Beaucoup trop pour un seul homme, ou "L'immorale" en version originale, est une comédie italienne atypique de son époque qui se propose de prendre un acteur comique réputé (Ugo Tognazzi) et de faire le récit de ses déboires sentimentaux : le pauvre homme est prisonnier d'une vie hautement compliquée, pris en tenaille par les familles de sa femme et de ses deux maîtresses, avec des enfants qui se comptent presque par dizaines. Sur le papier on imagine bien le genre de comédie que cela aurait pu donner : le quotidien rythmé par les différentes obligations au sein des trois foyers, la masculinité italienne guidant les agissements du protagoniste entre différentes figures féminines, avec quelques bouts de moralité ou d'immoralité par-ci par-là. Si tout cela est relativement fidèle au contenu du film de Pietro Germi, un aspect primordial domine l'ensemble : en partant du postulat comique de l'homme pressé courant d'une femme à l'autre (au milieu desquelles on retrouve Stefania Sandrelli), évoluant progressivement vers la confession (non-orthodoxe, certes) auprès d'un curé pour le moins troublé, c'est sous un angle profondément dramatique et même tragique que les péripéties s'orientent.
Mais pas du tout le drame du pauvre gars qui ne saurait pas comment gérer ses frasques passées devenues incontrôlables : au contraire, la tragédie de l'homme sincèrement amoureux de trois femmes, sincèrement préoccupé par le bonheur de toutes et de toute sa progéniture, et sincèrement épuisé par sa volonté de subvenir à tous les besoins en multipliant les boulots, jour (violoniste dans un orchestre) et nuit (pianiste dans un bar). Un homme totalement dépassé par ses passions ingérables, un matériau comique transformé en tragédie existentielle.
Là où la comédie de Germi fonctionne, c'est qu'elle prend à revers les stéréotypes masculins du cinéma italien de l'époque : Tognazzi n'est absolument pas le mâle alpha dominant, grand séducteur et maître de ses émotions. Au contraire, il paye le prix fort de ses errances passées et s'astreint à une intégrité matrimoniale (et péri-matrimoniale) presque sans faille — si l'on excepte évidemment les mensonges répétés. Il veille consciencieusement au confort de chacun des foyers, il s'efforce de souhaiter les anniversaires des uns et des autres, il mémorise les tailles et pointures de tous ses enfants, il enchaîne les repas jusqu'à l'ulcère. Et le film restera relativement ambigu, loin de promouvoir la polygamie (le sort du protagoniste est funeste) tout en soulignant l'humanité de son personnage, vivant dans une pression permanente à force d'avoir voulu embrasser simultanément trois existences. Le jeu de Tognazzi peut finir par lasser dans son surjeu, et une petite routine s'installe assez rapidement ; mais le tourbillon de mensonges et d'absurdités dans lequel il s'engouffre avec sincérité ne laisse pas indifférent.
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