Il y avait un arbre sur le toit de sa maison : un cerisier sauvage. Le noyau dont il était né avait atterri là bien des années plus tôt, expulsé en vol par une grive mauvis, et une rosée printanière l'avait fait germer car, pour protéger la maison de la pluie et de la neige, un de ses aïeuls avait étalé une couche supplémentaire de chaume sur le toit, si bien que celle d'en dessous était devenue de l'humus, presque de la glèbe. Le cerisier avait poussé comme ça.

Qu'il est précieux le travail de réédition quand il met en valeur des courts romans de cette beauté là. Le paysan Tönle Bintarn (Bintarn veut dire l'hiverneur en dialecte cimbre) précipite son destin en blessant un douanier auquel il tentait d'échapper. Sur le haut plateau d’Asiagio à la frontière de l’Italie et de l’Autriche, les bergers comme lui s'adonnaient non sans risques à la contrebande pour survenir aux besoins de leur famille. Suite à cet incident et sachant qu'une condamnation arriverait forcément, Tönle prend les devants, il quitte les siens pour des périples au-delà de la frontière italienne. Il devient alors tour à tour, mineur en Styrie, colporteur d’estampes dans les Carpates, jardinier à Prague... Mais grâce à la complicité bienveillante de son village, il revient tous les hivers discrètement dans son foyer.

[...] tout comme certaines forces le poussaient à partir au printemps, certaines forces le faisaient revenir à la fin de l'automne: des forces supérieures à toute volonté, comme l'alternance des saisons, les migrations des oiseaux, le lever et le coucher du soleil, les phases de la lune.

L'histoire de Tönle comporte deux temps, le temps de la paix et le temps de la guerre. Ses voyages lui ont forgé une culture cosmopolite mais il revient bon an mal an auprès de sa femme, ses enfants et petits-enfants avec une implicite conviction : la quiétude de sa vie réside auprès d'eux et dans son terroir. Mais vient la guerre. Au printemps 2016, les autrichiens lancent leur expédition punitive, les manœuvres militaires dans les montagnes sont omniprésentes, les avions sillonnent le ciel et les gens du village sont désormais des réfugiés. Si le récit disperse les éléments historiques de la première guerre mondiale dans cette région de la Vénétie, la réussite de Mario Rigoni Stern réside dans le portrait de ce berger emblématique avec son chien et ses moutons, qui parlait des dialectes autrichiens et allemands, et le bohême, le hongrois, le croate, l'italien et cet étrange langage appelé le cimbre.

On se prend d'attachement pour Tönle Bintarn, ce personnage qui refuse de s'identifier à l'Italie, de voir là son pays, car sa maison c'est d'abord son village, son plateau et ses montagnes, lui qui se désignera sous escortes militaires comme un simple berger et un vieux prolétaire socialiste. Esbaudissez-vous de l'écriture de Mario Rigoni Stern et respirez le grand air, celui des hauts plateaux verdoyants sur les contreforts des Alpes italiennes.