Je m'attarde - Mot-clé - Nucléaire le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearEarth (Erde), de Nikolaus Geyrhalter (2019)urn:md5:e3236ebfed9a790d6bd0a49504c89f442023-12-18T11:39:00+01:002023-12-18T11:39:00+01:00RenaudCinémaAllemagneAutricheCanadaDocumentaireEspagneEtats-UnisHongrieItalieMineMineraiNatureNikolaus GeyrhalterNucléaire <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/earth.jpg" title="earth.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.earth_m.jpg" alt="earth.jpg, déc. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"If all else fails, there’s always dynamite. We always win."</strong></ins></span>
</div>
<p>Il y a un peu des paysages irakiens désolés filmés depuis un hélicoptère par <strong>Werner Herzog </strong>en 1992 (<ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Lecons-de-tenebres-de-Werner-Herzog-1992">Leçons de ténèbres</a></ins>) dans ce film hypnotisant de <strong>Nikolaus Geyrhalter</strong>. Si l'on excepte le dernier des 8 segments que compte <ins>Earth</ins>, le documentaire est entièrement consacré à la transformation du paysage à grande échelle par l'homme, dans des mines et autres sites d'exploitation remuant des millions de tonnes de terre par jour, avec une alternance extrêmement bien équilibrée : d'une part des visions d'ensemble des chantiers, avec beaucoup de prises de vues aériennes par drone (plus abordable qu'un hélicoptère, on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'en aurait fait <strong>Herzog</strong>...) qui capte le ballet incessant des énormes machines sur des terrains toujours différents, et d'autre part des témoignages recueillis directement auprès des ouvriers, face caméra, très posément, éclairant des états d'esprit et des rapports aux métiers tout aussi variés, souvent fiers de leur métier et conscients des conséquences. Le procédé est surprenant de la part de <strong>Geyrhalter</strong>, l'auteur de monolithes invariablement muets comme le stupéfiant <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Homo-Sapiens-de-Nikolaus-Geyrhalter-2016">Homo Sapiens</a></ins>, mais il s'avère vraiment payant.</p>
<p>Californie, Autriche, Italie, Hongrie, Espagne, Allemagne, Canada. On rase une montagne pour en faire une future petite ville californienne, on en creuse une autre pour créer un tunnel, on extraie différents minerais pour l'industrie du bâtiment ou de l'électronique, on taille d'immenses blocs de marbre dans la roche mère, on garnit le sol d'explosifs quand la terre se fait trop réticente, on réalise que le stockage des déchets nucléaires n'est pas aussi simple que ce qu'on pensait il y a encore quelques décennies. Toutes ces opérations, que la plupart des êtres humains aura tôt fait de qualifier de "nécessaires" ("it's human nature", dira l'une des personnes sur le chantier américain de San Fernando Valley où l'on déplace littéralement des montagnes), occasionnent des déplacements de terre dans des volumes proprement hallucinants et sous des modalités d'excavation incroyablement diversifiées. Toute la gamme de bulldozers y passe, avec les hommes à l'intérieur largement malmenés par la machine : l'un d'entre eux dira d'ailleurs qu'il s'agit d'un combat contre la planète, qu'elle résiste quand on la pille, mais que quoi qu'il en soit, c'est l'homme qui aura le dernier mot puisque "If all else fails, there’s always dynamite. We always win." À titre personnel, je reçois ces paroles comme certains reçoivent les images abominables diffusées par L214 dans certains abattoirs, comme si on était aux portes de l'enfer.</p>
<p>Certaines choses ne peuvent pas être conscientisées tant qu'on ne les a pas vraiment vues, et il y a une image (parmi beaucoup d'autres) dans <ins>Earth</ins> qui semble venir d'une autre planète. Sur un chantier de Gyöngyös en Hongrie, au milieu d'une gigantesque exploitation, elle est là, tout droit sortie d'un film de science-fiction dystopique. Une machine de la taille d'un immeuble de 16 étages (et encore, ce n'est que la hauteur, elle s'étend en longueur sur une distance encore plus grande) creuse la terre, tonne par tonne, tandis qu'un tapis roulant long de plusieurs centaines de mètres achemine les restes plus loin. On prend la terre et la roche, on la broie, on en extraie quelque matériau, et on la rejette en tas à côté. On transforme une montagne vivante avec ses innombrables strates géologiques en un tas de graviers par l'entreprise d'une machine monstrueuse entre autres par ses dimensions inimaginables. Rarement une image documentaire aura été aussi angoissante, symbole gargantuesque de destruction.</p>
<p>À côté de ça, on apprend que la modification des eaux souterraines et les grands barrages à travers la planète ont un effet direct sur l'axe de rotation de la Terre (modification de la précession) ainsi que sur sa vitesse de rotation. Mais bon, "what's the alternative?". À Carrare en Italie, on extraie des blocs de marbre de plusieurs centaines de tonnes, parfois à plusieurs bulldozers (et je laisse imaginer la taille des engins) : ce qui prenait plusieurs jours à la fin du XXe siècle se fait désormais en une heure. Le corolaire étant que les paysages se transforment à une vitesse impressionnante. Les images sont sublimes ici, un lieu hautement photogénique que <strong>Yuri Ancarani </strong>avait déjà capturé dans son magnifique court-métrage intitulé <ins>Il Capo</ins> en 2010, davantage orienté sur le chef-d’orchestre guidant les machines. À cette vitesse-là, d'ici quelques centaines d'années, il n'y aura plus rien affirme un opérateur, avant de rajouter "mais bon, on ira sans doute sur la Lune ou sur Mars pour exploiter les ressources là-bas". De la science-fiction, encore une fois.</p>
<p>La toute dernière partie de <ins>Earth</ins> est la plus faible, la plus maladroite, la plus anecdotique. Le geste est louable mais l'effet est raté : <strong>Nikolaus Geyrhalter </strong>entendait donner la parole à des habitants de la région de Fort McKay au Canada, vivant près d'un cours d'eau pollué par les sites d'extraction de pétrole et de gaz de schiste, montrant au passage d'anciennes industries abandonnées avec engins de chantiers laissés là, en décomposition au milieu d'une forêt reprenant ses droits, et des bâtiments en ruines garnis d'amiante. Dommage de laisser retomber ainsi la tension à l'occasion d'une séquence aussi faible et aussi inférieure en termes esthétiques.</p>
<p>Mais tout le reste est gravé sur la rétine, aucun doute là-dessus. L'échelle à laquelle l'exploitation et la destruction s'opèrent donne au documentaire des airs post-apocalyptiques sans pour autant verser dans l'accusation facile, notamment grâce aux échanges avec les intervenants sur les différents sites. De par l'ampleur des événements retranscrits, <strong>Geyrhalter </strong>confère à ses images un parfum d'inéluctabilité incroyablement intense, un sentiment rarement éprouvé ailleurs.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img01.jpg" title="img01.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img01_m.jpg" alt="img01.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img02.jpg" title="img02.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img02_m.jpg" alt="img02.jpg, déc. 2023" /></a>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img07.jpg" title="img07.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img07_m.jpg" alt="img07.jpg, déc. 2023" /></a>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img10.jpg" title="img10.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img10_m.jpg" alt="img10.jpg, déc. 2023" /></a>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img12.jpg" title="img12.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img12_m.jpg" alt="img12.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img13.jpg" title="img13.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img13_m.jpg" alt="img13.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img14.jpg" title="img14.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img14_m.jpg" alt="img14.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img15.jpg" title="img15.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img15_m.jpg" alt="img15.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/img16.jpg" title="img16.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/earth/.img16_m.jpg" alt="img16.jpg, déc. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Earth-de-Nikolaus-Geyrhalter-2019#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1308Métamorphoses, de Sebastian Mez (2013)urn:md5:5a5d89c654f81cd4a261e3085c9ea8bd2022-01-18T10:28:00+01:002022-01-18T10:28:00+01:00RenaudCinémaAccidentCensureDocumentaireNucléairePollutionRussie <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/metamorphoses/.metamorphoses_m.jpg" alt="metamorphoses.jpg, déc. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>La catastrophe de Kychtym<br /></strong></ins></span>
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<p>Quel est le troisième plus grave accident nucléaire de l'histoire après Tchernobyl et Fukushima ? C'est la méconnaissance globale de la réponse qui a poussé <strong>Sebastian Mez </strong>à s'aventurer dans les environs du complexe nucléaire Maïak, situé près de la ville russe d'Oziorsk, là où se produisit la catastrophe de Kychtym le 29 septembre 1957. Une contamination radioactive résultant de l'explosion de 80 tonnes de déchets à cause d'une panne du système de refroidissement dans une usine de retraitement de combustible nucléaire en Union Soviétique : dans la région, on a cru que la Troisième Guerre mondiale avait commencé. 200 personnes meurent sur le coup, 300 000 personnes reçoivent une dose de radiation supérieure au seuil admissible, et pourtant aucune information ne passera à travers les mailles de la censure soviétique : ni pour les habitants, ni pour le reste du monde qui découvrira les événements à la faveur de la perestroïka, 30 ans plus tard.</p>
<p>Aujourd'hui, dans cette région de l'Oural du Sud, le niveau de pollution radioactive est l'un des plus élevés au monde. La rivière Tetcha transporte encore la contamination dans l’océan Arctique, des incendies disséminent encore des particules radioactives dans les régions alentours. <strong>Sebastian Mez </strong>raconte l'histoire non pas d'un point de vue encyclopédique mais plutôt par le témoignage des personnes qui habitent encore aujourd'hui dans ces lieux, pour certains à quelques dizaines de mètres de la rivière puissamment contaminée. La beauté irréelle de ces paysages captés dans un noir et blanc très contrasté (peut-être trop) saisit le sujet sur le vif, tout de suite, renvoyant une image intense de la menace toxique. Un film sous la forme d'un hommage aux gens qui persistent là, dans un style résolument contemplatif.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/metamorphoses/.img1_m.png" alt="img1.png, déc. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/metamorphoses/.img2_m.png" alt="img2.png, déc. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/metamorphoses/.im3_m.png" alt="im3.png, déc. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/metamorphoses/.img4_m.png" alt="img4.png, déc. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Metamorphoses-de-Sebastian-Mez-2013#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1023Ladybug Ladybug, de Frank Perry (1963)urn:md5:bea9c3d74c52ed7025cfa2879d1616512021-01-09T14:30:00+01:002021-01-09T14:30:00+01:00RenaudCinémaEnfanceGuerre froideMenaceMortNucléaireParanoïaPeur <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ladybug_ladybug/.ladybug_ladybug_m.jpg" alt="ladybug_ladybug.jpg, déc. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Nuclear attack within one hour" à l'école<br /></strong></ins></span></div>
<p>Une pépite largement méconnue, capsule temporelle idéale pour se replonger dans (une vision de) la crise des missiles de Cuba en 1962 — <ins>Ladybug Ladybug</ins> étant sorti l'année suivante. Deux points originaux en font tout le sel : le cadre narratif et le point de vue. Le postulat de départ est on ne peut plus simple : dans une école élémentaire située dans un coin de campagne américaine, une alarme se met soudainement en route. C'est le "Air Raid Warning System" qui clignote de sa lumière jaune, et le protocole est très clair : "nuclear attack within one hour". Une fois passée une courte période d'insouciance, une fois éliminée la possibilité d'un exercice ou d'une erreur, le personnel éducatif doit se rendre à l'évidence : il s'agit d'une véritable menace nucléaire.</p>
<p>Le film embraye alors sur la dispersion des enfants en plusieurs groupes, chacun emmené par un adulte en charge de les accompagner chez eux à pied. L'occasion de remarquer le deuxième point intéressant développé par le couple <strong>Frank </strong>et <strong>Eleanor Perry </strong>(réalisation et scénario), à savoir le point de vue adopté, essentiellement à la hauteur des enfants. Une grande partie du récit sera ainsi racontée à travers la perspective des différents écoliers, avec autant de réactions que d'individualités et de groupes formés. L'occasion de tisser les fils d'une histoire à base de peur, de paranoïa, et d'une certaine contemplation de la mort.</p>
<p>La toile de fond de <ins>Ladybug Ladybug</ins> est un commentaire sur les effets psychologiques de la Guerre froide, directement inspiré d'un incident survenu à l'époque dans une école du Midwest. Le but n'est donc pas tant de jouer sur la tension d'une hypothétique bombe qui s'apprêterait à tomber (la réponse sera donnée bien avant la fin) que d'observer l'effet de cette incertitude sur les enseignants et les enfants, à mesure que le sentiment de catastrophe nucléaire s'infiltre dans les esprits et conditionne les comportements.</p>
<p>Certains paniquent, certains s'enferment dans des sous-sols, certains se mettent à genoux et prient, certains ne s'intéressent pas à cette information. Un petit groupe d'enfants, en l'absence totale des parents (une absence très remarquée, ce qui peut rapprocher le film de l'histoire de <ins>Sa Majesté des mouches</ins> dont l'adaptation au cinéma sort la même année, en 1963), s'enferme dans un abri anti-atomique et commence à édicter quelques règles drastiques — conduisant notamment à rejeter une fille, qui demandait seulement à entrer, sous le prétexte fallacieux que l'air et la nourriture viendraient à manquer. L'image d'une fille s'enfermant dans un congélateur à ciel ouvert et d'un garçon criant "stop" tandis qu'une déflagration fend l'air restera assez intense. Le comportement des enfants, entre crainte et résilience, balaie un spectre assez large de réactions avec une subtilité non-négligeable.</p>
<p><ins>Ladybug Ladybug</ins>, c'est un peu le chaînon manquant entre les spots éducatifs "Duck and Cover" et le film catastrophe <ins>Appel d'urgence</ins>.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ladybug_ladybug/.instit_m.jpg" alt="instit.jpg, déc. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ladybug_ladybug/.vieille_m.jpg" alt="vieille.jpg, déc. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ladybug_ladybug/.enfants_m.jpg" alt="enfants.jpg, déc. 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ladybug-Ladybug-de-Frank-Perry-1963#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/884Atomic Café, de Kevin Rafferty, Jayne Loader et Pierce Rafferty (1982)urn:md5:e4feb0c2307e27453a5663256a0900342020-07-07T22:33:00+02:002020-07-07T21:42:41+02:00RenaudCinémaBombe atomiqueDocumentaireEtats-UnisGuerreGuerre froideMilitaireNucléairePropagande <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.atomic_cafe_m.jpg" alt="atomic_cafe.jpg, juil. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Viewed from a safe distance, the atomic bomb is one of the most beautiful sights ever seen by man."<br /></strong></ins></span></div>
<p><ins>The Atomic Cafe</ins> est une petite perle du cinéma documentaire américain, confectionnée à partir d'un collage très harmonieux de centaines de documents en tous genres ayant trait à l'avènement de l'ère atomique. Avec 300 000 dollars, le trio de réalisateurs <strong>Kevin Rafferty</strong>, <strong>Jayne Loader </strong>et <strong>Pierce Rafferty </strong>ont produit une fresque vertigineuse sur le climat paranoïaque qui fut instauré au sein de sa propre population par les gouvernements successifs des États-Unis pendant la Guerre froide. Du largage de la première bombe atomique de l'histoire sur la ville d'Hiroshima aux essais nucléaires à répétition aux quatre coins de la planète, le film brasse trois décades (40s, 50s et début des 60s) de manipulation institutionnalisée de l'opinion comme aucun autre pays au monde ne sait le faire, c'est-à-dire ouvertement, au nom de la défense des saintes valeurs de la liberté. Si vis pacem, para bellum dans toute sa splendeur, et quel qu'en soit le prix — économique, psychologique, et physique.</p>
<p>Le documentaire est sorti en 1982 aux États-Unis, à l'apogée de la désillusion en quelque sorte, peu après la fin de la guerre du Vietnam, le scandale du Watergate, et la course à l'armement interminable avec l'Union soviétique — on trouvera d'ailleurs une séquence désopilante dans laquelle Richard Nixon et Nikita Khrouchtchev font un discours commun, lors de l'exposition nationale américaine à Moscou en 1959. Tout ce que cette époque peut renfermer comme nostalgie et cynisme se trouve magnifiquement condensé dans ces 90 minutes dressant le portrait de gouvernements qui n'ont eu de cesse de minimiser les dangers de la bombe nucléaire et de fabriquer du consentement. Les militaires qui essaient de convaincre avec une bienveillance totale les populations de l'atoll de Bikini du bien-fondé des essais nucléaires, un grand moment. Il y a franchement de quoi rester bouche bée devant cette compilation à haute teneur en humour noir, avec en toile de fond tout ce que la Guerre froide peut comporter comme discours de propagande.</p>
<p>De clips promotionnels réalisés par le gouvernement en films éducatifs à destination des enfants, de publicités en morceaux de country, de matériel de formation militaire en captations documentaires d'explosions nucléaires, le kaléidoscope de sources ainsi assemblées fournit une vision aussi drôle que sidérante de cet état d'esprit, circonscrit à un cadre géographique et temporel bien précis. Ainsi, à travers des reportages autant que des dessins animés, on apprend comment survivre à une attaque nucléaire (séquence hilarante du "duck & cover!" répété inlassablement, que l'on pourrait traduire par "plonge et couvre-toi !", montrant une série de personnages, enfants, parents, ouvriers ou militaires, s'exécuter dans la joie et la bonne humeur lorsqu'une explosion factice survient) et comment la construction des abris atomiques est devenue une nécessité absolue autant qu'un redoutable argument marketing. Quand vient le moment où un film d'entraînement militaire nous explique que "<em>viewed from a safe distance, the atomic bomb is one of the most beautiful sights ever seen by man</em>", dans un élan poétique hasardeux, <ins>The Atomic Cafe</ins> prend une dimension absurde fantastique, à la frontière du surréalisme.</p>
<p>Une mosaïque atomique ahurissante, pratiquée avec un humour de très bon goût.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (1)_m.png" alt="img_atomic (1).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (2)_m.png" alt="img_atomic (2).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (3)_m.png" alt="img_atomic (3).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (4)_m.png" alt="img_atomic (4).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (5)_m.png" alt="img_atomic (5).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (6)_m.png" alt="img_atomic (6).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (7)_m.png" alt="img_atomic (7).png, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/atomic_cafe/.img_atomic (8)_m.png" alt="img_atomic (8).png, juil. 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Atomic-Cafe-de-Kevin-Rafferty-Jayne-Loader-et-Pierce-Rafferty-1982#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/805O-bi, O-ba – La Fin de la civilisation, de Piotr Szulkin (1985)urn:md5:8aaba46f6de851f1500ed0b862d705f62019-01-14T10:47:00+01:002019-01-14T10:49:43+01:00RenaudCinémaAliénationChaosCroyanceDystopieMensongeMisèreNucléairePologneProphétieScience-fiction <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/o_bi_o_ba/.o_bi_o_ba_m.jpg" alt="o_bi_o_ba.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="o_bi_o_ba.jpg, janv. 2019" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Emprise soviétique et mirage de l'Occident<br /></strong></ins></span>
</div>
<p><ins>O-bi, O-ba</ins>, à travers la peinture dystopique d'une micro-société sur le déclin suite à une guerre nucléaire, contient une double démonstration tout à fait surprenante. Avec un budget qu'on n'a aucun mal à deviner très limité, produit dans un pays du bloc communiste quelques années seulement avant l'effondrement de l'URSS, le réalisateur polonais <strong>Piotr Szulkin </strong>est parvenu au-delà de toutes ces contraintes à créer un univers de science-fiction minimaliste mais cohérent et très immersif, d'une part, et d'autre part à proposer une réflexion presque universelle sur le thème de l'aliénation, avec une myriade d'interprétations possibles à la clé.</p>
<p>On est d'emblée projeté dans l'atmosphère sale et sombre d'un futur proche, dans lequel un groupe informe d'humains vit reclus, à l'abri du "Dôme", une structure les protégeant de l'hiver nucléaire à l'extérieur. Dans une ambiance particulièrement angoissante, titillant la fibre claustrophobe qui sommeille plus ou moins en chacun de nous, on parcourt aux côtés du protagoniste Soft les méandres de ce labyrinthe insalubre, à la lumière bleutée des néons blafards. La misère humaine omniprésente, qui se matérialise à tout instant dans les haillons pouilleux qui servent de vêtements aux âmes errantes dont on ne verra jamais les visages, n'a d'égal que le caractère vacillant du Dôme qui menace de s'effondrer. On mesure l'ampleur et la croissance des fissures qui le parcourent un peu partout, mais on ne peut rien faire pour stopper cette détérioration et enrayer la menace qui grandit de jour en jour.</p>
<p>Alors, on se raccroche à une croyance, à une prophétie.</p>
<p><ins>O-bi, O-ba</ins> est sorti la même année que <ins>Brazil</ins>, sur un thème vaguement commun de l'anticipation dystopique, mais les perspectives (autant que les budgets) diffèrent sensiblement. Là où <strong>Terry Gilliam </strong>dépeignait l'enfer totalitaire et bureaucratique, <strong>Piotr Szulkin </strong>propose une allégorie politique d'une étonnante noirceur, sur un ton beaucoup plus sombre, dans une trajectoire beaucoup plus funeste.</p>
<p>La prophétie qui maintient la population en ordre, c'est cette idée selon laquelle une Arche aurait été envoyée pour venir la secourir : dissimuler la peur des foules sous un épais vernis d'espoir, voilà un moyen efficace pour les contrôler. Peu à peu, on en apprend plus sur ce mythe de l'Arche, sur sa dimension hautement politique, et sur le rôle de Soft dans la fabrication de cette croyance.</p>
<p>Le film déroule ainsi une série de moments d'espoir non feint au milieu du marasme, mais dans un sentiment d'horreur glaciale. Au courant de la supercherie, on aborde très différemment les manigances des uns et les espérances des autres. Ces sursauts d'espoir, à l'inverse, au lieu de gommer le désespoir, la misère, la déchéance, et l'insalubrité, ne font que les renforcer. Ainsi on découvre, un peu comme dans <ins>Soleil Vert</ins>, que la nourriture provient de la cellulose de livres que l'on détruit. On découvre les rêves hallucinés de certains, alimentés par les fantasmes que suscite le sauvetage de l'Arche, qui ont pris les devants et ont congelé des corps féminins dans l'attente de les ranimer plus tard, à l'abri, dans un futur tout à fait artificiel mais qui constitue la seule aspérité à laquelle se raccrocher.</p>
<p>Aux côtés de Soft, on découvre petit à petit les différentes couches constituant le mensonge, ce mirage qui maintient l'ordre dans cette société. Dans ce chaos, il devient de plus en plus difficile de démarquer la raison de la folie. Dans ces conditions, une poignée d'hommes suffit à maintenir les mécanismes de contrôle opérationnels, et travaillent à ce qu'ils le restent une fois que le Dôme sera brisé, avec une longueur d'avance sur ses habitants, obnubilés par leur survie et leur salut. Le Dôme et l'Arche, l'emprise soviétique et le mirage de l'Occident, une forme d'aliénation et une forme d'opium pour le peuple : au-delà des nombreuses interprétations que l'on peut trouver dans <ins>O-bi, O-ba</ins>, il subsiste un regard particulièrement désespéré sur le pouvoir asservissant de la croyance, sur la prédisposition des uns à l'embrasser et sur la volonté des autres à l'exploiter.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/o_bi_o_ba/.bordel_m.jpg" alt="bordel.jpg" title="bordel.jpg, janv. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/o_bi_o_ba/.jeu_m.jpg" alt="jeu.jpg" title="jeu.jpg, janv. 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/o_bi_o_ba/.poupee_m.jpg" alt="poupee.jpg" title="poupee.jpg, janv. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/o_bi_o_ba/.lumiere_m.jpg" alt="lumiere.jpg" title="lumiere.jpg, janv. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/O-bi-O-ba-La-Fin-de-la-civilisation-de-Piotr-Szulkin-1985#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/594Threads, de Mick Jackson (1984)urn:md5:368021ce71a9ff9b94eaec1adcd083c22019-01-09T15:19:00+01:002019-01-09T15:19:00+01:00RenaudCinémaDocufictionGuerreNucléaireRoyaume-Uni <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/threads/.threads_m.jpg" alt="threads.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="threads.jpg, janv. 2019" />
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<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"The connections that make society strong also make it vulnerable."<br /></strong></ins></span>
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<p><ins>Threads</ins> forme avec <ins>The War Game</ins> ("La Bombe" en VF) de <strong>Peter Watkins</strong> un diptyque à 20 ans d'intervalle sur le thème de la menace nucléaire, avec deux approches radicalement différentes, mais qui trouvent un écho intéressant. Aucune surenchère dans l'horreur et l'interprétation ici : tout le processus est dépeint dans une froideur de ton incroyable, des premiers remous à travers la radio et la télévision jusqu'aux conséquences à long terme de la catastrophe. Chaque nouvelle situation est décrite en prenant le temps de retranscrire l'atmosphère et de sonder les mentalités, dans une logique de réactions en chaîne. À noter, toutefois, qu'on peut être induit en erreur par la description du film qui aborde un "13 ans après, avec un Royaume-Uni en pleine reconstruction médiévale", alors que ce segment final n'occupe qu'une toute petite partie du film.</p>
<p>La description clinique, chronologique et ultra-réaliste (c'est l'intention en tous cas, dans la limite du micro-budget offert par la BBC à l'époque) des événements est relativement minutieuse, et l'effet produit étonnant dans son ampleur. La ville de Sheffield sert d'expérimentation théorique à cette observation, en examinant les conséquences sur la population à court (surtout) et moyen / long terme. Dans le contexte de la guerre froide, avec des tensions qui virent au conflit militaire entre USA et URSS en Iran, la destruction mutuelle ici dépeinte devait faire froid dans le dos au début des années 80.</p>
<p>L'histoire d'une jeune femme et de sa progéniture en gestation cristallise des enjeux dramatiques supplémentaires, si besoin était, mais qui à mon sens sont un peu superflus. Elle permet toutefois de tisser un fil rouge du début à la fin, des premières préoccupations radiophoniques jusqu'à la naissance de sa petite-fille difforme dans un Royaume-Uni néo-féodal. Sur ce final abrupt, on peut aussi imaginer ce qu'aurait donné le film si cette dernière partie avait été son objet principal et non sa conclusion un peu rapide. L'environnement dans lequel la fille évolue, le nouveau langage comme déstructuré, le retour à la paysannerie en quelque sorte : avec la même description clinique, il y aurait eu matière à faire un autre docu-fiction indépendant.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/threads/.warden_m.jpg" alt="warden.jpeg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="warden.jpeg, janv. 2019" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Threads-de-Mick-Jackson-1984#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/593Le Monde diplomatique - Décembre 2012urn:md5:34b244c5a2c1f6ccc1c94a249e7558482012-12-29T11:36:00+01:002012-12-29T17:47:43+01:00RenaudPresseEnseignementIndeInspection du travailLe Monde diplomatiqueMédecineNucléaireRecherche <p><img title="1_Inde+22-23 Europe.qxp (Page 1), déc. 2012" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="1_Inde+22-23 Europe.qxp (Page 1)" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201212/diplo_201212.jpg" /></p>
<hr><div id="centrage"><span style="font-size:16pt"><ins>Recherche publique, revues privées</ins></span><br /><span style="font-size:13pt">Analyse d'un paradoxe en Sciences</span><br />Par <strong>Richard Monvoisin</strong>, chercheur et membre du CORTECS (<a title="http://cortecs.org/" href="http://cortecs.org/">lien</a>)</div>
<p>Aux lourds rayonnages des bibliothèques universitaires s’ajoutent désormais une pléthore de revues spécialisées en ligne, qui offrent sans délai et souvent sans barrière de paiement les derniers résultats des laboratoires de recherche. Cette transformation pousse les scientifiques à s’interroger sur leurs modèles de publication, afin de les remettre au service de la connaissance et du public.</p>
<p>« <em>Publier ou périr</em> » (citation du zoologiste Harold J. Coolidge) résume aujourd'hui la vie de n'importe quel chercheur. Peu importe la qualité de son enseignement ou du suivi de ses étudiants : pour son prestige universitaire, l'évaluation ne repose que sur la quantité et la qualité des articles publiés dans des revues scientifiques avec comité de relecture — par des experts du domaine, c'est ce qu'on appelle le <em>peer review</em>. La revue doit être choisie avec soin, en conjuguant prétention personnelle et facteur d'impact, cette dernière valeur étant fondée sur le nombre moyen de citations des articles de ladite revue dans d'autres articles scientifiques. Et il faut viser juste : trop bas (une revue peu connue), et l'article ne sera pas apprécié à sa juste valeur ; trop haut (les meilleures publications), et il peut être bloqué des mois durant par les relecteurs, pour finalement se voir refusé.</p>
<p>C'est dans les aspects pécuniaires que le bât blesse. Non seulement l'auteur de l'article n'est pas rémunéré, mais son laboratoire doit très souvent participer aux frais de secrétariat et d'impression, quand bien même nombre de revues s'orientent vers la publication électronique exclusive. Il reçoit en échange un capital non pas financier, mais symbolique : reconnaissance, prestige, ou plus précisément le droit d'indiquer le titre de son article sur son CV... Les lecteurs-évaluateurs de l'article sont quant à eux des chercheurs sollicités par les revues, eux aussi rémunérés en capital symbolique. La concurrence entre chercheurs du monde entier peut induire certains effets pervers, à la croisée de la collusion et du conflit d'intérêts, même si l'honnêteté et la bonne foi demeurent prédominantes. De plus, ce système est loin de garantir la véridicité et l'exactitude de toutes les publications : des résultats frauduleux, maquillés ou parfois complètement bidonnés passent régulièrement entre les mailles du filet.<br />Autre souci : l'évaluation des chercheurs, qui entraîne via la quête de citations une forme de trafic d'influences, amenant par exemple à citer des amis. Il n'est pas rare de voir des articles signés d'une dizaine de noms, ceux de jeunes chercheurs ayant réalisé l'essentiel du travail et ceux de directeurs de laboratoire, nettement moins impliqués. Il s'agit là du dévoiement d'un procédé qui peut s’avérer légitime dans de nombreux cas.</p>
<p>Ce système s'avère en outre très coûteux pour la communauté scientifique. Le contribuable finance une recherche que le scientifique publiera, parfois à ses frais, dans une revue adossée à une entreprise privée, que d'autres chercheurs devront relire gratuitement et que les universités devront ensuite racheter à prix d'or. La moitié du budget de fonctionnement des bibliothèques universitaires passe en effet dans les abonnements, ce qui désavantage d'emblée les établissements les moins riches et a des répercussions inévitables sur les frais de scolarité des étudiants. Cette année, l'éditeur <em>Elsevier</em> a été au cœur d'une polémique dans le milieu universitaire, quand un projet de loi visant à interdire le libre accès des travaux financés par le public a été présenté aux États-Unis. De nombreux scientifiques se sont révoltés, parmi lesquels Timothy Gowers, médaille Fields 1998, qui annonça qu'il boycottait désormais les revues liées à <em>Elsevier</em>. Pour certaines bibliothèques, l'abonnement aux journaux de cet éditeur représente jusqu'à près de 40 000 dollars, générant des profits qui avoisinent le milliard d'euros en 2011. De prestigieuses universités comme celle de Harvard, qui se déleste chaque année de 3,75 millions de dollars pour acheter des revues, ne peuvent qu'approuver et se joindre à cette fronde universitaire. </p>
<p>Il existe d'ores et déjà des solutions alternatives à ce mécanisme très commercial, en particulier du côté de la publication libre et ouverte (avec les sites PLoS, HAL, arXiv, etc.). À long terme, la communauté des chercheurs n'aura sans doute guère d'autre choix que de les développer afin de gripper le système actuel.</p>
<hr>
<p>Et aussi : </p>
<ul><li><ins>Qui défendra les inspecteurs du travail ?</ins>, entre hostilité patronale et réformes gouvernementales, par <strong>Fanny Doumayrou</strong>.<br />Une belle double page du Diplo est consacrée à ce corps de métier souvent mal connu et soumis à une politique (chiffrée pour les uns, laxiste pour les autres) aux conséquences dramatiques. En juin 2012, Dassault a été condamné pour discrimination syndicale à l’égard de dix-sept salariés de son usine de Biarritz, qui n’ont pas eu une évolution de carrière normale. Le procès a abouti en partie grâce à l’enquête de l’inspection du travail. Un exemple des missions qu’accomplit ce corps de fonctionnaires détesté par le patronat et repris en main par le pouvoir.</li>
<li><ins>Safari scalpel à New Delhi</ins>, inégalités sanitaires et bactéries résistantes, par <strong>Sonia Shah</strong>.<br /> Grippe aviaire, dengue, chikungunya rappellent que les épidémies voyagent dans les mêmes véhicules que les humains et les animaux. Aller se faire opérer à l’étranger peut paraître, à titre individuel, avantageux. Toutefois, le développement du tourisme médical n’est pas sans lien avec la montée en puissance de maladies résistant aux antibiotiques. Un reportage très instructif sur des dérives (sanitaires et humaines) dont on peine à imaginer l'existence.</li>
<li><ins>Un gendarme du nucléaire bien peu indépendant</ins>, dans les méandres de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique, par <strong>Agnès Sinaï.</strong><br />Impuissante à réguler la circulation des matières fissiles et à régler le dossier iranien, l’Agence internationale de l’énergie atomique a deux visages : zélatrice du nucléaire civil d’un côté, gendarme du nucléaire militaire de l’autre. Elle a défendu les vertus de l’atome y compris à Fukushima, où elle a tenu sa conférence ministérielle du 15 au 17 décembre. Des conflits d'intérêts manifestes qui font parfois froid dans le dos...</li>
</ul>
<hr> <p><ins>À écouter</ins> :<br /> L'émission de <strong>Daniel Mermet</strong> sur France Inter, <em>Là-bas si j'y suis</em> (<a title="http://www.la-bas.org/" hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/"><em>www.la-bas.org</em></a>), qui invite l'équipe du Diplo une fois par mois. Celle de décembre est disponible sur <a title="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2623" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2623">http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2623</a>.</p>
<p><ins>À farfouiller</ins> :<br />Le site du <em>Monde diplomatique</em> : <a title="http://www.monde-diplomatique.fr/" hreflang="fr" href="http://www.monde-diplomatique.fr/">www.monde-diplomatique.fr</a>.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-diplomatique-Decembre-2012#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/182