Je m'attarde - Mot-clé - Usine le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearÀ nous la liberté, de René Clair (1931)urn:md5:2bffb3f621e3646fa2abd09f3b9ae5c82023-11-17T09:57:00+01:002023-11-17T09:57:00+01:00RenaudCinémaAmitiéAnarchismeAutoritéComédieEvasionHorlogerieLibertéPrisonPrisonnierRené ClairRomanceSatireTravailUsine <div id="centrage">
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/a_nous_la_liberte_A.jpg" title="a_nous_la_liberte_A.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/.a_nous_la_liberte_A_m.jpg" alt="a_nous_la_liberte_A.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/a_nous_la_liberte_B.jpg" title="a_nous_la_liberte_B.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/.a_nous_la_liberte_B_m.jpg" alt="a_nous_la_liberte_B.jpg, nov. 2023" /></a>
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<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Résistance au travail</strong></ins></span>
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<p>Sur le plan formel, <ins>À nous la liberté</ins> partage beaucoup de points communs avec l'autre film que <strong>René Clair </strong>a réalisé également en 1931, <ins>Le Million</ins>. Ils peuvent tous se regrouper sous l'ombre du cinéma muet qui plane sur eux, à savoir un registre comique qui fait passer l'essentiel de sa charge par des gags visuels (au travers notamment de la répétition de motifs et la multiplication de quiproquos) et une transition vers le cinéma parlant pas encore tout à fait opérationnelle (le film peut s'apparenter à une succession de scènes muettes et de scènes parlantes qui s'articulent entre elles avec plus ou moins de fluidité). Mais là où <ins>Le Million</ins> concentrait tout son intérêt dans une suite burlesque de péripéties imbriquées les unes dans les autres avec le protagoniste à la poursuite d'un veston contenant un ticket gagnant changeant sans cesse de propriétaire, <ins>À nous la liberté</ins> étonne par son récit d'une amitié à tendance anarchiste.</p>
<p>En résumé, le message (si message il devait y avoir) est quand même une ode à la jouissance débarrassée de toute contrainte, loin du travail aliénant et loin du pouvoir corrupteur de l'argent. Le récit de l'évasion de deux détenus condamnés aux travaux forcés se fait dans le premier temps de l'introduction sous la forme d'une narration issue du cinéma muet, tout en clins d'œil et en bruitages. Le premier qui parvient à s'évader deviendra au fil des ans le grand directeur d'une usine fabriquant des horloges, quand le hasard et un arc narratif romantique (avec toutes les composantes désuètes que l'on peut imaginer, pour le meilleur comme pour le pire) placera le second évadé à l'autre bout de la hiérarchie, directement en prise avec la chaîne de production. Plusieurs choses sont frappantes à ce niveau, à commencer sur un plan mineur par le parallèle établi entre le travail forcé dans la prison (les détenus sont contraints de fabriquer des jouets) et le travail à l'usine dont le caractère répétitif et abrutissant est immédiatement dénoncé. Les décors sont très semblables, la chaîne de production à l'usine rappelle la longue table de la prison, et certains acteurs jouent des rôles dans les deux situations pour entériner le dialogue entre les deux mondes. De manière plus frappante encore, <ins>À nous la liberté</ins> peut sur ce registre critique se concevoir comme une source d'inspiration majeure pour <strong>Chaplin </strong>lorsqu'il réalisera 5 ans plus tard <ins>Les Temps modernes</ins> — les producteurs voudront d'ailleurs lui intenter un procès pour plagiat, chose que <strong>René Clair </strong>refusa et qu'il prit davantage comme un hommage et un compliment.</p>
<p>Il y a beaucoup de facilités dans la résolution du nœud principal, lorsque la société réalise la véritable identité du chef d'entreprise ex-prisonnier, et que ce dernier sa lance dans un grand discours libertaire au cours duquel il confie les clés de l'usine aux employés afin que ces derniers profitent de l'automatisation de la chaîne de production pour aller prendre du bon temps — un discours et une utopie qui conservent une bonne part de modernité au passage. Mais la satire du travail à la chaîne, au travers d'une esthétique presque totalitaire dans l'usine, allège grandement la lourdeur du burlesque suranné (et des aspects ayant trait à la comédie musicale) par ses frasques anarchisantes et par son final débordant de naïveté joyeuse qui refuse toutes les formes d'autorité.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/img1.jpg" title="img1.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/img2.jpg" title="img2.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, nov. 2023" /></a>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/img4.jpg" title="img4.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, nov. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/img5.jpg" title="img5.jpg, nov. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/a_nous_la_liberte/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, nov. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/A-nous-la-liberte-de-Rene-Clair-1931#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1282Meat, de Frederick Wiseman (1976)urn:md5:082650adc47655517c4ff74356afaacb2023-05-10T09:32:00+02:002023-05-10T09:32:00+02:00RenaudCinémaAbattoirDocumentaireFrederick WisemanRetraiteUsineVacheViande <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/meat/.meat_m.jpg" alt="meat.jpg, mars 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Engraissement, conditionnement, asservissement.<br /></strong></ins></span></div>
<p>Rarement le côté méthodique de <strong>Wiseman </strong>dans l'observation d'une chaîne de processus au sein d'une institution aura été aussi efficace et approprié pour découper une suite logique d'actions unitaires et reconstituer au montage un mouvement de très grande envergure — en l'occurrence, tout ce qui fait passer les vaches de leur enclos aux morceaux de viande enveloppés dans du plastique. À ce titre, <ins>Meat</ins> est une très bonne version américaine de documentaires français sur le sujet comme <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Saigneurs-de-Vincent-Gaullier-et-Raphael-Girardot-2017">Saigneurs</a></ins> (<strong>Vincent Gaullier </strong>et <strong>Raphaël Girardot</strong>, 2017) ou <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Entree-du-personnel-de-Manuela-Fresil-2013">Entrée du personnel</a></ins> (<strong>Manuela Fresil</strong>, 2013), même si les séquences à l'intérieur des abattoirs font plus directement penser au film de <strong>Franju </strong>de 1949, <ins>Le Sang des bêtes</ins>, avec ce noir et blanc fort à propos pour limiter l'écœurement devant autant de barbaque fumante tout en conférant au sang encore chaud qui ruisselle abondamment aux pieds des ouvriers une couleur noire hypnotisante.</p>
<p>Toute la chaîne est respectée, avec la neutralité admirable qu'on connaît à la caméra de <strong>Wiseman </strong>: les parcs d'engraissement intensif (les fameux "feedlots" américains qui voient défiler des centaines de milliers de bêtes chaque année) dans lesquels des cowboys mènent le bétail, l'entrée à l'abattoir et la mise à mort, toutes les étapes de la chaîne de production (en prenant le soin de détailler le travail spécifique des ouvriers à chaque poste), le conditionnement avant empaquetage et enfin l'expédition dans les camions frigorifiques. La continuité du processus de transformation de la viande sur deux heures est d'une limpidité éclatante. C'est un film qui par son caractère objectif et respectueux de toutes les parties devait parfaitement convenir à l'entreprise industrielle de meatpacking du Colorado, propriété de la société Monfort depuis rachetée par le groupe ConAgra.</p>
<p>On retrouve le fil conducteur de l'intégralité des films de <strong>Wiseman </strong>: les séquences qui ouvrent des espaces de discussion, ici en l'occurrence pour expliciter les rapports hiérarchiques entre personnel et direction ainsi que pour contextualiser l'environnement économique de l'industrie. Un bonheur pour ceux qui apprécient les éléments garnissant un cadre plus large, en plus de circonscrire les enjeux aux années 1970. On a droit à la visite guidée des lieux proposée à des cadres japonais, les bureaux où les commerciaux laissent libre cours à leurs talents de négociateurs (à l'achat ou à la vente) par téléphone, quelques réunions techniques du conseil d'administration, et surtout un échange clé entre un représentation de la direction et des syndicalistes, pépite archétypale de l'optimisation du travail à la chaîne selon le point de vue patronal, opposant la réalité décrite par ceux qui travaillent et les objectifs abstraits de rentabilité qui passent par la réduction des temps mort, la diminution du personnel par poste, l'augmentation des charges de travail, etc. De la pénibilité en veux-tu en voilà...</p>
<p><strong>Wiseman </strong>n'oublie pas pour autant son sens de l'humour, même si l'espace est particulièrement réduit ici. Un court passage sur l'élocution diabolique des commissaires-priseurs lors d'une vente aux enchères, un homme qui regarde un match de foot entre deux découpages de viscères sur un tapis roulant, un commercial envoûté par son invention (des jaunes d'œuf en tube) qui souhaite conquérir le marché européen, mais pas grand-chose de plus. En toile de fond, quand même, on entend parler de salariés qui s'inquiètent de l'évolution des fonds de placement censés garantir leurs retraites, et un dirigeant affirmer que "dans l'avenir, les guerres n'auront pas lieu pour la politique ou l'idéologie de manière traditionnelle, elles auront lieu sur le terrain économique, pour la nourriture et le pétrole". Glaçant.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/meat/.img1_m.png" alt="img1.png, mars 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/meat/.img2_m.png" alt="img2.png, mars 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/meat/.img3_m.png" alt="img3.png, mars 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/meat/.img4_m.png" alt="img4.png, mars 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Meat-de-Frederick-Wiseman-1976#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1149Ascension, de Jessica Kingdon (2021)urn:md5:c529023e0dab0a120a0693e22e9f15832022-05-14T23:11:00+02:002022-05-14T23:11:00+02:00RenaudCinémaChineDocumentaireExploitationTravailUsine <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ascension/.ascension_m.jpg" alt="ascension.jpg, fév. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>No pain, no gain<br /></strong></ins></span>
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<p>Dès les premières séquences du documentaire <ins>Ascension</ins> réalisé par <strong>Jessica Kingdon</strong>, on sent que ce voyage au pays de l'American dream chinois va être on ne peut plus délectable. Il suffit de pas grand-chose pour être entièrement convaincu : un bon sujet, un sens de l'esthétique, de bons placements de caméra, une science du montage efficace, et bien sûr tout le talent nécessaire pour articuler ces différents éléments. En guise d'introduction, on voit comment des entreprises comme Foxconn et Huawei recrutent de manière particulièrement agressive en vantant les mérites des emplois proposés : on travaille assis, les dortoirs ont l'air conditionné, avec promesse de bons repas chauds. Le paradis du travailleur à la chaîne, en d'autres termes, nous dit-on.</p>
<p>Le docu est structuré en trois grandes parties, en remontant l'échelle sociale chinoise : on commence par les travailleurs les plus précaires, pour ensuite remonter à travers la classe moyenne formatée d'une façon très différente et enfin accéder à l'élite nationale. La ligne directrice de <strong>Kingdon </strong>est très claire en faisant de l'ascension sociale la colonne vertébrale de son film, en montrant à quel point on martèle le même discours de réussite et comment on assure que la reconnaissance et la fortune souriront à ceux qui travailleront comme des acharnés. Le parallèle avec le formatage très similaire de l'autre côté du Pacifique est croustillant.</p>
<p>Ainsi, le premier gros tiers du film est dévolu aux usines dans lesquelles s'entassent les employés dans des tâches éminemment répétitives. Grande surprise, si on retrouve le schéma classique du travail à la chaîne dans un univers aliénant (attention, c'est à faire vomir à la simple vue d'un bout de plastique, au milieu de tous ces bouchons, bouteilles et vaporisateurs), un passage particulièrement éloquent et comique s'attache à décrire le travail de femmes occupées aux finitions sur des poupées sexuelles. Moment génial quand on les voit écarter les jambes desdites poupées pour leur faire le maillot au ciseau ou lorsqu'elles cautérisent un bout de plastique perdu en-dessous d'immenses nichons. L'humour de <strong>Jessica Kingdon </strong>n'a d'égal que son sens du cadrage.</p>
<p>En plus de cela, on se balade au milieu d'un camp d'entraînement où des employés en costume militaire écoutent un discours martial, applaudissent machinalement dans une ambiance surréaliste, pendant que d'autres s'entraînent à recevoir des coups au torse jusqu'à ce que des veines explosent. Gare à celui qui n'exécute pas correctement le geste indiqué. Il y a aussi le pendant féminin, tout aussi hypnotisant et sidérant, avec une session de formation d'hôtesses expliquant le nombre de dents à montrer (les 8 du haut en l'occurrence) pour sourire correctement au travail, l'angle de rotation acceptable de la tête pour signifier un accord poli mais pas trop, ou encore comment écarter les bras et à quelle distance en vue d'une accolade avec un inconnu. Quoi qu'il arrive, il faut paraître obéissant même lorsqu'un client fortuné se permet les pires humiliations. Fascinant. Et puis il y a la classe aisée, beaucoup moins représentée ici, mais qui semble friande de gastronomie française et de clochette pour appeler le majordome.</p>
<p>On retrouve le même espoir d'élévation sociale chez les uns et le même désir de conformité déférente chez les autres que ce qu'on a déjà vu dans la description du système néolibéral du côté occidental. "No pain, no gain" semble être la morale partagée : bosse et sois heureux en résumé, avec d'un côté des bouteilles en plastique produites par millions et de l'autre des ouvrières programmant des machines pour coudre des produits qui arborent "Make America Great Again". Le rêves d'un grand PDG chinois : exploiter le potentiel de la Chine qui peut atteindre une consommation équivalente à 5 fois celle des États-Unis. Sacré cauchemar.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ascension/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ascension/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ascension/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, fév. 2022" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ascension/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ascension/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, fév. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ascension-de-Jessica-Kingdon-2021#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1039