Il y a un renversement assez incroyable dans les partis pris esthétiques entre L'Incinérateur de cadavres et Morgiana, alors que seulement trois années séparent deux des films tchécoslovaques réalisés par Juraj Herz les plus connus, autour de 1970. Au noir et blanc déprimant et lugubre du premier répond un univers étonnamment coloré du second (sans que cela ne signifie pour autant que le récit illustrera un moment de gaieté absolu), avec sa direction artistique particulièrement soignée en termes de costumes, de maquillages, de décors, ou de cadrages. Un écrin vraiment très favorable à une appréciation plus spontanée, en ce qui me concerne tout du moins, et ce malgré l'apparente simplicité de la trame : une histoire de jalousie entre deux sœurs se trouvant exacerbée au lendemain d'une annonce testamentaire qui confère l'intégralité de l'héritage du père à l'une d'entre elles, Klara, au détriment de Viktoria.
On le devine davantage par les artifices de mise en scène (avec ses plans de dos et ses champs / contrechamps répétés) que par l'observation des actrices à proprement parler : les deux sœurs que tout oppose, la blonde aux reflets roux, bienveillante et vertueuse, et la brune acide pétrie de névroses, sont en réalité interprétées par la même excellente actrice, Iva Janžurová. Une information presque anecdotique, mais qui en réalité dissimule une modification scénaristique survenue en début de tournage — à l'origine, le film devait davantage traiter d'un cas de schizophrénie chez la protagoniste, une lecture plus tout à fait tenable dans l'état de montage et de mise en scène actuel. Conséquence probable d'une décision de censure de l'époque, qui heureusement n'a pas anéanti la totalité du projet et qui, peut-être, a fait souffler une petite tempête chaotique sur le film en contribuant à son caractère déstructuré. Les contraintes, la créativité, tout ça tout ça.
Reste que pour Viktoria, ça fait beaucoup : sa sœur semble attirer absolument toutes les sources de bonheur avec ses facilités, sa beauté, sa gentillesse. Pas d'autre solution, il va falloir l'empoisonner pour espérer obtenir une petite part du gâteau. Et toute la mécanique baroque et hallucinogène de Morgiana part de là, à mesure que Klara semble résister au poison et que Viktoria s'enfonce dans des délires psy. Même quand les effets commenceront enfin à se faire sentir chez la première, d'autres sentiments envahissants envelopperont encore un peu plus la seconde. Et au milieu, un chat siamois observe. Il en résulte une ambiance très originale, en prise avec un style gothique très particulier, baignant dans un voile psychédélique envoûtant. L'ensemble jouit d'une empreinte esthétique plutôt rare, en tous cas difficile à oublier.
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