Je m'attarde - Mot-clé - Souffrance le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLe Monde d'Apu (অপুর সংসার, Apur Sansar), de Satyajit Ray (1959)urn:md5:f8bdc8c36ce8358a79bebe28d94ad13d2024-02-05T09:35:00+01:002024-02-05T09:35:00+01:00RenaudCinémaCalcuttaDésespoirFamilleIndeMariageMortMélodrameSatyajit RaySouffranceTravail <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/monde_d_apu.jpg" title="monde_d_apu.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.monde_d_apu_m.jpg" alt="monde_d_apu.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Par-delà les souffrances</strong></ins></span>
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<p>La fin de la trilogie d'Apu fait suite à <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Complainte-du-sentier-de-Satyajit-Ray-1955">La Complainte du sentier</a></ins> (1955) et <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Invaincu-de-Satyajit-Ray-1956">L'Invaincu</a></ins> (1956), quelques années plus tard, et marque l'achèvement d'un portrait dense opéré en compagnie d'une multitude d'acteurs ayant prêté leurs traits aux différents âges du protagoniste. Dans ce dernier chapitre, c'est <strong>Soumitra Chatterjee </strong>qui interprète le rôle principal, lui qui avait été écarté du casting pour les films précédents car trop âgé — tout vient à point... — et qui représentera donc la partie la plus mature de la vie d'Apu. Une nouvelle étape marquée par de nombreuses thématiques communes aux autres volets (les malheurs familiaux et la mort, notamment) qui ancre la trajectoire dans le monde adulte au travers du mariage, bien qu'il s'agisse-là d'un mariage forcé pour les deux parties prenantes, quand bien même le degré de contrainte ne serait pas équivalent entre l'homme et la femme dans ce scénario.</p>
<p><ins>Le Monde d'Apu</ins> présente la figure désormais connue de ce personnage constamment balancé entre ses aspirations et la réalité de sa condition : jeune diplômé, armé de sa belle lettre de recommandation, il rêve de succès littéraire tout en échouant à trouver du travail. Interrompre ses études, se soumettre à la loi du travail (du chômage en l'occurrence), sa vie semble dictée par les injonctions pénibles. Alors qu'il passe son temps à jouer de la flûte et tenter d'écrire un roman autobiographique, son ami l'emmène au mariage de sa cousine et suite à un concours de circonstances assez drastique, voilà qu'Apu le simple invité revient de l'événement... lui-même marié à la jeune femme, Aparna (incroyable <strong>Sharmila Tagore</strong>), pour lui éviter un déshonneur — le prétendant a complètement vrillé et une croyance oblige la femme à se marier dans l'instant. Et la demi-heure centrale du film consacrée à leur apprivoisement mutuel est un régal, magnifiquement illustré par la délicate mise en scène de <strong>Satyajit Ray</strong>. Mais on s'en doute, il ne faudrait pas oublier qu'on est chez <strong>Ray</strong>, le bonheur sera de courte durée : après le temps de l'idylle enfin acquise, elle mourra en couches loin de lui. La dernière partie du film marquera donc un long cheminement, comme un retour à la vie, et une lourde mais salutaire acceptation.</p>
<p>La vie d'Apu racontée par <strong>Ray </strong>se termine ainsi sur un mouvement parfaitement conforme aux précédents, puisqu'une nouvelle fois il devra renoncer à ce qu'il chérissait le plus intensément. Le cadre et les références ont évolué, mais c'est encore une fois la mort tragique qui constituera les plus grandes épreuves, après la grand-mère, la mère, maintenant l'épouse. Le retour à Calcutta avec sa femme aura été éprouvant pour Apu, mais clairement la plus grande souffrance prendra son temps, au terme d'une énième adaptation, et en appelant encore une nouvelle. C'est un peu ça, l'épopée d'Apu : surmonter les frustrations, recomposer après les effondrements, persister malgré la souffrance, résister au désespoir. <ins>Le Monde d'Apu</ins> est tissé dans une atmosphère caractéristique du cinéma de <strong>Ray</strong>, un mélange de pessimisme froid et de sérénité acharnée qui finit toujours par réapparaître. Un peu comme le symbole du train qui surgit toujours, dans des interprétations différentes (ici au bord du suicide), chaque volet se termine par la découverte d'un nouveau chemin, par le mouvement au gré d'une nouvelle lancée — ici, le début d'une nouvelle histoire avec son fils. Après avoir semé les pages de son manuscrit au vent, après avoir sombré dans une profonde dépression (la musique de <strong>Ravi Shankar</strong>, accompagnement parfait), après avoir surmonté son amertume en arpentant des sentiers en forêt ou en bord de mer, il reprend la route.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img1.jpg" title="img1.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img2.jpg" title="img2.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img3.jpg" title="img3.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img4.jpg" title="img4.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/img5.jpg" title="img5.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/monde_d_apu/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-d-Apu-de-Satyajit-Ray-1959#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1335Jour de colère, de Carl Theodor Dreyer (1943)urn:md5:61a1eca5c515064a5274c09fc4235ec22020-04-05T00:38:00+02:002020-04-04T23:44:29+02:00RenaudCinémaBûcherCarl Theodor DreyerDogmeEgliseInquisitionSorcellerieSouffrance <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jour_de_colere/.jour_de_colere_m.jpg" alt="jour_de_colere.jpg, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Rien n'est plus paisible qu'un cœur qui a cessé de battre."</strong></ins></span>
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<p><ins>Jour de colère</ins> commence un peu comme se terminait <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Passion-de-Jeanne-d-Arc-de-Carl-Theodor-Dreyer-1928"><ins>La Passion de Jeanne d'Arc</ins></a> 16 ans plus tôt, à savoir le procès en sorcellerie d'une femme dont l'obtention des aveux se fera dans une grande douleur. Si l'austérité formelle et narrative (c'est le moins qu'on puisse dire) caractérise aussi bien l'un que l'autre, la comparaison s'arrête là car ici cette exécution constituera un point de départ et non un point final.</p>
<p>Dans un cadre extrêmement rigoriste, <strong>Dreyer </strong>s'intéresse au foyer du pasteur Absalon dans un village danois du 17ème siècle, structuré autour de plusieurs pôles : sa mère Merete, sa femme et seconde épouse Anne, et son fils Martin issu d'un premier mariage, qui bouleversera l'équilibre relatif de la demeure à l'occasion de son retour, au même titre que la vieille Marte expiée de ses péchés par le feu en introduction. Au creux d'un récit âpre, lent, sec, froid, le caractère méthodique et décharné de la progression se verra toutefois régulièrement bouleversé par des séquences d'une très grande puissance émotionnelle.</p>
<p>Si l'on peut difficilement contester le fait que le film soit tout entier gouverné par une tonalité parmi les plus dures et les plus dépouillées qui soient, cela ne signifie pas nécessairement que l'émotion en soit exclue. Bien au contraire : quelques temps forts articulent solidement le récit, en brisant la dimension monotone et l'austère des échanges sur le sacré, et lui confèrent un rythme tout aussi indéniable.</p>
<p>C'est d'abord le sort de Marte, qui demande pardon à genou et en pleurs, moment terrible, qui révèle une part sombre du passé d'Absalon, et qui finira au bûcher en emportant avec elle ce secret au-delà de la séance de torture qui aboutit à sa confession.<br />
C'est ensuite cet instant lumineux et bucolique, cette parenthèse poétique enchantée au cours de laquelle Anne s'enfuira avec son amant l'espace de quelques scènes en forêt, dans les champs, en profitant des seuls rayons de soleil et des seuls courants d'air qui traverseront le film. L'espace d'un instant, c'est comme s'ils renouaient avec un Paradis perdu.<br />
C'est enfin ce dernier segment, glaçant, qui se terminera sur la procession funéraire d'enfants devant un cercueil, avec le geste accusateur terrible de la mère Merete et le renoncement in extremis du fils Martin quant à ses engagements.<br />
Il en résulte une peinture du dogme et de l'aveuglement, sur le chemin de l'idéal de pureté, entre intégrisme religieux, égoïsme et intolérance, construisant par petites touches successives le portait d'une souffrance et d'un mal terrifiant.</p>
<p>Étonnamment donc, les émotions et les sentiments sont omniprésents dans <ins>Jour de colère</ins>, latents, prêts à sourdre comme <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Source-de-Ingmar-Bergman-1960"><ins>La Source</ins> </a>de <strong>Bergman</strong>. Cela relèverait presque d'un symbolisme scandinave. Autant de passions, divergentes en soi, mais également soulignées par un travail de contraste permanent. À l'image du visage d'Anne, saisi au vif à de nombreuses reprises, comme emprisonné dans des clairs-obscurs sublimes.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jour_de_colere/.cercueil_m.jpg" alt="cercueil.jpg, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Jour-de-colere-de-Carl-Theodor-Dreyer-1943#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/754La Passion de Jeanne d'Arc, de Carl Theodor Dreyer (1928)urn:md5:68927d15bc3de49aaa0d53e19b823af92017-06-26T11:57:00+02:002017-06-26T12:26:01+02:00RenaudCinémaAliénationCarl Theodor DreyerDogmeEgliseHistoireJeanne d ArcSouffranceVisage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/passion_de_jeanne_d_arc/.passion_de_jeanne_d_arc_m.jpg" alt="passion_de_jeanne_d_arc.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="passion_de_jeanne_d_arc.jpg, juin 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>L'aliénation du dogme et la prison de l'indicible<br /></strong></ins></span></p>
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<p>Le personnage de Jeanne d'Arc ne fait pas partie de ceux que je trouve fondamentalement et directement passionnants dans l'Histoire de France, mais même en prenant en compte ces considérations édulcorantes, le regard que Dreyer porte (et celui qu'il capte... on ne s'en remet pas) sur un fragment de son existence m'aura offert une des visions les plus tranchantes sur la souffrance intérieure, sur la folie multiple et l'aveuglement à plusieurs niveaux.</p>
<p>Bon sang, d'emblée, comment ne pas se retrouver prisonnier du piège tendu par une telle mise en scène, comme coincé dans le cadre étroit... Au centre de ce tableau mouvant, les yeux de <strong>Maria Falconetti </strong>n'ont pas fini de me hanter. C'est tétanisant, sidérant, au sens propre de la sidération, l'anéantissement subit des forces vitales. C'est une œuvre remarquablement travaillée, du travail de l'artisan, au contenu mis en valeur à l'aide d'une succession quasi-exclusive de gros plans, de champs-contrechamps, et de plongées-contre-plongées aux effets affinés. C'est le dénuement le plus total, touchant à une forme de pureté dans le fond comme dans la forme : un procédé qui génère une atmosphère unique. Et on est en 1928.</p>
<p>J'aime beaucoup le parti pris de la fenêtre historique choisie, très resserrée : aucune référence (visuelle) aux combats qui ont forgé la légende ici et ailleurs, l'enjeu se trouve en l'occurrence dans le procès (aux contours très particuliers, avec des aléas qui laissent respirer ou au contraire font suffoquer) et dans l'affrontement entre deux grandes figures de l'aveuglement, entre deux croyances. Point de destin grandiose ici, uniquement un dialogue de sourds épuré et magnifié comme on peut difficilement l'imaginer. Un titre qui rappelle évidemment un autre morceau historique, un autre mythe autour de l'incompréhension : d'un côté, la haine des Pharisiens, et de l'autre, ici, l'humiliation de l'Église. La haine naît de l'incompréhension, semble-t-il réciproque, même si elle ne se traduit pas dans les mêmes termes. Des termes qui eux ne sont absolument pas réciproques, les rapports de force n'étant pas vraiment équilibrés. Les barreaux des prisons respectives ne sont en outre pas fait du même matériau : Jeanne est enfermée dans le registre de l'indicible, l'Église dans celui de son dogme.</p>
<p>Et pour illustrer cette méditation, des décors dépouillés, quasi inexistants. Il n'y a presque que des visages dans <ins>La passion de Jeanne d'Arc</ins>, des regards, pétris de menaces ou de faiblesses. Une lenteur obsessionnelle, une blancheur éclatante. Et cette souffrance, bon sang, je ne l'avais jamais ressentie comme ça. C'est littéralement extraordinaire. Le tout se termine dans un fracas apocalyptique, le bûcher comme une apothéose, entouré par la folie qui parcourt la foule et qui sera sévèrement réprimée. Des images impressionnantes d'un point de vue purement graphique, incandescentes et terriblement marquantes. Au-delà de la complexité du message, et, surtout, au-delà de sa transmission de manière non-verbale, le caractère muet du film s'efface devant son éloquence et son ampleur.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/passion_de_jeanne_d_arc/.regard_m.jpg" alt="regard.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="regard.jpg, juin 2017" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Passion-de-Jeanne-d-Arc-de-Carl-Theodor-Dreyer-1928#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/421