Un gars de la ville assiste avec un certain dégoût à un vêlage dans une ferme à Podlesí. Cette scène inaugurale nous plonge dans les pensées d’un homme morose qui est venu s’installer dans ce petit village rural de république Tchèque avec sa femme et son fils de 12 ans.
Les deux parents ont pour patronymes Bohumil et Bohumila (qui sonnent comme une blague de l’auteure au sens étymologique [1]) et on ne connaîtra bizarrement jamais le prénom de leur garçon. Ce môme attardé passe son temps seul à jouer dehors pendant que ses parents tentent de s’intégrer à la vie du village. Le garçon se découvre par l’entremise d’un habitant peu banal, une fascination pour des contes pervertis.
Ces deux parents semblent complètement à côté de leurs pompes, accablés par une épreuve dont ils n’arrivent pas à se remettre depuis leur départ de Prague. L’étrangeté s’immisce à plusieurs niveaux si bien qu’on ne sait pas quel loup va les manger : eux mêmes dans une dispute qui dégénérera, ou bien la déchéance physique pour lui et une blessure pour elle qui s’aggravent, ou bien encore les villageois qui semblent jouer une partition connue avec ces nouveaux étrangers. Ajoutez y la chaleur accablante de l’été, une maison déliquescente et la peur ancestrale de la bête qui rôde avec des cris en provenance de la forêt au crépuscule.
L’écriture singulière de Zuzana Říhová [2] est saisissante dans sa dimension psychologique : le lecteur barbote dans les pensées des différents protagonistes de l’histoire - c'est sans fard - créant une atmosphère à la fois délétère et intrigante. Ce conte noir social se resserre au fil des pages jusqu’à un point de bascule où les dissimulations se lèvent une à une et on ne peut tout simplement plus lâcher le livre.
[1] Bohumil et Bohumila, en tchèque « milý bohu » ou « bohumilý » peut signifier à la fois « celui qui aime Dieu » ou « celui qui est aimé de Dieu ». (source)
[2] Zuzana Říhová, née en 1981, a étudié la langue, la littérature tchèque et la littérature comparée à l'Université Charles de Prague. Elle travaille à l’Institut de littérature tchèque (Académie tchèque des sciences) depuis 2007 et a été directrice des études tchèques à l’Université d’Oxford de 2014 à 2017. Říhová, qui s'intéresse depuis toujours à la littérature tchèque d'avant-garde, a publié un recueil de poésie, Je te laisse entrer dans ma maison ( Pustím si tě do do mu , 2016), et une nouvelle, Petite Ève (Evička, 2018), qui a été nommé l'un des livres de l'année 2018 par un magazine Web littéraire tchèque.
2 réactions
1 De Nicolas - 23/09/2024, 14:13
Merci de revenir sur ce texte que m'avais signalé par ailleurs, Gilles, et qui a l'air aussi âpre et gouteux sur le plan atmosphérique que psychologique !
PS : le dernier Bifrost contient une notule sur ce roman. Sa rédactrice a détesté ce qu'elle a lu... c'est-à-dire moins de deux cent pages. Que ça ait paru tel quel, dans une revue vendue en librairie, m'a énervé. Se forcer à terminer l'ouvrage (pas très long) ou passer la main à un(e) collègue eut été la moindre des choses pour une publication professionnelle.
2 De Gilles - 24/09/2024, 22:08
Ça fait mauvais genre. C’est tout de même mieux de finir un bouquin quand on est critique dans une revue de littérature :) que des nouilles quand même.
On va dire que les bifrostiens préfèrent jouir de futurs qui pétillent plutôt que de revêtir leurs fourrures d’aiguilles. Je n’ai jamais lu la revue mais j’ai bien noté que ce n’est pas la première fois que tu étrilles avec raison certain(e)s de leurs critiques (surtout un qui remporte la part du lion ;-)