Hoop Dreams, ou le petit court-métrage de 30 minutes originellement produit pour la télévision américaine qui se transforma en un long-métrage de près de 3 heures à la renommée planétaire, plébiscité quasiment unilatéralement par les critiques institutionnelles autant que par les spectateurs. Manifestement une part de la réputation du documentaire de Steve James est à chercher du côté du contenu qui évolue de manière indépendante du sujet principal apparent, à savoir le basket — la preuve : je ne m'intéresse pas du tout à ce sport et le visionnage n'a pas pour autant été pénible ou soporifique, simplement quelques longueurs un peu difficiles à digérer dans l'ensemble. Le cœur est ailleurs que dans le sport à proprement parler : l'étude sociologique n'est bien sûr pas loin, puisque suivre les deux jeunes aspirants basketteurs noirs permet de décrire des environnements infiniment plus larges, du contexte familial aux banlieues craignos de Chicago, des stratégies de recrutement des clubs universitaires aux matchs à proprement parler. Difficile de comprendre comment on pourrait y voir une illustration des vertus de l'American Dream...
Mon seul regret tient au fait que l'ampleur supposée du matériau de base, qui porte quand même sur cinq années au total (grosso modo la période 15-20 ans des adolescents), ne transparaît pas de manière incroyable, exceptionnelle, ou évidente — au même titre que des documentaires comme, au hasard, Life of Crime 1984-2020 de Jon Alpert (2021), Sam Now de Reed Harkness (2022), Minding the Gap de Bing Liu (2018). Je ne sais pas à quoi tient cette absence de sensation de temps long,
Cela n'enlève rien au fond du sujet, le bouleversement dans la vie des deux protagonistes William Gates et Arthur Agee à qui on offre la possibilité de faire des études dans une prestigieuse fac états-unienne, grâce à leur talent en basket (en classe on fera remarquer à l'un d'eux qu'il doit sacrément bien jouer pour avoir été accepté, vues ses notes). Tout le background social est là, sans forcer : famille en difficulté d'une façon ou d'une autre, volonté de s'extraire de leur condition, et ce rythme alimenté par une oscillation entre illusions et désillusions (pour l'un à cause de blessures répétées au genou, avec une séquence d'opération chirurgicale in vivo miam miam). On voit bien comment leur condition les rattrape même quand ils pensent avoir fait le plus dur, à cause de frais de scolarité que la famille ne peut plus payer / à cause d'un père tombé dans une addiction à la drogue / à cause d'une mère qui a perdu son emploi devant vivre avec 300 dollars mensuels... A posteriori, sans surprise, on apprend que les morts jalonnent les parcours des intervenants, le demi-frère d'Agee, le grand-frère de Gates, ainsi que le père d'Agee furent tous tués dans les années qui suivirent la sortie du film.
Le ton général observé par Steve James maintient un équilibre stable entre succès et échecs, que ce soit sur le terrain du sport ou de l'éducation. Quelques passages notables redynamisent la longueur du docu, comme la découverte pour Agee de ce lycée avec beaucoup d'étudiants blancs (sous-entendu, dans son ghetto, c'est une chose rare) ou l'angoisse chez Gates d'échouer ("That's why when somebody say when you get to the NBA, don't forget about me and that stuff, well, I should've said to them if I don't make it, don't you forget about me"). On peut également voir Spike Lee à l'occasion d'une courte séquence, en cours, disant aux élèves noirs : "You have to realize that nobody cares about you. You're black. You're a young male. All you're supposed to do is deal drugs and mug women. The only reason why you're here is that you can make their team win. If their team wins, these schools get a lot of money. This whole thing is revolving around money."
Portrait de deux adolescents qui essaient de poursuivre un rêve, qui se débattent au milieu de leurs déterminismes sociaux, qui passent 3 heures dans les transports chaque jour pour aller étudier loin de leur foyer, mais avec des différences notables dans les parcours de vie — en termes de soutien financier, de réussites sportives ou scolaires, de visibilité, et d'aspirations qui peuvent s'éloigner du basket.
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