Je m'attarde - Mot-clé - Mort le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearDjihadistes de père en fils (Kinder des Kalifats, Of Fathers and Sons), de Talal Derki (2017)urn:md5:0b1d6f85be942875f8ea62e45b7e9fc72024-02-29T12:10:00+01:002024-02-29T12:12:53+01:00RenaudCinémaAllemagneDjihadismeDocumentaireEducationEnfanceFamilleMortSalafismeSyrieTerrorisme <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/djihadistes_de_pere_en_fils/djihadistes_de_pere_en_fils.jpg" title="djihadistes_de_pere_en_fils.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/djihadistes_de_pere_en_fils/.djihadistes_de_pere_en_fils_m.jpg" alt="djihadistes_de_pere_en_fils.jpg, févr. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Petite chronique familiale du salafisme djihadiste</strong></ins></span>
</div>
<p>Toutes les cases du documentaire d'exception sont cochées : sujet en or, immersion absolue, travail de préparation conséquent, suivi au très long cours, peu de commentaires externes, et surtout, probablement le plus important sur des thématiques aussi extrêmes, une neutralité sans faille dans la captation du phénomène observé. Une question finalement assez simple que l'on peut se poser systématiquement à l'issue de visionnages de cet ordre pour en évaluer la pertinence de la retranscription : que penseraient du contenu les personnes filmées ou des personnes ayant des points de vue opposées vis-à-vis de la thématique ? J'ai l'intime conviction que tous les partis n'auraient rien à redire concernant les faits exposés dans <ins>Of Fathers and Sons</ins>, et c'est à mes yeux la marque d'un documentaire a minima digne de respect.</p>
<p>Cela étant posé dans un cadre le plus abstrait qui soit, il faut quand même maintenant aborder le vif du sujet, annoncé de manière très explicite par le titre français. <strong>Talal Derki</strong>, réalisateur kurde syrien exilé en Allemagne, est parvenu à retourner dans sa Syrie natale, gagner la confiance d'une famille de djihadistes salafistes (grâce à ses contacts et amis photographes locaux) appartenant au Front al-Nosra, et partager leur quotidien sur une durée proprement hallucinante, 330 jours répartis sur un peu plus de trois années après avoir pris le soin d'effacer son identité sur internet pour assurer sa sécurité. Il faut vraiment voir l'ampleur de l'horreur pour réaliser le danger d'une telle captation documentaire : c'est un univers dans lequel des gamins de même pas dix ans apprennent à caillasser les filles ne portant pas le hijab (avec l'assentiment enjoué des pères), à manipuler pistolets et AK-47, et à jouer en fabriquant de fausses mines antipersonnel (l'équivalent local et plus risqué du coca + mentos disons, où l'on peut perdre une jambe dans la manœuvre). Un monde désolé, délabré, uniquement fait de terrains vagues et d'habitations primaires, où l'on va tirer au sniper sur des infidèles pour s'amuser avec les copains un peu comme on jouerait aux jeux-vidéo. C'est presque banal, parfaitement naturel, et par contre glaçant au plus haut point.</p>
<p>À noter que <strong>Talal Derki </strong>a décidé de ne plus retourner en Syrie dans le cadre de ce projet le jour où il a appris qu'un djihadiste tunisien très dangereux cherchait à le rencontrer : deux mois plus tard, il se faisait tatouer le bras et percer une oreille pour sceller définitivement l'impossibilité de revenir auprès des fous furieux de dieu.</p>
<p>Les présentations avec la petite vie de famille seront des plus irréelles, à commencer par les noms donnés à la fratrie, choisi en hommage aux terroristes du 11 septembre 2001. L'une des premières séquences nous montre les gentils gamins du patriarche Abou Oussama jouer avec un joli petit moineau, "attention ne serre pas trop tu vas lui faire mal", c'est tout mignon. Une minute plus tard, le gamin revient : "Papa j'ai égorgé l'oiseau", ce à quoi il répond, tout guilleret, "Bon, c'est mieux ainsi que s'il était mort en jouant avec", et le frère de l'apprenti-bourreau âgé de 7-8 ans précisant "Oui papa, il l'a tué après lui avoir fait pencher la tête en avant, comme toi avec cet homme [que tu as décapité l'autre jour, entre le repas et la sieste, en substance]". Après quelques paroles dignes d'un cas psychiatrique aigu voyant la volonté de dieu derrière chaque caillou et chaque mise à mort, le paternel conclut avec sagesse : "il ne faut pas enfermer les oiseaux dans des cages. Si tu en vois un prisonnier, libère-le". Confusion au maximum.</p>
<p>Effroi total évidemment, dès lors que la référence à un acte sauvage extrême sort de la bouche de cet enfant même pas en âge de connaître ses tables de multiplication. Cette séquence un peu matricielle contient la structure qui fait toute la puissance de <ins>Djihadistes de père en fils</ins> (la distribution française s'est sentie obligée de rajouter une couche inutile dans le titre), à savoir cette alternance troublante, insoutenable et littéralement incroyable de moments abominables et de moments tendres. Des mômes qui jouent et qui se chamaillent comme dans n'importe quelle cour de récré, et juste après, qui vont balancer des gros cailloux sur les filles de leur âge sortant de l'école (dont ils ont été retirés par le père à cause de la mixité). Des moments poétiques où l'on voit des enfants lancer des ballons en l'air, propulsé par l'air chaud d'une flamme en leur centre, et des séquences d'endoctrinement théologique et militaire où les bambins sont en treillis, cagoulés, et subissent le plus brutal des lavages de cerveau. On égorge un bouc en famille en suivant un précepte religieux lambda, et on construit une piscine improvisée pour que les garçons puissent y jouer comme n'importe quels autres. Bref, un père aimant et une fratrie de 8 garçons (qui nourrissent un ennui profond), si l'on faisait abstraction de tout le reste — à commencer par l'absence radicale de femmes dans le champ de la caméra, l’agressivité omniprésente dans les rapports humains et le non-sens permanent des discours.</p>
<p>Tout le documentaire est concentré dans cette horreur double, cette transmission familiale pétrifiante, tandis qu'on assiste à la destruction de l'innocence des enfants ainsi qu'à la formation de futurs tueurs de métier dans le même mouvement. Le docu est particulièrement riche et diversifié en marge de cet aspect central, comme par exemple ce rapport à la mort et au martyr sur le thème "Pour chaque enfant tué, mille autres renaîtront" ressassé par le patriarche, ou encore ce groupe de jeunes soldats capturés dans les rangs de l'armée régulière, humiliés, dont le sort funeste ne laisse guère de doute. Ou encore le quotidien de Abou Oussama, sniper et démineur, tandis qu'il travaille au déminage d'un terrain accidenté. On le retrouvera quelques scènes plus tard, sonné, allongé sur un lit, le visage abîmé par de grosses balafres, les yeux et les mains égratignés... amputé du pied gauche suite à l'explosion d'une mine, heureux que ça ne soit pas tombé sur le droit. Il se tuera accidentellement en 2018 en retirant une bombe d'une voiture piégée, apprend-on en dehors du docu. Et avec en conclusion un micro-message d'espoir : si l'un des enfants est envoyé au combat à la fin du film, un autre retourne à l'école.</p>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Djihadistes-de-pere-en-fils-de-Talal-Derki-2017#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1358Un temps pour vivre, un temps pour mourir (童年往事, Tóng nián wǎng shì), de Hou Hsiao-Hsien (1985)urn:md5:b49dac388b2cd4b7fa8f52ee7d178d772024-02-20T11:01:00+01:002024-02-20T12:56:04+01:00RenaudCinémaAdolescenceAutobiographieChineEnterrementExilFamilleHou Hsiao-HsienMortRécit d apprentissageTaïwan <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir.jpg" title="un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir_m.jpg" alt="un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir.jpg, févr. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Souvenirs d'une enfance taïwanaise</strong></ins></span>
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<p>Le cinéma taïwanais de la fin du XXe siècle est un terreau fertile qui laisse le champ libre à de nombreuses très belles découvertes, et c'est très souvent à mettre en corrélation avec l'histoire du pays qui s'écrivait en parallèle de la vie des différents cinéastes ayant contribué à l'édifice national. À mes yeux c'est <strong>Edward Yang </strong>qui illustre le plus fortement ce courant partagé entre l'autobiographie, quelque part entre souvenirs d'enfance et mélancolie, et le récit politique d'un territoire voué aux soubresauts historiques de par la nature complexe des relations qu'il entretient avec la Chine continentale. Des films comme <ins>A Brighter Summer Day</ins> (1991) et surtout <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Yi-Yi-d-Edward-Yang-2000">Yi Yi</a></ins> (2000) en sont probablement les exemples les plus marquants et les plus émouvants. Mais je découvre avec <ins>Un temps pour vivre, un temps pour mourir</ins> une autre facette de cette histoire cinématographique, récit à caractère autobiographique de <strong>Hou Hsiao-Hsien </strong>qui a grandi dans le quartier de Fengshan à Kaohsiung, un volet d'un récit d'apprentissage s'étendant sur la trilogie complétée par <ins>Un été chez grand-père</ins> (1984) et <ins>Poussières dans le vent</ins> (1986).</p>
<p>Ce film de <strong>Hou</strong>, dont le titre original signifie plutôt "souvenirs d'enfance" littéralement (transformé en un hommage maladroit à <strong>Douglas Sirk </strong>et à son <ins>Le Temps d'aimer et le Temps de mourir</ins>), est sorti au milieu des années 80, époque charnière à Taïwan, et embrasse une période allant de 1947 à 1965. Impossible de ne pas constamment relier le sort des personnages à l'histoire taïwanaise bousculée par le repli de Tchang Kaï-chek sur l'île, à la fin des années 40, et jusqu'à sa mort en 1975. L'époque du récit autant que l'époque de la production du film sont imprégnées de ces événements, puisque l'on suit une famille quittant à regret la Chine pour s'installer dans un village taïwanais — à l'origine de manière temporaire, comme en témoigne la pauvre qualité des matériaux de construction utilisés par la père qui espérait sincèrement retourner sur le continent dès que possible. Seule la constatation du Grand Bond en avant de Mao vu de loin les conforte dans l'idée de devoir rester à Taïwan.</p>
<p>Une chronique douce centrée sur le personnage de Ah-ha (alter ego de <strong>Hou </strong>très probablement), jeune garçon malicieux évoluant au gré d'une adolescence plutôt mouvementée en un jeune adulte bagarreur et plus renfermé. Un récit qui arbore la grande sobriété que l'on connaît aux réalisateurs taïwanais du même courant, explorant l'intérieur des foyers dans un style très pudique que ne renierait pas un <strong>Ozu</strong>, et qui pourra en éreinter certains de par sa focalisation sur un quotidien familial souvent très calme, avec des dialogues épurés et une voix off tout aussi réservée. La hauteur de regard est particulièrement adaptée pour capter les épisodes douloureux de l'enfance, toujours à la bonne distance, observant les membres de la famille mourir à petit feu, le père, la mère, puis la grand-mère.</p>
<p><ins>Un temps pour vivre, un temps pour mourir</ins> illustre très finement l'étau dans lequel la cellule familiale se retrouve un peu piégée, contrainte à l'exil mais heureuse d'avoir échappé aux événements en Chine. <strong>Hou </strong>raconte, avec le recul et avec beaucoup de délicatesse, un éloignement qu'il ne comprenait pas à l'époque et une prise de conscience progressive, comme un souvenir déformé qui chercherait à se reformer. Quelques moments-souvenirs semblent avoir marqué <strong>Hou </strong>plus profondément, comme le vol du sac de billes et de l'argent (volé lui aussi) qu'il avait enterrés près d'un arbre (et qui lui valut une belle engueulade de sa mère), sa grand-mère cherchant à retourner en Chine via un pont imaginaire à la faveur d'une maladie liée au vieillissement, ou encore le regard farouche de l'employé des pompes funèbres qui était venu s'occuper du corps de la grand-mère. Tous ces éléments forment un sillon thématique et émotionnel vraiment passionnant au creux du cinéma taïwanais.</p>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-temps-pour-vivre-un-temps-pour-mourir-de-Hou-Hsiao-Hsien-1985#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1352Le Mur du son (The Sound Barrier), de David Lean (1952)urn:md5:d0bee305447aa3d03ef9f69eb088e6552024-02-09T10:16:00+01:002024-02-09T10:24:08+01:00RenaudCinémaAngleterreAnn ToddAvionDavid LeanFemmeMortRoyaume-UniSeconde Guerre mondiale <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/mur_du_son/mur_du_son.jpg" title="mur_du_son.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/mur_du_son/.mur_du_son_m.jpg" alt="mur_du_son.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"I think its the most exciting sound I've ever heard."</strong></ins></span>
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<p>Au sein de la première partie de la filmographie de <strong>David Lean </strong>(que j'associerais à une exploration du mélodrame empreinte de classicisme), <ins>The Sound Barrier</ins> est un film qui détonne. À commencer par son sujet, qui ancre le récit dans l'époque contemporaine de sa sortie : on découvre une usine de construction aéronautique, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, construite par un riche magnat du pétrole qui souhaite réaliser des expérimentations dans la conception d'avions supersoniques. Et absolument tout tournera autour de cela, la dimension supersonique du vol, c'est-à-dire des appareils capables d'atteindre des vitesses supérieures à celle du son (environ 340 m/s soit 1200 km/h).</p>
<p>Première chose étonnante : <strong>Lean </strong>fait le choix d'inscrire sa fiction dans un contexte qui a toutes les apparences du documentaire, ou plutôt du biopic, comme si on revivait la découverte des expérimentations qui auraient conduit au franchissement du mur du son éponyme... sauf que dans la réalité c'est un pilote américain qui dépassa cette limite en 1947, 5 années avant la sortie du film, pour la première fois de l'histoire de l'aéronautique. Et <strong>Lean </strong>choisit d'ignorer totalement cela dans le cadre de sa fiction. L'effet produit est assez intéressant, produisant un certain inconfort constructif et un léger flou dans l'arrière-plan, au-delà de la narration, vis-à-vis des intentions.</p>
<p>La seconde chose qui surprend, et qui s'inscrit dans un cadre plus conforme à l'image que l'on peut avoir du cinéma de <strong>David Lean</strong>, c'est que le cinéaste britannique investit cette thématique aéronautique non pas au travers du prisme technique, scientifique (même si le film regorge d'éléments factuels) ou même patriotique, mais plutôt à l'aune de l'impact de ces essais sur un personnage féminin. Car la fille du propriétaire fortuné du site, interprétée par <strong>Ann Todd</strong>, verra plusieurs de ses proches risquer leurs vies — jusqu'à la mort. Son mari, ancien pilote de chasse pendant la guerre et nouveau pilote d'essai, périra au cours d'une expérimentation au seuil de Mach 1 (une fois la vitesse du son) tout comme son frère. Toute une trame émotionnelle est dédiée aux tensions entre cet homme et cette femme, comme si les deux étaient insensibles aux angoisses de l'autre (bon, surtout le père, qui donne l'impression de s'en foutre royalement de ruiner l'entourage de sa fille, mais passons).</p>
<p>C'est donc non sans une certaine surprise qu'on voit l'objet du film se positionner autour des relations se détériorer entre eux deux, sur fond d'un rêve, le franchissement de cette limite vu comme une étape décisive dans la conquête du ciel. D'un côté les passionnés, autour du père, comme aveuglés par l'exaltation d'un défi technique inintelligible au reste de la communauté, et de l'autre les sceptiques, autour de la fille, comme autant de points d'ancrage sur un pragmatisme humain et sentimental qui aurait pu être oublié.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/mur_du_son/img1.png" title="img1.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/mur_du_son/.img1_m.png" alt="img1.png, janv. 2024" /></a>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Mur-du-son-de-David-Lean-1952#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1342Le Monde d'Apu (অপুর সংসার, Apur Sansar), de Satyajit Ray (1959)urn:md5:f8bdc8c36ce8358a79bebe28d94ad13d2024-02-05T09:35:00+01:002024-02-05T09:35:00+01:00RenaudCinémaCalcuttaDésespoirFamilleIndeMariageMortMélodrameSatyajit RaySouffranceTravail <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/monde_d_apu.jpg" title="monde_d_apu.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.monde_d_apu_m.jpg" alt="monde_d_apu.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Par-delà les souffrances</strong></ins></span>
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<p>La fin de la trilogie d'Apu fait suite à <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Complainte-du-sentier-de-Satyajit-Ray-1955">La Complainte du sentier</a></ins> (1955) et <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Invaincu-de-Satyajit-Ray-1956">L'Invaincu</a></ins> (1956), quelques années plus tard, et marque l'achèvement d'un portrait dense opéré en compagnie d'une multitude d'acteurs ayant prêté leurs traits aux différents âges du protagoniste. Dans ce dernier chapitre, c'est <strong>Soumitra Chatterjee </strong>qui interprète le rôle principal, lui qui avait été écarté du casting pour les films précédents car trop âgé — tout vient à point... — et qui représentera donc la partie la plus mature de la vie d'Apu. Une nouvelle étape marquée par de nombreuses thématiques communes aux autres volets (les malheurs familiaux et la mort, notamment) qui ancre la trajectoire dans le monde adulte au travers du mariage, bien qu'il s'agisse-là d'un mariage forcé pour les deux parties prenantes, quand bien même le degré de contrainte ne serait pas équivalent entre l'homme et la femme dans ce scénario.</p>
<p><ins>Le Monde d'Apu</ins> présente la figure désormais connue de ce personnage constamment balancé entre ses aspirations et la réalité de sa condition : jeune diplômé, armé de sa belle lettre de recommandation, il rêve de succès littéraire tout en échouant à trouver du travail. Interrompre ses études, se soumettre à la loi du travail (du chômage en l'occurrence), sa vie semble dictée par les injonctions pénibles. Alors qu'il passe son temps à jouer de la flûte et tenter d'écrire un roman autobiographique, son ami l'emmène au mariage de sa cousine et suite à un concours de circonstances assez drastique, voilà qu'Apu le simple invité revient de l'événement... lui-même marié à la jeune femme, Aparna (incroyable <strong>Sharmila Tagore</strong>), pour lui éviter un déshonneur — le prétendant a complètement vrillé et une croyance oblige la femme à se marier dans l'instant. Et la demi-heure centrale du film consacrée à leur apprivoisement mutuel est un régal, magnifiquement illustré par la délicate mise en scène de <strong>Satyajit Ray</strong>. Mais on s'en doute, il ne faudrait pas oublier qu'on est chez <strong>Ray</strong>, le bonheur sera de courte durée : après le temps de l'idylle enfin acquise, elle mourra en couches loin de lui. La dernière partie du film marquera donc un long cheminement, comme un retour à la vie, et une lourde mais salutaire acceptation.</p>
<p>La vie d'Apu racontée par <strong>Ray </strong>se termine ainsi sur un mouvement parfaitement conforme aux précédents, puisqu'une nouvelle fois il devra renoncer à ce qu'il chérissait le plus intensément. Le cadre et les références ont évolué, mais c'est encore une fois la mort tragique qui constituera les plus grandes épreuves, après la grand-mère, la mère, maintenant l'épouse. Le retour à Calcutta avec sa femme aura été éprouvant pour Apu, mais clairement la plus grande souffrance prendra son temps, au terme d'une énième adaptation, et en appelant encore une nouvelle. C'est un peu ça, l'épopée d'Apu : surmonter les frustrations, recomposer après les effondrements, persister malgré la souffrance, résister au désespoir. <ins>Le Monde d'Apu</ins> est tissé dans une atmosphère caractéristique du cinéma de <strong>Ray</strong>, un mélange de pessimisme froid et de sérénité acharnée qui finit toujours par réapparaître. Un peu comme le symbole du train qui surgit toujours, dans des interprétations différentes (ici au bord du suicide), chaque volet se termine par la découverte d'un nouveau chemin, par le mouvement au gré d'une nouvelle lancée — ici, le début d'une nouvelle histoire avec son fils. Après avoir semé les pages de son manuscrit au vent, après avoir sombré dans une profonde dépression (la musique de <strong>Ravi Shankar</strong>, accompagnement parfait), après avoir surmonté son amertume en arpentant des sentiers en forêt ou en bord de mer, il reprend la route.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img1.jpg" title="img1.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img2.jpg" title="img2.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2024" /></a>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img4.jpg" title="img4.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img5.jpg" title="img5.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-d-Apu-de-Satyajit-Ray-1959#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1335Écrits fantômes : Lettres de suicides (1700-1948), de Vincent Platini (2023)urn:md5:54d0a93d0ae6b7f7e6f53c9afa99f8732024-02-01T17:22:00+01:002024-02-01T17:26:29+01:00RenaudLectureEsthétiqueLettreMortSuicide <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/ecrits_fantomes.jpg" title="ecrits_fantomes.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.ecrits_fantomes_m.jpg" alt="ecrits_fantomes.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Exploration de la littérature "thanato-épistolaire"</strong></ins></span>
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<p><ins>Écrits fantômes</ins> traite d'un sujet peu commun et selon une méthode tout aussi originale : les lettres de suicide chez le commun des mortels, éloignées des écrits célèbres et publiés, fruit d'un travail de recherche s'étalant sur plusieurs années à fouiller diverses archives françaises et à trouver le bon angle d'attaque pour synthétiser, agencer et présenter les résultats. Il est par exemple parfaitement clair que <strong>Vincent Platini</strong> cherche à tout prix à éviter la fascination morbide, façon cabinet de curiosité, et à respecter les familles et les descendants — ce pourquoi les lettres datant de moins de 75 ans ont été anonymisées. Selon une dizaine de cercles thématiques qui n'interdisent pas les zones de recouvrement, l'ouvrage parcourt de nombreux documents et d'aussi nombreuses situations qui ont poussé des hommes et des femmes à mettre fin à leurs jours (ou, parfois, à tenter de le faire) sur une période allant de 1700 à 1948.</p>
<p><strong>Platini </strong>donne très peu d'informations en préambule de son travail, à dessein, pour ne pas écraser le sens des lettres avec une lecture prédéterminée : il faudra attendre la fin du livre (voire écouter des émissions comme celle-ci : <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poesie-et-ainsi-de-suite/lettres-de-suicide-se-reinventer-in-extremis-3913600">lien France Culture</a>) pour comprendre comment les données ont été agrégées, quelles pistes de réflexion ont été suivies. C'est très volontairement qu'il n'indique pas comment il faut s'y prendre pour appréhender le contenu, si ce n'est "le respect des souffrances les attentions de la lecture" que ces écrits méritent. On se familiarise cependant assez vite avec les différents registres : chaque lettre est précédée d'une contextualisation plus ou moins extensive en fonction des éléments dont on dispose, à l'intérieur de chaque thème on suit un classement chronologique, et les écrits sont soit des retranscriptions de sources primaires soit des rapports de police qui avaient au moment des faits recopié leur contenu. Fait notable, presque primordial : <ins>Écrits fantômes</ins> conserve les graphies phonétiques des lettres de suicides, avec toutes les fautes et toutes les ratures révélant leur part du contexte (avec quelques reproductions des documents originaux), ainsi que des indications concernant les supports — le beau papier à l'intérieur d'une enveloppe cachetée, la feuille de brouillon froissée, les différentes mentions des autorités qui ont collecté les preuves. Un travail d'orfèvre et de pionnier sur un sujet peu étudié, pour ne pas dire occulté.</p>
<p>Ainsi se plonge-t-on dans la vie d'inconnus ayant pris la plume pour un ultime message, autant de scripteurs se déclarant auteurs de leur mort. <strong>Platini </strong>parle d'objets appartenant à une "littérature thanato-épistolaire" qui mettent en scène un suicide pour donner à ces derniers instants une certaine esthétique. Il est souvent question du destinataire à qui on s'adresse, et parfois, de manière détournée et déterminée, à qui on ne pense pas, explicitement (en rédigeant une lettre à la voisine et une au commissaire mais rien au mari qui trouvera le corps, on affirme quelque chose). Il n'y a rien d'indécent, rien de sordide : tout y est consigné avec un respect très approprié, respect pour les personnes et pour les éléments factuels qui esquissent des circonstances et qui laissent s'échapper des fragilités évidentes.</p>
<p>La puissance de certaines lettres est sans comparaison, exprimant sans cesse des sentiments différents, des situations variées. On y croise des de temps en temps des suicides ratés, mais plus souvent des dernières volontés transmises à un proche. Les écrits sont parfois extrêmement laconiques, ici un simple "J'en ai marre", "adieu s'est pour toujour voila ma fin", "Lasse de souffrir / adieu" et là quelques mots d'une phrase incomplète, parfois beaucoup plus profus avec un attachement fort à expliciter les circonstances jusque dans leurs moindres détails. Il y a ceux qui s'y reprennent à plusieurs fois, en complétant la lettre d'adieux en conséquence, et il y a ceux qui font le récit détaillé des derniers moments, dans l'attente de la mort en décrivant méthodiquement les symptômes de l'intoxication allant crescendo. Certains entraînent avec eux leurs petits-enfants ou leurs animaux de compagnie, d'autres en couple se réjouissent à l'idée de savoir leurs os réunis dans un même cercueil.</p>
<p>Bien que ce ne soit pas le but premier recherché, il se dégage de ces écrits un regard sur l'histoire, sur l'évolution du sens derrière l'écriture d'un terme comme "adieu" sur deux siècles, sur la transformation des modes de suicide : on se fait brûler la cervelle avec une arme à feu en uniforme, on se jette du haut d'un immeuble, on s'empoisonne à l'aide de divers produits chimiques, on se noie, on s'asphyxie au charbon puis, plus tard, au gaz. Le cadre est en tous cas fixé d'un côté par le tout début du XVIIIe siècle car très peu de lettres existent antérieurement, et de l'autre côté par l'année 1948 après laquelle le nombre de lettres explose. Si ce genre de documents témoigne du choix de leurs auteurs, ce contre quoi il se fait, quels points de résistance il oppose, comment il se déterminait et se représentait, <strong>Platini </strong>rappelle à juste titre qu'il existe un sérieux biais dans les informations recueillies : "la missive réussie est celle qu'on ne retrouve pas, puisqu'elle est parvenue à destination. Les lettres restantes proposent une image déformée".</p>
<p>On apprend ainsi qu'on se détermine très souvent contre quelque chose : contre l'institution (l'armée par exemple), contre la famille, contre le harcèlement, contre la tyrannie. Les sujets se déclarent dans un contexte amoureux, politique, ou malade. L'occasion également d'observer l'évolution de l'image renvoyée par l'acte du suicide, un acte considéré comme criminel jusqu'en 1791 (on garde au frais un cadavre suspect, on lui fait un procès, on le supplicie) dont la perception se transforme progressivement. Les personnes qui se suicident mentent régulièrement dans leurs lettres, des escrocs se font passer pour des victimes, des fugitifs simulent leur mort pour tromper la police. Certaines lettres sont en grande partie incompréhensibles : "Set engale je fine ma vie a te piere je te pardon de tou le peine te tue ma couse tue a fait mon maleure tache de feire le bonneure de notre que tu aime meu que moy". Elles parlent toutes d'amour, de déshonneur, de honte, de maladie, de religion, de famille, et certaines parviennent même à être drôles. On est quoi qu'il en soit très loin de l'anthologie et du spectaculaire, de l'obscène et du voyeurisme : on entre très paisiblement, avec beaucoup de précautions et d'empathie, dans ce recueil de vies brisées. Des lettres d'inconnus, anecdotiques, mais d'une richesse incroyable dans cette dernière image de soi.</p>
<p>Un exemple de lettre assortie de son contexte :</p>
<blockquote><p>Vers 6 h 30 du matin, on frappe à la porte d’une chambre de l’hôtel de Biron. François Emmanuel, chasseur au service du duc de Biron, vient ouvrir. C’est un dénommé Joly Coeur, cavalier de la maréchaussée, qui vient rendre visite à un ami : Brem, dit Birner, jeune brigadier du régiment des hussards de Lauzun, occupe une chambre au premier étage en sa qualité de sous-secrétaire du duc. Joly Coeur est inquiet. Il a trouvé sur la porte de Brem un écriteau lugubre. Les deux hommes montent. Une demi-feuille de grand papier est accrochée à l’entrée. On peut y lire ces mots, écrits en travers et ornés d’une accolade :<br /><br />
Ne vous effraiés point en entrant<br />
car vous me trouverrés<br />
Parti pour l’autre monde.<br />
Envoiés tout de suite la lettre à Mr Mis<br />
qui est sur la table et ne toucher à Rien<br />
et n’envoiés rien quil ne soit venu.<br /><br />
[Papier à lettres, 31 × 20 cm, encre noire.]</p>
</blockquote>
<div id="centrage">
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img1.jpg" title="img1.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img2.jpg" title="img2.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img3.jpg" title="img3.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/img4.jpg" title="img4.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/2024/ecrits_fantomes/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ecrits-fantomes-Lettres-de-suicides-1700-1948-de-Vincent-Platini-2023#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1340L'Invaincu (অপরাজিত, Aparajito), de Satyajit Ray (1956)urn:md5:51d6b73f45c62bc9ebe62b4c55d20a762024-01-19T09:33:00+01:002024-01-19T09:53:37+01:00RenaudCinémaFamilleIndeMaladieMortRuralitéSatyajit RayVille <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/invaincu.jpg" title="invaincu.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/.invaincu_m.jpg" alt="invaincu.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Le tombeau des lucioles</strong></ins></span>
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<p>Ce deuxième film de la trilogie d'Apu réalisée par <strong>Satyajit Ray </strong>reprend exactement l'histoire du protagoniste là où on l'avait laissée à la fin de <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Complainte-du-sentier-de-Satyajit-Ray-1955">La Complainte du sentier</a></ins> : Apu a désormais 10 ans (du moins durant la première partie du film, avant la grande ellipse qui le projettera dans les études à Calcutta), sa famille s'est installée en ville après les événements tragiques dans l'ancienne maison. Avec la même élégance de mise en scène et la même douceur de caméra, <ins>L'Invaincu</ins> observe dans un premier temps les habitudes de la famille, notamment le quotidien du père consistant à étudier des textes sacrés tout en se promenant sur les berges du Gange. Ce premier pan du récit sera brusquement interrompu par la maladie (suivie de la mort soudaine) de ce dernier, impulsant un nouveau mouvement, en sens inverse, puisque la mère Sarbajaya décidera de retourner s'installer à la campagne.</p>
<p>Même si la trilogie porte son nom il n'est pas tout à fait évident de déterminer si le personnage d'Apu est réellement le barycentre des événements et des sentiments. On peut quoi qu'il en soit concéder le poids des membres de sa famille dans son environnement, quand bien même chacun de ces membres n'aurait qu'un temps limité de présence — il faut dire que la mort frappe régulièrement dans ce coin de l'Inde. En marge de l'évolution d'Apu, de ses études, de son émancipation, la figure de la mère est ici omniprésente et <strong>Ray </strong>marquera fortement le parallèle existant entre la réussite (Apu décroche une bourse, il repart en ville pour étudier, il commence à développer une certaine autonomie) et le chagrin (Sarbajaya souffrira particulièrement de l'éloignement de son fils). Et on sait comment se finissent les tragédies familiales chez le cinéaste indien...</p>
<p>La forme très épurée de ce conte lui permet d'accéder à une forme d'universalité tout en conservant nombre de particularités idiosyncratiques, parmi lesquels je citerais en premier lieu la présence marquante des trains, de leurs allers-retours, et du symbole de changement de vie qu'ils contiennent. Quelques effets simples sont d'une beauté insoupçonnée, comme l'ellipse transformant Apu enfant en un adolescent simplement en se concentrant sur une lampe, un soir de lecture. La relation mère-fils étonne aussi, avec toute la délicatesse diffusée pour aborder cette relation d'amour mais aussi toute la dureté du dernier mouvement partagé entre émancipation et égoïsme. <strong>Ray </strong>se garde bien de juger son personnage principal, malgré toute l'émotion qui peut jaillir autour de celui de la mère, dont l'affliction est rendue tout à fait intelligible sans recourir au pathos. Et il propose deux séquences d'un éclat noir sidérant, deux symboles funèbres dont l'effet est saisissant, un dernier souffle paternel marqué par la soudaine envolée d'oiseaux et l'image d'une disparition maternelle s'effaçant dans la nuit éclairée de lucioles.</p>
<div id="centrage">
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/img1.jpg" title="img1.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/img2.jpg" title="img2.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/img3.jpg" title="img3.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/img4.jpg" title="img4.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/img5.jpg" title="img5.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/invaincu/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Invaincu-de-Satyajit-Ray-1956#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1333Faits divers, de Raymond Depardon (1983)urn:md5:f7d6df24cbae48db6dafcad6415da8fa2024-01-15T11:40:00+01:002024-01-15T11:42:02+01:00RenaudCinémaDocumentaireFolieFranceFrederick WisemanMortParisPoliceRaymond DepardonUrgences <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/faits_divers.jpg" title="faits_divers.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/.faits_divers_m.jpg" alt="faits_divers.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Appelle du renfort !"</strong></ins></span>
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<p>Vertu étonnante de parcourir la filmographie essentiellement (mais pas uniquement) documentaire de <strong>Raymond Depardon </strong>des années 1980 à 2000 en même temps que celle de <strong>Frederick Wiseman </strong>: des passerelles assez nettes se dessinent entre les deux corpus, comme si le photographe rhodanien avait été influencé par le style très caractéristique du documentariste de Boston. Si le style caméra à l'épaule domine tout <ins>Faits divers</ins> en lui conférant une dynamique particulière (pour le dire rapidement, il n'arrête pas de courir derrière les gendarmes du cinquième arrondissement pour suivre leurs occupations quotidiennes), l'éloignant de la méthode beaucoup plus posée de <strong>Wiseman </strong>toutes époques confondues, cette captation du réel au plus près de l'action et totalement dénuée de commentaires, autant que les thématiques investies, rend le parallèle presque inévitable. Ou alors je fais une grosse fixette sur <strong>Wiseman </strong>en ce moment, ce qui est tout à fait probable.</p>
<p>Chose marquante, et qu'on pourrait presque qualifier de drôle si le sujet n'était pas désespérément tragique, regarder <ins>Faits divers</ins> donne un peu l'impression de retourner aux sources de deux autres de ses documentaires, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Urgences-de-Raymond-Depardon-1988"><ins>Urgences</ins></a> (1988) et <ins>10e chambre, instants d'audience</ins> (2004). Comme si les gardiens de la paix parisiens que l'on suit ici étaient ceux qui présentaient les différentes personnes, victimes ou coupables, aux institutions étudiées dans les deux autres films. Mais non, on est à l'été 1982 et on sillonne la capitale aux côtés d'un petit groupe de gendarmes et on navigue dans les quartiers avec eux dans leur fourgonnette old shool.</p>
<p><strong>Depardon </strong>ne nous ménage pas vraiment : la première scène nous met nez-à-nez avec une sale histoire, une femme accuse un homme de viol (sans qu'on sache quoi que ce soit au sujet des faits), et on voit le comportement assez ahurissant du flic en charge d'enregistrer sa plainte qui cherche à la dissuader de porter plainte en la faisant culpabiliser voire en la menaçant. C'est sordide, c'est glauque, c'est miteux, bienvenue dans un bureau de police dans les années 80 à Paris. Il y a une mort filmée à moitié en hors-champ suite à un excès de tranquillisants et c'est terrible. Il y a une vieille femme à moitié folle que des gendarmes emmènent de force aux urgences, et ça vous prend aux tripes. Une bavure en direct "la femme s'est éclatée la tronche par terre, appelle du renfort !", la police peut pas tout faire "il faut que les gens apprennent à se défendre par eux-mêmes hein", une victime apitoyée par son agresseur ne souhaite pas porter plainte</p>
<p>Les affaires diverses s'enchaînent, de gravités variées, entre un vol de portefeuille et une overdose, le tragique et l'ordinaire se mêlent, mais toujours avec cet accent incroyable chez les gendarmes, de grosses sonorités sudistes qui détonnent avec l'image des forces de l'ordre parisiennes de notre époque — et ce n'est pas la seule chose qui détonne. Ce qu'on a gagné en termes de formation des agents, qui clairement à l'époque manquaient de bases du côté de la psychologie, semble irrémédiablement perdu sur le terrain de la proximité et de l'équilibre des rapports. Une belle collection d'instants : malgré toutes les maladresses et tout le racisme ordinaire qui jaillit à une intervention sur deux, on serait presque mélancolique en pensant à cette époque où l'idée du service public paraissait plus évidente.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/img1.jpg" title="img1.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/img2.jpg" title="img2.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/img3.jpg" title="img3.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/img4.jpg" title="img4.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/faits_divers/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2024" /></a>
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