For we do not know what beasts the night dreams when its hours grow too long for even God to be awake.

Quand la première saison de True Detective fut diffusée sur les écrans US en 2014, elle suscita rapidement l'engouement.

Au delà d'évidentes qualités d'interprétation et de mise en scène, ce qui distinguait la série du tout-venant tenait de deux choses. 

D'une part, son personnage principal : d'un abord abrupt, il affichait (en contradiction avec les traditions des états de la "Bible Belt" où il évoluait) une philosophie nihiliste, proche de l'horreur ontologique (plagiat - disons le mot - de textes de l'écrivain Thomas Ligotti, et plus particulièrement de son essai The Conspiracy against the Human Race).

D'autre part, son ambiance : fantastique, usant à plein de l'atmosphère moite de la Louisiane et semant des signes pointant vers l'univers de Robert W. Chambers, l'auteur du Roi vêtu de jaune.

Ces deux points, le showrunner Nic Pizzolatto n'osait pas les mener au terme du récit, ce qui achevait cette première saison sur un bémol.

Pire, il abandonnait tout à fait la tendance fantastique dans la seconde. Spectateurs et critiques, qui ne retrouvèrent pas la singularité qui leur avait fait aimer True Detective de prime abord, lui firent mauvais accueil.

Après une troisième saison qui redresse quelque peu la barre, la quatrième saison, à l'écriture de laquelle Pizzolatto n'est pas impliqué, reprend les ingrédients de la recette originale, en les accommodant différemment.

Le protagoniste malaimable est de retour, en version atténuée : pas de philosophie noire pour l'inspectrice revêche interprété par Jodie Foster, seulement un cynisme et manque de tact de tous les instants.

Le fantastique est aussi de retour, en version accentuée cette fois-ci : visions (fantômes ?) et phénomènes inexpliqués se multiplient dès le premier épisode et la question du surnaturel sera maintenue jusqu'au bout, quand bien même des actions bien humaines expliqueraient la majorité de l'intrigue.

Le décor prend de nouveau une importance capitale : en contrepoint des terres sudistes écrasées de soleil, la mexicaine Issa Lopez, réalisatrice et scénariste de l'ensemble des épisodes (et à qui l'on doit le très beau film fantastique Ils reviennent, un des premiers exemples de ce que son collègue Gabino Iglesias appelle le "barrio noir", sorte de mélange de récits criminels latinos crus et de réalisme magique) opte pour les étendues glacées de l'Alaska.

Je laisserai Laird Barron, un écrivain d'horreur qui grandit au cœur de cet Etat (et que j'apprécie tout particulièrement) parler de l'adéquation entre ce territoire et le genre (l'extrait est tiré d'une critique qu'il signa pour le magazine Slate) :

"The oldest, most rural communities are akin to ice-bright stars in a constellation—geographically isolated, adrift upon a black sea. Reachable by radio wave, by sailing, by flight. Their streets and roads spiral from town center axes into surrounding hills worn to the gumline by eons of wind, connecting to nothing, vanishing like the ends of hemorrhaged veins into the vast empty. It’s a land where voices echo and the wind moaning across the tundra sounds an awful lot like ghosts."

Le point de départ du récit est la disparition d'une équipe de scientifiques travaillant dans une station de recherche (nommée Tsalal, clin d'œil aux Aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe). Ce décor fait inévitablement songer, au cinéma, à La chose d'un autre monde de Christian Nyby & Howard Hawks, et plus encore à son remake par John Carpenter, The Thing... Et l'on voit bien que Night Country s'inspire délibérément de ce dernier quand, à la fin du premier épisode, un tableau de glace et de chair, macabre et grotesque, est découvert ou quand, vers la fin de la série, un plan bref rappelle une fameuse affiche ("https://filmstories.co.uk/features/the-thing-the-story-behind-drew-struzans-iconic-poster/).

La tonalité surnaturelle qui baigne le récit (et qui n'est pas toujours intégré habilement, diverses apparitions survenant à mon sens de façon trop mécanique) est aussi liée au contexte ethnique de l'histoire. L'importante communauté indigène des lieux semble en effet accepter assez naturellement que des esprits puissent côtoyer les Hommes (et bien qu'elle ne soit jamais citée dans la série, on pourrait trouver dans le mythe de Sedna, la déesse inuit de la mer, des éléments qui résonnent avec l'intrigue.)

Au cours de l'investigation policière, on découvrira que les évènements ayant eu lieu dans la station pourraient être lié à une "cold case" locale : la meurtre d'une activiste autochtone, dont le coupable n'a jamais été désigné.

Entre en scène la révélation de la série : l'actrice Kali Reis. Elle interprète une brigadière autochtone qui n'avait pu résoudre l'affaire et en reste hantée. Ancienne championne de boxe, Reis apporte au récit plus qu'une présence physique et fait de son personnage le vecteur de poignantes émotions.

À en croire les agrégateurs américains, cette quatrième saison de True Detective a divisé la critique et le public, s'attirant les faveurs de la première mais pas forcément du second. 

Parmi les reproches faits par les spectateurs figure le fait que toutes les pistes de l'enquête ne soient pas confirmées ou exclues au moment du dénouement, que beaucoup de questions restent sans réponse, que de l'inexpliqué demeure. À mon sens, il est plutôt à porter au crédit de l'œuvre que du mystère persiste...

Un autre reproche du public s'avère plus problématique et est un triste signe des temps : la propension à qualifier, pour le disqualifier, un récit féministe de "propagande woke". 

Féministe, cette saison l'est assurément. Mais le supposé manichéisme entre femmes et hommes, où les unes seraient glorifiées et les autres systématiquement vilipendés, il n'existe à mon sens que dans l'œil de certains spectateurs.

La question des violences faites aux femmes est au cœur du récit, et fort justement dans le contexte de l'Alaska, un Etat qui présente une proportion anormalement élevée de disparitions, touchant essentiellement les femmes, surtout si elles sont autochtones. 

Une fois le visionnage de la série terminé, pourra alors nous revenir en mémoire la phrase qui clôt le générique d'ouverture (https://www.youtube.com/watch?v=fxfNib_hNZo) issue de la chanson "Bury a Friend", par Billie Eilish) : "When we all fall asleep, where do we go?", et y voir plus qu'une évocation des contrées du rêve, un appel à la vigilance dans la société humaine.