Je m'attarde - Mot-clé - Luis Buñuel le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearUn clou dans la botte, de Mikhaïl Kalatozov (1931)urn:md5:62e324a7da3412d2a8269f3e43cb691c2022-03-04T12:35:00+01:002022-03-04T12:42:24+01:00RenaudCinémaKaneto ShindōLuis BuñuelMikhaïl KalatozovProcèsPropagandeRussieTrain <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.clou_dans_la_botte_m.jpg" alt="clou_dans_la_botte.jpg, fév. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Agitprop de ferrailleur <br /></strong></ins></span>
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<p>Plus je parcours leurs filmographies respectives et plus je trouve que l'expression formaliste radicale de <strong>Mikhaïl Kalatozov </strong>et celle de <strong>Kaneto Shindō </strong>entrent en résonance, comme un parallèle entre la Russie soviétique et le Japon avec comme dénominateur commun temporel les années 50/60. C'est la simplicité extrême du scénario de <ins>Un clou dans la botte</ins> qui m'a rappelé l'équivalent du côté de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-ile-nue-de-Kaneto-Shindo-1960"><ins>L'Île nue</ins></a> notamment, où comment un soldat se retrouve jugé au tribunal pour avoir failli dans sa mission à cause d'un clou ayant transpercé sa semelle. Bien sûr les modes d'expression cinématographiques, s'ils se rejoignent dans la forme, n'ont aucune base commune : aucune trace de propagande chez le réalisateur japonais, là où les débuts de <strong>Kalatozov </strong>sont charpentés par les ordres soviétiques — quand bien même il aurait essuyé des mouvements de censure, particulièrement dans les années 20 et 30.</p>
<p>Ce formalisme-là, étonnamment en première intention, n'était pas apprécié par le régime soviétique : s'il y a la radicalité d'un discours de propagande, on peut comprendre que les accents surréalistes qui pourraient rappeler un <strong>Buñuel </strong>par exemple ne soient pas au goût de la censure. Reste un film qui donne une vision pas éminemment glorieuse du soldat soviétique, puisque le héros échoue dans sa mission à cause d'un vulgaire clou. Là où toute la première partie est dévouée à la démonstration de la puissance de feu d'un train militaire, la seconde s'empare de la question de la faute avec un procès typiquement stalinien : le soldat est accusé d'avoir failli, d'avoir déçu sa mère patrie, et d'avoir laissé ses camarades restés dans le train périr dans une attaque au gaz. Un renversement de situation plutôt improbable retourne cependant la conclusion : la faute revient en fait aux fabricants de chaussures, pardi ! Si le clou a traversé la botte, c'est parce qu'elles n'étaient pas bien confectionnées ! On aurait pu célébrer les fabricants de clou ceci dit, m'enfin... Le message est clair : tout comme les soldats au front, tous ceux qui restent à l'arrière doivent donner leur maximum.</p>
<p>On retrouve du début à la fin le moteur de ce formalisme si particulier, ce montage percutant, frénétique, parallèle, asséné avec force pour inciter à la cohésion de la population. Le schéma est simple : une pauvre petite botte défectueuse et c'est tout un arsenal national qui peut périr. Mais en dépit de cette simplicité acharnée — un peu trop excessive à mon goût, dois-je avouer — j'adore toujours autant la dynamique de l'emballement retranscrite en langage visuel follement éloquent. Encore un morceau d'agitprop pure et dure, et mention spéciale, tout de même, à ce train blindé particulièrement photogénique.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.img1_m.png" alt="img1.png, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.img2_m.png" alt="img2.png, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.img3_m.png" alt="img3.png, fév. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-clou-dans-la-botte-de-Mikhail-Kalatozov-1931#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1037Viridiana, de Luis Buñuel (1961)urn:md5:d68e5f5749c739b75be48a110cf29eed2020-09-22T09:46:00+02:002020-09-22T09:46:00+02:00RenaudCinémaBourgeoisieIdéalismeLuis BuñuelReligionSatireSexeSymbolisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/viridiana/.viridiana_m.jpg" alt="viridiana.jpg, sept. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Brueghel s'invite chez de Vinci<br /></strong></ins></span></div>
<p>Plus que dans l'anticléricalisme, il semblerait que la saillie de <strong>Luis Buñuel </strong>s'oriente en direction de l'idéalisme, de manière plus globale, en détruisant méthodiquement les aspirations très pures de la belle Viridiana. Dans les moments qui devaient précéder son entrée au couvent, sur ordre de la mère supérieure, la jeune femme rend visite à son bienfaiteur et vieil oncle veuf (sa femme est morte le soir de leur nuit de noces, dit-on...) et y découvrira l'abjection de toutes parts. <strong>Silvia Pinal </strong>et <strong>Fernando Rey</strong>, respectivement dans ces deux rôles, sont éblouissants tant du point de vue de la pureté maltraitée dans ses illusions que de la lubricité mal contenue.</p>
<p><strong>Buñuel </strong>ne s'arrêtera pas en si bon chemin, et si l'on pourrait lui reprocher une certaine sauvagerie dans le trait bien épais quand il s'agit de révéler la monstruosité de l'humanité tout entière, il n'en reste pas moins que cette parodie fielleuse de <ins>La Cène</ins> revisitée par <strong>Brueghel</strong>, servie en guise de dessert, contient une dose de causticité presque létale. L'image est on ne peut plus grinçante. On ne compte plus les plans équivoques, le long d'une série amorcée par la séquence où Viridiana se trouve face aux pis d'une vache qui n'auront jamais été aussi phalliques. Empreint d'une provocation qui a germé dans l'Espagne de Franco, <strong>Buñuel </strong>lacère le corps de la bienséance, de la bigoterie et de l'empathie, et s'en donne à cœur joie pour recouvrir de sel toutes ces plaies béantes. Les tabous tomberont les uns après les autres, à mesure que seront abordés l'inceste, le viol et le suicide, le désir, le triolisme et le stupre, la culpabilité, la bonne conscience et l'exclusion.</p>
<p>Le ton de <ins>Viridiana</ins> relève presque de l'acharnement, tant la méchanceté révèle toutes ses facettes avec une frénésie incroyable, sur fond de <strong>Haendel</strong>. Pourtant, chose étrange, malgré la débauche omniprésente et les excès tous azimuts, le récit ne sombre jamais dans le mauvais goût. Le symbolisme est bien là, avec la virginité profanée, le crucifix en couteau ou encore la couronne d'épine qui s'embrase (voire même le chat qui saute sur la souris, lorsque <strong>Fernando Rey </strong>se rabat sur sa bonne, pour le moins efficace d'entre eux), mais sans jamais se vautrer la lourdeur insistante. C'est sans doute qu'en toile de fond, ces émanations du mal sont sans cesse mises en perspective avec la volonté de Viridiana et un aveuglement généralisé, avec le profane qui répond à toutes les formes d'idéaux.</p>
<p>À travers le parcours d'une chaste demoiselle malmenée par son environnement, <strong>Buñuel </strong>l'insolent tresse les fils d'un récit d'apprentissage particulièrement forcé. La famille, la religion, la bourgeoisie, la populace : la bestialité et l'oppression revêtent une quantité sidérante de masques différents. Autour de Viridiana, au-delà des apparences (charité chrétienne, bienfaisance désintéressée, aide aux défavorisés, etc.), les règlements de compte fusent sans trop de concessions. Dans cette marmite subversive, on ne peut pas dire que ses illusions sur la nature humaine auront fait long feu.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/viridiana/.cene_m.jpg" alt="cene.jpg, sept. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Viridiana-de-Luis-Bunuel-1961#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/829Les Réprouvés, de Luis Buñuel (1950)urn:md5:ab15bb9c974f1468777b47962fbbb4b82017-03-25T16:44:00+01:002017-03-25T16:51:06+01:00RenaudCinémaEnfanceLuis BuñuelMexiqueOnirismePauvretéRéalismeViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reprouves/.reprouves_m.jpg" alt="reprouves.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="reprouves.jpg, mar. 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>"Implacable comme la marche silencieuse de la lave." Octavio Paz <br /></strong></ins></span></p>
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<p><ins>Los Olvidados</ins> ("Les Réprouvés", passe encore, mais alors "Pitié pour eux", quelle horreur... Pitié pour nous, oui !) rappelle dans une certaine mesure la misère et l'extrême dureté du microcosme que <strong>Buñuel </strong>dépeignait presque 20 ans auparavant dans <ins>Terre sans pain</ins>, à la limite entre documentaire et fiction. Aux espaces extérieurs espagnols de Las Hurdes succèdent les quartiers pauvres d'une ville mexicaine, mais une chose reste identique : la brutalité du regard.</p>
<p>Même si le film est clairement ancré dans la fiction, difficile de ne pas retrouver une forme de réalisme, à défaut d'être documentaire, dans la description qui est faite de ces bas-fonds. Il ne s'agit pas forcément d'une forme de réalisme social, mais plutôt de quelque chose beaucoup plus dur, âpre, et sans concession. Cruel, même, pourrait-on dire, tant la situation déplorable de la jeunesse filmée par <strong>Buñuel </strong>semble sans issue. En dépit d'une volonté évidente de s'en sortir chez certains enfants, leur condition sociale les emprisonne dans cet univers comme une toile d'araignée le ferait avec sa proie. C'est assez déprimant, il faut l'avouer.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reprouves/.mere_m.jpg" alt="mere.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="mere.jpg, mar. 2017" /></p>
<p>Il n'y a aucune âme vraiment pure dans ces quartiers oubliés : les enfants se battent quand ils ne détroussent pas des culs-de-jatte, les parents les abandonnent bien souvent à leur sort de gamins de rue, et même les aveugles professent des discours malthusianistes écœurants. Pedro aura beau tout faire pour essayer de s'en sortir, son environnement le rappellera inlassablement à sa condition de pauvre miséreux. La spirale de la violence est inéluctable mais admirablement dénuée de misérabilisme. Seule une séquence onirique portant la marque évidente du style <strong>Buñuel </strong>lui laisse un court moment de répit, avec une mère aimante et assurant son alimentation (un gros morceau de viande à la main), même si le cauchemar guette sous le lit où Jaibo l'attend.</p>
<p>Dans <ins>Les Réprouvés</ins>, les enfants tètent à même les pis de chèvre et les parents abandonnent leur progéniture. Monde cruel qui semble évoluer en vase clos, alors que la société des riches ne fera qu'une seule apparition, assez peu glorieuse, dans le film. C'est un cycle infini de misère et de désespoir qui s'auto-alimentent. Mais il n'y a pas de gentil, pas plus qu'il n'y a de véritable méchant : le seul horizon est l'absence de solution. Et la seule touche positive émane de la direction d'une prison. Comme le disait <strong>Octavio Paz</strong>, "<em>un film implacable comme la marche silencieuse de la lave</em>".</p>
<p><em><ins>N.B.</ins></em> : À noter, l'existence d'une fin alternative "heureuse" affreusement nulle.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reprouves/.coix_m.jpg" alt="coix.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="coix.jpg, mar. 2017" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Reprouves-de-Luis-Bunuel-1950#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/398