissées avant l'examen, devenues incapables de voler par leurs propres moyens.</p>
<p>On n'a aucun mal à comprendre pourquoi le film (pourtant produit par la DEFA, le studio d'État de la RDA), mettant en scène l'exercice du libre arbitre et de la liberté d'opinion et raillant allègrement la rigidité d'une idéologie bien identifiée, fut pendant longtemps interdit dans son pays. <ins>Karla</ins> est pourtant le portrait croisé d'un lieu (une école), d'une époque (les années 60 en Allemagne de l'Est), et d'une galerie de personnages (élèves, enseignants, directeur et inspecteur) qui brille par sa finesse et sa pertinence. Tout ce petit monde évolue de manière extrêmement naturelle sans faire l'impasse sur les implications intellectuelles des différentes postures, et de manière extrêmement sensée sans s'enfoncer dans les affres des représentations archétypales ou programmatiques. La complexité de l'univers et de l'état d'esprit de la protagoniste est retranscrite simplement, avec vitalité, au creux d'un parcours idéologique passionnant, balisé par les contraintes d'un totalitarisme en embuscade, d'un côté, et de l'autre par un désir d'émancipation et d’insoumission inextinguible.</p>
<p>Film disponible sur le site d'Arte jusqu'en mai 2018 : <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/ https://www.arte.tv/fr/videos/067895-005-A/karla/"> https://www.arte.tv/fr/videos/067895-005-A/karla/</a></p>
<div id="centrage>
<img src="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/ public="" renaud="" cinema="" karla="" .lac_m.jpg"="" alt="lac.jpg" title="lac.jpg, oct. 2017" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/karla/.rue_m.jpg" alt="rue.jpg" title="rue.jpg, oct. 2017" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/karla/.classe_m.jpg" alt="classe.jpg" title="classe.jpg, oct. 2017" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/karla/.lac_m.jpg" alt="lac.jpg" title="lac.jpg, oct. 2017" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Karla-de-Hermann-Zschoche-1965#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/450Le Verdict, de Sidney Lumet (1982)urn:md5:a366676eb53e01ad324caaa6d249eacc2016-09-28T21:39:00+02:002016-09-29T10:39:58+02:00RenaudCinémaIntégritéManipulationPaul NewmanProcèsSidney Lumet <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/verdict/.verdict_m.jpg" alt="verdict.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="verdict.jpg, sept. 2016" />
<div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>Le Droit du plus fort<br /></strong></ins></span></p>
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<p>Le savoir-faire de <strong>Sidney Lumet</strong>, en termes de puissance du montage, de narration millimétrée et d'enjeux détournés, est une sucrerie dont je ne me lasserai, je pense, jamais. De ce qui se présente initialement comme une banale histoire de procès tranché, avec vraies victimes et vrais méchants, <ins>Le Verdict</ins> dérive lentement mais sûrement vers quelque chose de beaucoup moins manichéen et parvient à tisser des liens vers des thématiques, des questionnements, voire des affirmations qu'on n'aurait absolument pas pressentis de prime abord.</p>
<p>Le thème de l'injustice est un pan monumental dans l'œuvre de <strong>Lumet</strong> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Douze-Hommes-en-Col%C3%A8re%2C-de-Sidney-Lumet-%281957%29"><ins>12 Hommes en colère</ins></a>, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Colline-des-Hommes-Perdus%2C-de-Sidney-Lumet-%281965%29"><ins>La Colline des hommes perdus</ins></a>, <ins>Serpico</ins>, pour ne citer qu'eux), et on le retrouve ici côte à côte avec celui, très hollywoodien, de l'homme seul, déchu, face à un adversaire puissant et redoutablement bien organisé. Adversaire qui prend la forme d'une institution (comme souvent chez <strong>Lumet</strong>, que ce soit la justice comme ici, l'armée ou la police), en mesure de manipuler très efficacement l'opinion publique et orienter l'issue d'un procès. C'est donc à travers la figure de l'anti-héros qu'incarne <strong>Paul Newman </strong>(excellent, vraiment, du même niveau que son rôle dans <ins>Luke la main froide</ins>, dans un registre bien différent) que cette structure colossale s'ébranlera et c'est à travers des sentiers détournés que pourra rejaillir la justice des hommes.</p>
<p>D'un point de vue technique, on sent très vite que <strong>Sidney Lumet </strong>n'est pas né de la dernière pluie et opère depuis presque trente ans. La mise en scène est d'une efficacité redoutable tout en se faisant particulièrement discrète : elle n'impose pas ses mouvements de caméra ni son découpage de l'action, elle nous laisse délicatement les savourer. La direction d'acteur est ainsi mise en avant, et c'est du boulot de pro, je ne vois pas comment le dire autrement. Il y a un sens du détail succulent pour peu qu'on y soit réceptif, dans la façon qu'a la caméra de saisir un changement de cap comme dans le travail d'interprétation (jusque dans les seconds rôles) et dans l'écriture du scénario. Dans certains recoins du scénario tout du moins, car comme souvent chez <strong>Lumet</strong>, on retrouve une certaine propension à simplifier les conflits et les parties de part et d'autre (les plaignants sont blancs comme neige, les avocats de la partie adverses sont vérolés jusqu'à l'os). <ins>Le Verdict</ins> évite cependant un manichéisme direct, heureusement, puisque le protagoniste est décrit dans un premier temps comme un homme pas vraiment avenant, tapant l'incruste dans différentes cérémonies d'enterrement pour trouver des clients de manière assez peu honorable.</p>
<p>Certes, donc, le film manque parfois de singularité, voire d'ambiguïté chez certains personnages, mais l'ensemble s'exécute plutôt adroitement. La société américaine est dépeinte de manière très violente, notamment dans la description des rapports de force entre les êtres humains lambda et les bras armés des différentes institutions (hôpital, justice, église). Ce qui est frappant durant ce procès, c'est que les différentes parties ne se demandent plus si telle chose (un fait, une déclaration, une erreur) est vraie ou non car elles ne l'analysent qu'à travers la perspective de leur propre intérêt. La question de l’ecclésiastique à son lobbyiste est à ce titre marquante, tant elle paraît déplacée du point de vue de l'intéressé (en substance, pourquoi se soucier de la véracité d’un élément du dossier tant qu’il est à notre avantage ?). Même le personnage interprété par <strong>Paul Newman </strong>n’est pas fondamentalement altruiste, puisqu’il s’investit dans cette affaire par pur intérêt personnel. Ses choix en termes de plaidoirie sont orientés par son propre profit avant qu’une lueur de conscience n’émerge — de manière un peu trop éloquente lors du dernier discours. La conviction, semble-t-il, n’a rien d’innée : elle se travaille, elle se construit.</p>
<p>Au final, c’est bien dans la décision des différents membres du jury que se trouve l’éclair d’humanité, la vérité selon <strong>Lumet</strong>, et non pas dans l’institution de la justice. Le droit n’est au final qu’une arme dont les puissants peuvent s’emparer à travers leurs avocats et leur connaissance précise de son exécution, à grand renfort d’alinéas interminables et parfois éloignés de la réalité. <strong>Lumet </strong>dépeint le droit américain dans toutes ses faiblesses, englué dans tant de basses manœuvres et dans un bouillon de corruption infâme. Il fournit de la sorte les bâtons de dynamite pour faire exploser une institution.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/verdict/.contreplongee_m.jpg" alt="contreplongee.jpg" title="contreplongee.jpg, sept. 2016" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/verdict/.rampling_m.jpg" alt="rampling.jpg" title="rampling.jpg, sept. 2016" /><br /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/verdict/.proces_m.jpg" alt="proces.jpg" title="proces.jpg, sept. 2016" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/verdict/.newman_m.jpg" alt="newman.jpg" title="newman.jpg, sept. 2016" /></div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Verdict-de-Sidney-Lumet-1982#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/350