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La catastrophe comme occasion
Un écrivain, un pays
Ikezawa Natsuki

Le 11 mars 2011, à 14h46, un terrible tremblement de terre ébranlait la région Nord-Est du Japon, le Tohoku.

« En France, la terre constitue un socle solide sur lequel s’appuient tous les êtres vivants. L’immobilité : la définition même du sol. Mais il existe dans le monde des endroits où, parfois, le sol s’agite. Le Japon est l’un d’eux. »

Passionnant récit que celui d'Ikezawa Natsuki, romancier japonais invité au Monde diplomatique à l'occasion du salon du livre de Paris du 16 au 19 mars. Un texte saisissant qui touchera encore plus ceux qui ont déjà vécu un tremblement de terre : ce moment de flottement, au sens propre comme au sens figuré, où le temps semble figé (« un ange passe... »), où l'on évalue le degré du séisme pour réagir au mieux (1), reste inoubliable. Des sensations que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, extrêmement difficiles à transcrire.

« Difficile de transmettre à ceux qui n’en ont pas l’expérience combien cela est effrayant : maisons secouées dans lesquelles les meubles se renversent, magasins où les produits se répandent sur le sol, routes qui ondulent, immeubles qui s’effondrent, voies ferrées qui se tordent, ponts qui s’écroulent. »

Ikezawa Natsuki égratigne au passage la place du nucléaire dans la société japonaise, qui bénéficie selon lui de passe-droits inavoués. En particulier, il remet en cause les tarifs qui, comme en France, n’intègrent pas le coût du traitement des déchets radioactifs et du démantèlement des réacteurs. Le sujet était d'ailleurs traité par Tristan Coloma dans le Diplo d'octobre 2011 (chroniqué ici).
Mais les conclusions qu'il dresse dépassent largement le cadre du nucléaire. Même si certaines notions échappent au sens commun occidental, comme ce rapport fusionnel très singulier à la nature, plein d'amour et de respect, le sentiment d'humilité qui s'en dégage ne peut laisser personne de marbre.

« Le séisme et le raz de marée nous ont fait redécouvrir quatre choses.

La première est que la nature n'existe pas pour les êtres humains. Elle n'est pas non plus malveillante envers eux. Elle est seulement indifférente. On ne peut que se résigner à ces événements provoqués par le destin, si tragiques soient-ils.

La deuxième est que les humains ont la capacité de recommencer. Même ceux qui hurlent de douleur après la perte de leurs proches ou de leurs biens. Un jour vient où ils voient leurs mains se remettre en mouvement pour commencer à déblayer les décombres. Ils peuvent compter sur leur propre force intérieure, mais aussi sur la solidarité "horizontale" de leurs pairs.

La troisième est qu'on ne doit faire confiance ni à l’État, ni aux industriels, ni aux experts. Car ils peuvent mentir – soit délibérément, soit même sans s'en rendre compte. Dans le monde actuel, toute confiance "verticale" est déconseillée. Il faut également se méfier de la technologie, dont notre société est si dépendante. La confiance en soi de l'individu moderne, basée sur une technologie soumettant la nature, n'est qu'une illusion. Non qu'on ne puisse se fier à la science ; mais ses applications peuvent être erronées.

La quatrième est qu'une catastrophe peut aussi être une occasion de changement. Violemment secouée et blessée, la société quand elle se relève, prend une orientation nouvelle. Dans vingt ans, on parlera peut-être de ce qui vient d'arriver comme d'un tournant. Je veux le croire. »


Les économistes à gages sur la sellette
Conflits d'intérêts et connivences médiatiques
Renaud Lambert

L'excellent Les Nouveaux Chiens de Garde, réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (chroniqué ici), fait des petits. Renaud Lambert, dans la droite lignée du film susdit, s'attaque à une catégorie bien particulière de toutous : les économistes.

Omniprésents dans les éditoriaux, matinales et autres plateaux quotidiens, une poignée d'entre eux confisquent le débat public, « quadrillent l'espace médiatique et bornent celui des possibles ». Présentés comme universitaires (ah, ce cher Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS...), ils incarnent soit disant la rigueur technique, au service du bien commun dont ils se moquent. Et s'il existait un « effet Dracula » ? Les arrangements illégitimes et les petites connivences résisteraient-elles à leur exposition au grand jour ? En tous cas, cela nous épargnerait certainement des scènes d'anthologie comme celle où Alain Minc, quelques mois avant le point culminant de la crise de 2008, s'adonnait à une logorrhée confinant au grotesque en vantant les mérites d'un marché merveilleusement bien régulé. On ne s'en lasse pas... d'autant plus que les exemples sont légion.

Aux États-Unis, une instance spécialisée (AEA, American Economic Association) veille à ce que soient dévoilés les éventuels conflits d'intérêts impliquant les auteurs membres de l'association. Les économistes devront ainsi mentionner « les parties intéressées (2) leur ayant versé une rémunération financière importante, c'est à dire d'un montant supérieur ou égal à 10 000 dollars au cours des trois dernières années. » Une décision qui a marqué les esprits en ce début d'année. Cependant, dans de telles conditions, la transparence peut-elle suffire à infléchir la tendance naturelle des professionnels de la finance à défendre... les intérêts de la finance ? Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est permis d'en douter.

N.B. : Renaud Lambert est co-scénariste du film Les Nouveaux Chiens de Garde et membre de l'association Acrimed.


À écouter du lundi au vendredi entre 15 et 16 heures : Là-bas si j'y suis, l'émission de Daniel Mermet sur France Inter, consacrée au Diplo une fois par mois. Celle de mars est accessible sur http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2393.

(1) Difficile de réagir lorsqu'on est en train de dormir... Mais les souvenirs sont encore là ! (retour)
(2) Les « parties intéressées » sont définies comme « tout individu, groupe ou organisation concerné, financièrement, idéologiquement ou politiquement par le contenu de l'article ». (retour)