Je m'attarde

La Séparation est la chronique d'une lente dislocation, d'une rupture rugueuse observée avec les yeux d'un entomologiste. Au sein du couple formé par Daniel Auteuil et Isabelle Huppert, on ne fait que détecter quelques signaux de dysfonctionnement dans un premier temps : une main qu'on retire au cinéma, un léger signe d'agacement, rien de plus. Mais loin d'être anodins, ces signes marquent l'avènement d'une période de grands troubles entre les deux parents, initiée de manière plus frontale à partir du moment où la femme révélera qu'elle entretient une liaison avec un homme dont elle serait tombée amoureuse.

Christian Vincent montre avec beaucoup de subtilité la ligne de crête sur laquelle marchent les amants, au bord de l'abîme, en essayant de s'extraire au maximum des sentiments — presque de manière dépassionnée alors qu'on a affaire à la destruction d'un couple. La guerre conjugale qui s'initie sous nos yeux conserve une large partie de ses contours plutôt floue, avec d'un côté un homme blessé qui ne sait absolument pas comment réagir et de l'autre une femme qui se montre extrêmement froide et détachée (un peu trop peut-être, Huppert se faisant par moments vraiment cruelle, presque gratuitement). La Séparation est un grand bain captivant dans lequel se mélangent le désarroi des uns et le désenchantement des autres.

L'austérité de l'ambiance pourrait constituer un facteur rebutant. Mais cette chronique d'une fin d'amour vaut précisément le détour pour cette dimension-là, pour cette faille douloureuse et grandissante qu'on observe sans recul possible. Il n'y a pas beaucoup de place pour le sentimentalisme dans cette spirale emplie de sécheresse — on se croirait presque chez le Haneke de la fin des 80s / début des 90s par moments. On ressent une forme d'implacabilité dans l'enchaînement des événements, avec ces mots malheureux et mal choisis qui font beaucoup de dégâts. Comme si le couple se réveillait soudainement, conscient de leur quotidien sclérosé, prisonnier d'une incommunicabilité fatale.