Je m'attarde - Mot-clé - Nicaragua le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLa Fabrication du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (1988)urn:md5:04e7a669a636bed86fec2ba6870aa84f2020-10-01T10:38:00+02:002020-10-01T09:49:24+02:00RenaudLectureConditionnementDémocratieEssaiEtats-UnisGuatemalaGuerreGuerre du VietnamMédiasNicaraguaNoam ChomskyPolognePropagandeSalvadorVietnam <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/fabrication_du_consentement/.fabrication_du_consentement_m.jpg" alt="fabrication_du_consentement.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Du filtrage de l'information au conditionnement pavlovien</strong></ins></span></div>
<p>À lire en complément, pour poursuivre au-delà de la thèse principale publiée par (le célèbre) <strong>Noam Chomsky </strong>et (l'oublié) <strong>Edward Herman </strong>en 1988, augmentée en 2002 : un entretien réalisé par <strong>Daniel Mermet </strong>pour le Monde diplomatique en 2007 : <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2007/08/CHOMSKY/14992">article en accès libre</a>.</p>
<p><ins>La Fabrication du consentement</ins> est le fruit d'un travail universitaire rigoureux, soutenant une thèse touffue qui modélise les empires médiatiques des sociétés occidentales comme les tentacules d’un régime de propagande — le terme retenu n’est pas pris à la légère — complexe, et à ce titre il en ressort un défaut (ou du moins une difficulté) évident : c'est long, dense, farci de notes et de références. Il en résulte une lecture difficile, pour ne pas dire éprouvante. La thèse des auteurs, résumée de manière très succincte : les médias constituent un système globalement homogène qui communique des symboles et des messages implicites (avec effet Pavlov moral et intellectuel) à la population, et servent d'instruments à une vaste communication idéologique visant notamment à promouvoir le libéralisme économique et à légitimer la politique étrangère des États-Unis. C'est un peu la destruction d’un miroir aux alouettes, celui des illusions démocratiques quant aux prétendues neutralité et nécessité des médias.</p>
<p>Le modèle, évoqué dans les premières parties avant de le mettre à l'épreuve avec plusieurs cas de figure, se base sur une série de 5 critères, 5 filtres qui conditionnent profondément la nature de l’information produite : 1) Taille, actionnariat et orientation lucrative, 2) Régulation par la publicité, 3) Sources d'information, 4) Contre-feux et autres moyens de pression, et 5) Anticommunisme — ce dernier point s'étant transformé depuis en antiterrorisme, selon <strong>Chomsky</strong>. Il est question de la formation d'une industrie oligarchique dominée par les classes fortunées qui oriente les directions d’observation, de la sélection du contenu par des logiques consuméristes de rentabilité et de complaisance pour assurer sa survie, de la négligence de certaines sources différentes des canaux officiels, faciles d’accès et immédiatement digérable, et bien sûr du poids de l'idéologie dominante (à savoir l'anticommunisme pendant la Guerre froide, à l'époque de la première parution).</p>
<p>Armés d'une artillerie analytique conséquente, les auteurs s'attaquent au traitement de plusieurs événements extrêmement marquants de l'histoire américaine contemporaine à travers plusieurs prismes : les victimes dignes ou indignes d'intérêt, la légitimité extrêmement variable des élections selon les affinités nationales, et le cas de conflits dans lesquels les États-Unis ont été directement impliqués. Dans un premier temps, ils produisent une analyse comparée extrêmement précise et documentée du traitement de l'information montrant la différence de perspective entre des victimes en Pologne (appartenant encore au bloc soviétique) et d'autres en Amérique du Sud (clients des États-Unis) — la propagande médiatique étant presque entièrement guidée par le statut des nations en question, alliées ou ennemies. Le modèle de propagande met ensuite en lumière des différences attendues en matière de traitement de l'information au sujet d'élections dans trois pays d'Amérique centrale, le Nicaragua (avec un gouvernement sandiniste) d'un côté et le Guatemala et le Salvador (régimes soutenus par les États-Unis) de l'autre. Le modèle leur permet de dresser avec une grande minutie le schéma du processus qui sélectionne les informations, sous l'influence des pouvoirs politiques et économiques. Il souligne en outre que toutes les victimes (d'exaction, en l'occurrence) ne sont pas égales devant l'intérêt que leur porte le réseau médiatique, qui opère ici aussi un immense travail de sélection.</p>
<p>Les dernières parties sont consacrées à la tentative d'assassinat du pape Jean-Paul II en 1981et le complot de la filière bulgare liée au KGB (un immense emballement de spéculation médiatique sur la base d’un séjour du suspect en Bulgarie, alors membre du bloc communiste), puis à l'Indochine et la Guerre du Vietnam, avec les dommages collatéraux au Laos et au Cambodge. Les auteurs déconstruisent à cette occasion l'image du quatrième pouvoir dans un régime démocratique, selon les mêmes modalités, avec une solide documentation à l’appui pour mettre en évidence l’existence d’un réseau de désinformation qui sert des intérêts politiques et économiques. Le poids des sources officielles (qu’il s’agisse d’institutions ou de think tanks, de manière consciente ou par auto-censure) joue un rôle prépondérant dans la construction d’une illusion d’objectivité, au sein de laquelle même la contre-culture opposée aux opérations militaires au Vietnam se trouve prisonnière du carcan idéologique imposé a priori.</p>
<p>On peut regretter, cependant, que la notion de généralisation de leur modèle ne soit pas davantage étudiée, car son universalité ne paraît absolument pas acquise (voire démontrable). Il en résulte une sensation de limitation conséquente du champ d’étude, surtout 40 ans plus tard, en quelque sorte limité à la politique américaine des années 80. En se focalisant sur cette région spatio-temporelle à l’aide d’un modèle qui ressasse sans cesse l’idée selon laquelle les médias sont des acteurs majeurs de la propagande, la démonstration s’enferme par moments dans une répétitivité laborieuse et éreintante pour le non-chercheur dans le domaine. Les 700 pages semblent insurmontables au creux de certains chapitres particulièrement velus. Vu d’aujourd’hui, pour peu que le sujet ait déjà été débroussaillé à titre personnel, la lecture de "La Fabrication du consentement" peut donner l’impression que <strong>Chomsky </strong>et <strong>Herman </strong>déballent l’artillerie lourde et des hectolitres de défoliant pour dégommer une mouche. La thématique reste cependant d’une évidente actualité, en ces temps d’hygiène mentale malmenée, d’analogies morales vertigineuses et autres raccourcis intellectuels imposés.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Fabrication-du-consentement-de-Noam-Chomsky-et-Edward-Herman-1988#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/838La Ballade du petit soldat, de Werner Herzog (1984)urn:md5:7b340ac7239c68e9cc604886b3b6d9b92018-05-21T12:30:00+02:002018-05-21T11:35:44+02:00RenaudCinémaEnfanceGuerreNicaraguaSandinismeWerner Herzog <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ballade_du_petit_soldat/.ballade_du_petit_soldat_m.jpg" alt="ballade_du_petit_soldat.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="ballade_du_petit_soldat.jpg, mai 2018" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Un sourire suffit</strong></ins></span>
</div>
<p><ins>La Ballade du petit soldat</ins> s'intéresse à un groupe d'Indiens Miskito, en lutte contre les troupes sandinistes au Nicaragua, et plus précisément à l'utilisation d'enfants-soldats pour mener cette guerre. <strong>Herzog</strong> est emmené là-bas par un de ses amis, <strong>Denis Reichle</strong>, qui fut lui-même dans la situation de ces enfants-là au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au sein du Volkssturm, une milice populaire allemande levée en 1944. Le documentaire est étonnamment simple et limpide de la part de <strong>Herzog</strong>, un peu comme l'était la fiction <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Pays-ou-revent-les-fourmis-vertes-de-Werner-Herzog-1984"><ins>Le Pays où rêvent les fourmis vertes</ins></a> avec son message écologiste très explicite, et à ce titre surprenant dans une filmographie jalonnée par des lubies bien plus obscures. Mais cela n'enlève rien à la force du regard, et diversifie à mes yeux l'éventail des aspirations du réalisateur.</p>
<p><strong>Herzog </strong>s'attarde longuement sur l'entraînement militaire de ces enfants, par l'intermédiaire d'un instructeur recruté spécialement pour les former au maniements d'armes diverses, du fusil mitrailleur au mortier. Les exercices sont réalisés à balles réelles, naturellement. La rhétorique de l'instructeur pourrait se résumer, en substance, au fait que "c’est le meilleur âge car ils ne sont pas encore corrompus, on peut les entraîner à combattre les communistes". Un crédo qui semble impulsé par la CIA comme elle a pu le faire du côté des contras, et qui parvient à faire rentrer dans la tête de ces enfants l'idée d'appartenance à un pays et la défense d'un territoire présentée comme nécessaire et inéluctable, en exploitant la violence de leur courte existence (ils ont tous vu des proches mourir).</p>
<p>Mais ce contexte géopolitique n'est pas ce qui intéresse le plus <strong>Herzog</strong>, au final, avec le recul : son idée fixe est vraiment de se concentrer sur ce paradoxe vivant, cette association arme-enfant. Une âme a priori innocente transformée en machine à tuer, parfois "plus courageuse que des adultes" quand il s'agit de partir en mission suicide. Les instructeurs savent parfaitement canaliser la colère et la peur de ces enfants, ils savent attiser la flamme de la vengeance qui brûle intensément chez ceux qui ont vu leurs parents assassinés. On sent poindre un vrai traumatisme chez <strong>Herzog</strong>, qui parvient à capter des regards d'enfants déchirants. C'est le cas de la scène introductive et de la scène finale : un enfant qui chante, en uniforme de combat, une énorme mitraillette dans les mains. Le visage est dur mais la voie est encore enfantine. Et au détour d'une prise de vue, un sourire éclate, magnifique, l'émail d'un blanc éclatant contre le métal noir de l'arme, brisant un instant l'image des guerriers qu'ils sont devenus.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ballade_du_petit_soldat/troupe.jpg" alt="troupe.jpg" title="troupe.jpg, mai 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ballade_du_petit_soldat/enfant.jpg" alt="enfant.jpg" title="enfant.jpg, mai 2018" />
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