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On the (rail)road again

John T. Davis, un documentariste nord-irlandais originaire de Belfast, a passé trois mois aux côtés d'un vagabond américain du nom de Beargrease dans le but de partager sa vie de clochard itinérant. Dans ce film inconnu sobrement intitulé Hobo, il fait le portrait à la fois respectueux et intime et d'un homme qui parcourt le Nord-Ouest des États-Unis chaque année, entre Minneapolis et Seattle, en sautant d'un train à l'autre, de wagon en wagon, le long d'un chemin de plus de 2000 kilomètres. En partageant les conditions de vie de Beargrease, de la recherche constante de nourriture jusqu'au voyage permanent le long de ces rails que tous appellent "highline", il s'est immergé dans un univers largement méconnu de tous. Une sorte de chemin parallèle à la fameuse Route 66 de la Beat generation, sur le thème du déplacement et du transitoire permanent, mais dans une version infiniment plus aride, rugueuse, et amère.

Autant le préciser tout de suite : l'immersion est totale, et totalement dénuée de misérabilisme ou de quelque forme de pathos que soit. C'est le portrait d'un sans-abri (et par extension de beaucoup d'autres) qui a semble-t-il choisi ce mode de vie, lui qui a une famille et une maison dans laquelle il habite quelques mois chaque année. Les raisons qui président à un tel choix de vie seront ostensiblement laissées floues, afin de respecter ce qui peut constituer le code d'honneur du hobo : on ne pose pas de question au sujet du passé des autres vagabonds et potentiels fugitifs. On se serre les coudes, c'est tout. Tout juste saura-t-on qu'il est vétéran du Vietnam, qu'il possède une ferme avec des cochons, et qu'il ne trouve son bonheur que dans l'expérience continue et répétée de cette marginalité.

On suit Beargrease dans son voyage, dans ses réflexions étonnamment philosophiques, dans ses rencontres avec d'autres voyageurs clandestins, au creux des paysages américains ruraux ou urbains qui défilent de manière constante tout au long du documentaire, de l'aube au crépuscule. Peu à peu, cette culture obscure se déroule et se précise, avec toute une série de codes mystérieux aux yeux étrangers, comme par exemple une forme d'entraide et d'empathie spontanée envers des inconnus ou encore des signes cryptiques laissés au charbon de bois dans certains lieux de passage. Il se dégage du film une authenticité très puissante, que ce soit dans les parties "mobiles" (les montées et descentes de train) et "immobiles" (les discussions nocturnes autour d'un feu de camp, le désespoir de certains, l'indépendance revendiquée par tous). Au détour de certaines conversations, anodines en apparence, des pans entiers d'existence sont révélés très calmement, et certains sont bouleversants.

Du côté français, on peut penser au documentaire Au bord du monde, de Claus Drexel. Mais avec ses tonalités tour à tour tragiques, intimistes, comiques et bizarres, sur fond de Bob Dylan et Woody Guthrie, Hobo dresse aussi un portrait décalé des États-Unis, par ses chemins de traverse, avec un pas de côté.Le portrait d'un pays, de ses extrêmes, et en l'occurrence d'un extrême qu'on ne voit pas souvent.

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