Je m'attarde - Mot-clé - Secret le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearVoyage sans retour (One Way Passage), de Tay Garnett (1932)urn:md5:5a142ca7e9421b7d991262722beb772f2024-01-18T10:49:00+01:002024-01-18T10:50:19+01:00RenaudCinémaAmourBateauComédieEtats-UnisHawaïHong KongKay FrancisMensongePré-CodeRomanceSan FranciscoSecretTay GarnettVoyageWarren HymerWilliam Powell <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/voyage_sans_retour.jpg" title="voyage_sans_retour.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/.voyage_sans_retour_m.jpg" alt="voyage_sans_retour.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"These holidays are dynamite."</strong></ins></span>
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<p>Aiguillé par la place de choix que <strong>Bertrand Tavernier </strong>lui accorde dans son pavé <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Amis-americains-de-Bertrand-Tavernier-1993">Amis Américains</a></ins>, <strong>Tay Garnett </strong>s'immisce dans ma cinéphilie par l'entremise de cette romance aux accents comiques qui aurait très bien pu constituer le terreau idéal d'un mélodrame sirupeux et éreintant s'il n'avait pas éclos dans un cadre particulier : le Forbidden Hollywood, l'ère du Pré-Code. Quelques années avant que la censure du code Hays n'entre en scène en 1934, <ins>One Way Passage</ins> est un régal de comédie raffiné typique de ces années-là, le début de la décennie 1930. Un navire de croisière, une poignée de personnages aux destins mêlés, des flirts croisés, une série de bons mots, et la chose est lancée.</p>
<p>Tout le film est basé sur une contrainte sous-jacente, la cohabitation forcée entre plusieurs personnes, qui génèrera autant de rapprochements bienvenus pour les uns et redoutés pour les autres. Une histoire d'amour issue d'un coup de foudre dans un bar de Hong Kong se poursuit à bord d'un paquebot, pour le voyage retour en direction de San Francisco. Mais une histoire d'amour également pétrie de non-dits, de mensonges, de secrets : on apprendra rapidement que elle, Joan (<strong>Kay Francis</strong>), est condamnée par une maladie incurable qui lui ôtera bientôt la vie, et que lui, Dan (<strong>William Powell</strong>), est un condamné à mort qui retourne sur le continent nord-américain pour terminer sur une chaise électrique.</p>
<p>Mais jamais <ins>Voyage sans retour</ins> ne se fait lourd sur cette composante dramatique, bien au contraire : ce n'est qu'une configuration pour créer une certaine entrave dans leur relation, qui trouvera certes pour point de chute une séparation faussement optimiste (magnifique final où chacun a appris la condition de l'autre sans que l'autre ne le sache, et feignant des retrouvailles qui n'auront tristement jamais lieu) mais qui constituera un carburant permanent aux enjeux. Car autour d'eux rôdent différents personnages secondaires gratinés, avec notamment une fausse comtesse, le sergent (<strong>Warren Hymer</strong>, la tête idéale de l'emploi) en charge de l'arrestation de Dan qui tombera sous le charme de cette dernière, et un blagueur potache bourré tout du long dont la fonction sera essentiellement d'introduire un peu de chaos dans tout cela. Ce microcosme apporte la touche de légèreté bienvenue, avec des états d'âme surprenants (le flic se montrera magnanime avec les malfrats) et typiques du Pré-Code.</p>
<p>Quelques épisodes exotiques (dont une escale à Hawaï, sur les plages de Honolulu, ouvrant de nombreuses possibilités), une traversée en bateau qui scellera l'intégralité d'une histoire d'amour, de son commencement à son dernier souffle, sans qu'aucune des deux parties ne connaisse le sort de son amant, et une conclusion sous la forme d'un rendez-vous manqué au parfum tragique et délicat. Bonne pioche.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/img1.png" title="img1.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/.img1_m.png" alt="img1.png, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/img2.png" title="img2.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/.img2_m.png" alt="img2.png, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/img3.png" title="img3.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/.img3_m.png" alt="img3.png, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/img4.png" title="img4.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/voyage_sans_retour/.img4_m.png" alt="img4.png, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Voyage-sans-retour-de-Tay-Garnett-1932#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1332L'Emprise du crime, de Lewis Milestone (1946)urn:md5:f5b37569fa4a42bf63c737043b5fd6482023-02-24T10:10:00+01:002023-02-24T10:10:00+01:00RenaudCinémaBarbara StanwyckChantageCulpabilitéFilm noirKirk DouglasLewis MilestoneMeurtreSecretSolitudeVan Heflin <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emprise_du_crime/.emprise_du_crime_m.jpg" alt="emprise_du_crime.jpg, janv. 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"What happened to you? — Not a thing. I'm just made up for Halloween."<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Rha mais quel dommage que certains recoins de scénario, certains comportements, et certaines explicitations soient autant maladroits, ou du moins aient subi avec beaucoup de dommages l'effet des 80 ans qui nous séparent de la sortie de <ins>The Strange Love of Martha Ivers</ins>... La structure est classieuse, en prise directe avec les passages obligés appréciables du film noir : une courte introduction scelle le destin de trois enfants, trois amis liés par la mort d'une personne au pied d'un escalier (ces escaliers qui constituent d'ailleurs une figure à part entière du film noir), et un flash-forward initie le reste du film avec le retour d'un des trois, une vingtaine d'années plus tard. Un retour vécu comme un élément perturbateur inséré dans une configuration qui avait fini par trouver son équilibre, en apparence tout du moins.</p>
<p>Pas mal de choses ternissent le tableau. Le retour de l'enfant qui s'était enfui, interprété par <strong>Van Heflin </strong>à l'âge adulte, tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, avec une mise en scène fort peu habile pour figurer le hasard de celui qui revient dans sa ville natale sans s'en rendre compte. La figuration au forceps des liens entre les enfants d'hier et les adultes d'aujourd'hui, pour éviter que des spectateurs étourdis n'aient pas compris que les personnages de <strong>Barbara Stanwyck </strong>et <strong>Kirk Douglas </strong>correspondent aux enfants de l'introduction, à grand renfort de dialogues faisant référence sans subtilité à la scène qu'on a pu voir 10 minutes plus tôt. Toutes ces coutures un peu moches ont participé à minorer l'intérêt du film malheureusement, alors qu'il dispose d'arguments plutôt convaincants.</p>
<p>C'est un thème qu'on verrait davantage associé à <strong>Lang </strong>qu'à <strong>Milestone</strong>, mais la question de la culpabilité criminelle est abordée de manière attrayante dans <ins>L'Emprise du crime</ins>, à la faveur d'un quiproquo matriciel. Quand Sam retrouve ses amis d'enfance, Martha et Walter, il ne comprend pas pourquoi ils tirent une gueule d'enterrement quand il leur demande un service — en l'occurrence, un geste de bienveillance à l'égard d'une fille qu'il vient de rencontrer et jouée par <strong>Lizabeth Scott</strong>, sosie troublante de <strong>Lauren Bacall</strong>. Mais ce qu'on ne comprend pas tout de suite, c'est que d'une part les deux croient que le revenant est là pour un gros morceau de chantage (une faveur contre son silence au sujet du meurtre de leur enfance), et d'autre part le témoin en question n'a jamais assisté au dit meurtre. Le début d'un long parcours marqué par les échecs, l'amertume des désirs frustrés et des rêves non-réalisés.</p>
<p>Ainsi se dévoile un film qui nourrit un sentiment de solitude morale plutôt puissant, dans une ambiance désenchantée, avec la figure du pont vers le passé construit par le retour d'un homme qu'on avait oublié, ravivant une ancienne blessure. La peur de voir le secret révélé est assez joliment montrée (un innocent a quand même perdu la vie, il y a de quoi avoir des remords), les débuts cinématographiques de <strong>Kirk Douglas </strong>sont attachants, et le nœud passionnel entre les trois protagonistes, à travers les consciences torturées, contient une dose de fatalité très appréciable.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emprise_du_crime/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emprise_du_crime/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Emprise-du-crime-de-Lewis-Milestone-1946#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1119Kyoto, de Noboru Nakamura (1963)urn:md5:166c20dff95b8276d517caa8758aca4d2021-03-07T21:34:00+01:002021-03-07T21:34:00+01:00RenaudCinémaFamilleJaponJumeauxMélodrameSecret <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kyoto/.kyoto_m.jpg" alt="kyoto.jpg, fév. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>L'art du mélo calme<br /></strong></ins></span></div>
<p>C'est sans doute un peu idiot à dire mais l'histoire racontée dans <ins>Kyoto</ins> aurait probablement été teintée de mièvrerie ou de banalité si elle avait développée dans le cadre d'à peu près n'importe quel autre cinéma que le japonais. C'est une interrogation récurrente, et il me semble que dans beaucoup de cas c'est là où le mélodrame familial trouve son plus bel écrin, le plus à même de faire passer les émotions avec suffisamment de subtilité et de vigueur pour ne pas tomber dans les travers de la posture, de l'épanchement sentimental, de l'inintelligible, ou du lieu commun.</p>
<p><strong>Shima Iwashita </strong>(connue chez <strong>Kobayashi</strong>, <strong>Gosha</strong>, ou encore <strong>Ozu</strong>, excusez du peu) incarne un rôle double : deux jumelles orphelines, Chieko et Naeko, ignorantes l'une de l'autre jusqu'à leur rencontre fortuite dans la rue. Un événement déclencheur d'un grand malaise existentiel et de révélations en cascade qui remueront la terre du passé, jusqu'à cette fois où durant leur enfance, elles avaient été placées dans des familles adoptives différentes — séparées car, selon certaines croyances, des jumelles sont un mauvais présage. L'actrice incarne ainsi les deux sœurs en même temps, y compris au sein de séquences en split-screen caché (à une époque où la technologie ne permettait rien d'autre pour faire figurer deux fois la même personne dans le même plan) sans qu'on ne puisse détecter quoi que ce soit. Dans le rôle d'un père adoptif, on remarque la tête bien connue de <strong>Seiji Miyaguchi</strong>, un habitué de <strong>Kurosawa</strong>, mais aussi chez <strong>Imamura </strong>et <strong>Ozu</strong>.</p>
<p>Dans la peinture des milieux sociaux qui creusent les différences entre les deux sœurs, on trouve une thématique qui fait beaucoup penser à <strong>Ozu</strong>, justement, avec quelques influences européennes — les références au peintre suisso-allemand <strong>Paul Klee </strong>sont récurrentes. Les liens de parenté se démêlent ainsi petit à petit, autour du magasin de soie que tiennent les parents de celle en proie à de grands doutes existentiels : elle pensait pendant longtemps que ses parents actuels l'avaient enlevée alors que c'était ses anciens parents qui l'avaient abandonnée. Les prémices d'une crise identitaire sont là, alimentées par le choix qui s'impose à elle : poursuivre le commerce de ses parents où s'envoler à l'extérieur pour se marier. L'occasion pour <strong>Noboru Nakamura </strong>de proposer quelques esquisses de Kyoto, côté ville et côté campagne, selon un rythme et des couleurs qui oscillent au gré des saisons. Un mélodrame sans effusion.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kyoto/.soeur_m.jpg" alt="soeur.jpg, fév. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kyoto/.pierres_m.jpg" alt="pierres.jpg, fév. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kyoto/.bois_m.jpg" alt="bois.jpg, fév. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kyoto/.temple_m.jpg" alt="temple.jpg, fév. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Kyoto-de-Noboru-Nakamura-1963#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/911Le Secret du ninja, de Satsuo Yamamoto (1962)urn:md5:3279097cfe95b2fcee8b0ac567e74b632020-10-26T20:36:00+01:002020-10-26T20:36:00+01:00RenaudCinémaAliénationAssassinatChanbaraGuerreHonneurJaponNinjaSamouraïSecret <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/secret_du_ninja/.secret_du_ninja_m.jpg" alt="secret_du_ninja.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Ninjas & Samouraïs<br /></strong></ins></span></div>
<p><ins>Le Secret du ninja</ins> pourrait laisser penser, pendant un long moment, qu'on s'aventure dans un chanbara des plus classiques : l'action est située à la fin d'une période de guerres civiles au 16ème siècle, la question de la rivalité entre plusieurs clans ennemis pour accéder au shogunat fait très vite surface, avec son réseau dense de complots en tous genres maillant une grande partie de l'espace de la narration. Il y a le chef d'un clan qui se présente comme supérieur aux autres (interprété par <strong>Tomisaburo Wakayama</strong>, le héros de la saga <ins>Babycart</ins>), et tous les rivaux qui ne pensent qu'à le contrarier dans ses projets : on pourrait très bien se trouver chez <strong>Kurosawa </strong>ou <strong>Kobayashi</strong>.</p>
<p>Mais <strong>Satsuo Yamamoto </strong>investit un registre quelque peu différent des samouraïs, même si ces derniers restent présents en arrière-plan : celui du film de ninjas. Loin des expérimentations baroques que la Shaw Brothers a pu produire, à l'instar des très beaux <ins>Five Element Ninjas</ins> ou encore <ins>Shaolin contre Ninja</ins> sortis deux décades plus tard, <ins>Le Secret du ninja</ins> adopte un style extrêmement classique dans sa mise en scène, avec une magnifique photographie en noir et blanc qui décuple intelligemment (c'est-à-dire sans esbroufe) la virtuosité des ninjas. Leur conception des arts martiaux ainsi que leur code d'honneur, différent de celui des samouraïs (il s'agit d'espions qui, s'ils sont pris, devront notamment être prêts à tout pour ne pas livrer leurs secrets), donne naissance à une intrigue sensiblement différente avec en son centre un personnage historique : le talentueux Goemon Ishikawa.</p>
<p>C'est un tableau très sombre du Japon de cette période de guerres (baptisée Sengoku), au sein duquel les ninjas sont autant valorisés pour leur technique de combat et d'infiltration qu'exposés dans leur asservissement, entraînés par leur hiérarchie dans des luttes plus ou moins obscures entre différents seigneurs de guerre. Le récit arbore à ce titre une quantité importante de secrets, de faux-semblants et autres chausse-trapes. Avec son histoire retorse et ses personnages secondaires abondants, la narration manquera sans doute de clarté et sa complexité pourra par moments véhiculer une confusion assez décourageante. Mais la peinture du Japon féodal conserve une intelligibilité nette à travers le climat de machination qui sous-tend l'ensemble, à travers les assassinats (une séquence géniale, reprise dans un James Bond, <ins>On ne vit que deux fois</ins>, avec un empoisonnement nocturne via un fil déroulé depuis le plafond jusque dans la bouche d'un seigneur), les affrontements réalistes (tout élément fantastique est exclu), et le climax final de chaos destructeur. En toile de fond, un regard vraiment original sur la condition sociale du ninja, perçu comme un pantin aux ordres de ses supérieurs.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/secret_du_ninja/.attaque_m.jpg" alt="attaque.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Secret-du-ninja-de-Satsuo-Yamamoto-1962#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/849Le Héros sacrilège, de Kenji Mizoguchi (1955)urn:md5:75e4e6ec24999f81057a91b4f2620e4f2020-06-19T16:47:00+02:002020-06-19T16:47:00+02:00RenaudCinémaCritiqueHistoireIntégritéJaponKenji MizoguchiMoyen ÂgePouvoirSamouraïSecret <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.heros-sacrilege_m.jpg" alt="heros-sacrilege.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Émancipation de la classe des samouraïs<br /></strong></ins></span></div>
<p>La situation initiale pourtant bien détaillée dès l'introduction de <ins>Le Héros sacrilège</ins> est un obstacle à la compréhension en soi, du moins lorsqu'on n'est pas Japonais et en pleine connaissance de son histoire médiévale. Il faut un certain temps pour bien s'imprégner de tous les détails, tous les antécédents, et tous les rapports de force qui constituent la toile de fond sur laquelle viendra s'écrire cette histoire en 1170, à une époque où le Japon était gouverné par deux empereurs — source de nombreux conflits. Un long préambule écrit résume la situation complexe du pays, au sein duquel le pouvoir est accaparé et maintenu par un groupe social hétérogène composé de nobles et de moines, qui chacun à sa façon désire entretenir des privilèges en exerçant des pressions de nature politique ou religieuse. <strong>Mizoguchi </strong>fait le choix de s'intéresser à une classe alors inférieure, celle des samouraïs, condamnés à constituer le bras armé du pouvoir tout en restant exclus des sphères décisionnelles et des zones de respect.</p>
<p>C'est dans ce cadre, maillé par un réseau complexe de liens de subordination, que le samouraï Tadamori et son fils Kiyomori essaient de se frayer un chemin vers la cour impériale, de retour d'une guerre victorieuse, dans l'espoir d'obtenir de l'estime de la part des puissants en lieu et place du mépris ancestral.</p>
<p>La couleur en teintes pastel, chose rare chez <strong>Mizoguchi </strong>(sa filmographie, essentiellement en noir et blanc, ne comptera que deux tentatives de la sorte), contribue très efficacement au sentiment d'immersion, notamment dans les premières séquences, en évoluant dans différents recoins d'un marché. La dynamique des foules, les scènes de liesse au même titre que les échauffourées, témoigne un certain sens du détail très appréciable. Tous ces éléments graphiques composent aussi un discours, en illustrant successivement les différentes situations de domination, lorsque Tadamori est traité avec condescendance, puis lorsqu'il est adoubé (avec les costumes de circonstance) avant d'être à nouveau déchu. Ce sera la même chose pour Kiyomori, attiré par les beaux tissus, dans sa position de valeureux guerrier pourfendeur de la superstition : la scène en habits de combat, où il tire sur les miroirs des palanquins avec son arc, brisant ainsi des croyances centenaires entretenues par les moines opportunistes, est d'une grande beauté. <strong>Mizoguchi </strong>fait le choix de ne pas s'intéresser aux conséquences ultérieures de ces actes, au-delà de la terreur immédiate suscitée chez les moines, pour se concentrer sur la confiance nouvelle dont Kiyomori peut enfin bénéficier, sûr de l'identité de son géniteur et de ses origines après avoir déjoué un complot.</p>
<p>D'un scénario historique complexe jalonné de conflits politiques, <strong>Mizoguchi </strong>en extrait une très belle parabole sur l'avènement de la gouvernance des samouraïs. Une plongée acerbe dans le système féodal profondément inégalitaire, gangréné par les luttes de pouvoir, qui ne sera dépassé que par l'acharnement d'une émancipation sacrilège mais bienveillante, à travers les classes et détachée des liens parentaux traditionnels. La dernière séquence, dans laquelle Kiyomori observe sa mère insouciante dans une vaste champ sans pouvoir l'approcher, offre en ce sens un délicieux dernier regard.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.arbres_m.jpg" alt="arbres.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.arc_m.jpg" alt="arc.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.foret_m.jpg" alt="foret.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.robe_m.jpg" alt="robe.jpg, juin 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Heros-sacrilege-de-Kenji-Mizoguchi-1955#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/793So Long, My Son, de Wang Xiaoshuai (2019)urn:md5:70fae5500c3ee50d1012bd34eaef4b182020-03-25T14:23:00+01:002020-03-25T15:23:39+01:00RenaudCinémaAdoptionChineCours d eauDeuilEnfanceMélodrameSecret <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/so_long_my_son/.so_long_my_son_m.jpg" alt="so_long_my_son.jpg, mar. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Fragments d'histoire(s) chinoise(s)</strong></ins></span>
</div>
<p>Il existe dans le cinéma chinois contemporain une frange de réalisateurs qui semble adopter une position relativement homogène pour raconter l'histoire de leur pays, de la fin de la révolution culturelle jusqu'à aujourd'hui. Au sein de ce groupe, on retrouve des fresques imposantes s'étalant parfois sur près de quatre heures, qui entendent balayer de grandes fenêtres temporelles souvent sur plusieurs décennies. Le registre de la tragédie est régulièrement abordé sous la perspective du mélodrame familial, à travers la fragmentation des communautés et l'impuissance des individus face aux grands mouvements d'ensemble. Cette thématique de la déconstruction se retrouve ainsi, presque nécessairement, dans les dispositifs de mise en scène qui manipulent de manière très régulière des narrations elles aussi fragmentées, des reconfigurations temporelles avec des sauts dans le passé ou dans le futur, des changements de tonalité captés sur des rythmes extrêmement lents, le long d'un fil rouge intimiste qui sème ses symboles comme s'il s'agissait d'un jeu de piste.</p>
<p>Ces propositions dotées d'un potentiel clivant non-négligeable peuvent se révéler décevantes, déconcertantes, on le comprend aisément, et elles sont a minima déroutantes. Les premiers temps peuvent être assez obscurs, quand on baigne dans la confusion des temporalités parsemées d'ellipses et tant que les liens entre personnages ne sont qu'au stade de l'esquisse. Ces obstacles dressés sur le chemin des narrations conventionnelles peuvent relever autant du parti pris constructif que de la posture stérile. Comme les deux faces d'une même tentative de virtuosité.</p>
<p>Pour nommer les choses, on peut penser à :<br />
- <strong>Jia Zhang-ke</strong>, avec <ins>A Touch of Sin</ins> (2013, quatre histoires sur la condition de plusieurs milieux sociaux), <ins>Au-delà des montagnes</ins> (2015, trois temporalités autour d'une famille face au changement de civilisation), et <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Eternels-de-Jia-Zhangke-2018"><ins>Les Éternels</ins></a> (2019, un couple à travers trois grands moments de sa vie).<br />
- <strong>Hu Bo</strong>, avec <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/An-Elephant-Sitting-Still-de-Hu-Bo-2018"><ins>An Elephant Sitting Still</ins></a> (2019, quatre solitudes pour un portrait choral imposant de la douleur contemporaine).<br />
- <strong>Bi Gan</strong>, avec <ins>Kaili Blues</ins> (2015, nébuleuse sensitive où la linéarité du temps et les degrés de réalité volent en éclats en arrivant dans un petit village) et <ins>Un grand voyage vers la nuit</ins> (2019, rêve et souvenirs pénètrent le réel et charpentent le récit).<br />
- <strong>Diao Yi'nan</strong>, avec <ins>Black Coal</ins> (2014, enquête policière qui navigue à travers le temps et les transformations de la société) et <ins>Le Lac aux oies sauvages</ins> (2019, plongée nocturne dans les bastions industriels où les flashbacks remodèlent le présent en flirtant du côté du néo-noir).<br />
- <strong> Zhang Yimou</strong>, avec <ins>Coming Home</ins> (2014, drame historique propret sur l'impact de la révolution culturelle, à travers l'histoire d'une femme amnésique et des retrouvailles impossibles avec son mari sur plusieurs décennies).</p>
<p>Et, donc, <strong>Wang Xiaoshuai </strong>avec <ins>So Long, My Son</ins>, qui entend épouser une configuration similaire (serait-ce la naissance d'une forme d'académisme ?) pour établir le portrait de deux familles aux destins intimement mêlés, sur près de 40 ans. Le contexte historique est donc désormais familier : il s'agit de suivre les répercussions des dernières années de la révolution culturelle et de la politique de l'enfant unique sur un petit groupe d'individus unis dans la tragédie posée en introduction — la noyade d'un enfant. L'absence d'un être cher, au même titre que le malheur suscité par un cours d'eau, hanteront les trois heures passées auprès de Liyun et Yaojun au gré d'une symbolique diffuse. Trois heures et quarante années de reconstruction au fil de l'eau et de l'écriture de l'histoire de la Chine contemporaine, le long d'un récit extrêmement sinueux : la dimension non-chronologique des événements, avec une linéarité à grande échelle mise à mal par une somme continue de non-linéarités ponctuelles, exige une attention de tous les instants et peut rendre la compréhension de la première heure assez périlleuse.</p>
<p>Un voyage aux côtés de deux familles dont le portrait serait effectué par petites touches éparses et successives, alimenté en cela par des bribes de leur passé qui nous reviendraient de manière irrégulière, comme les flots de la séquence inaugurale (tournée en plans continus et très lents) qui ne cesseront pas de revenir sur le devant du récit au gré des ellipses ou des associations d'idées, comme un cauchemar vaporeux mais tenace. Sans doute <strong>Wang Xiaoshuai </strong>se fait-il un peu trop insistant au niveau de la grammaire, au détour de plusieurs rimes cinématographiques insistantes (les prénoms identiques des deux fils "uniques", le parallèle avec l'enfant du couple d'amis, le grand déballage final). Mais cette façon dont les existences sont modelées, si ce n'est malmenées, baignant dans les incertitudes caractéristiques de ce courant (temporelles et relationnelles), compose une fresque intense et indélébile.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/so_long_my_son/.banc_m.jpg" alt="banc.jpg, mar. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/So-Long-My-Son-de-Wang-Xiaoshuai-2019#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/749