mercredi 20 novembre 2024

Et on saluera Akira Yoshimura

Le feu écrivain japonais Akira Yoshimura (1927 - 2006) a dépeint la mort et le deuil dans des nouvelles et des romans extraordinaires. On peut trouver moult points communs entre ses histoires insolites.

La novela fantastique, La Jeune Fille suppliciée sur une étagère, en est la plus frappante des représentations avec un récit post-mortem. Nous y suivons les pensées d’une jeune fille de seize ans tout juste décédée chez elle. Son cadavre est vendu à la science par ses parents contre une somme d'argent. Commence une suite d'aventures posthumes plus ou moins désagréables pour elle. Elle observe calmement son corps transporté du tatami où elle repose jusqu'à la table d’autopsie d'un laboratoire. L’acuité de l’observation, des sens et de l’esprit étonne vivement.

Les personnages de ses histoires ne sont pas toujours aimables jusqu'à parfois mettre mal à l’aise. Prenons le narrateur du roman Le Convoi de l’eau, il s’émeut d’une enfant pendue sous ses yeux par un groupe de villageois aux abords du hameau étrange où il est venu travailler. Lui-même n’a pourtant eu par le passé aucun scrupule à tuer sa femme sauvagement après la découverte de son adultère. Et au lieu d’une volonté de repentance, il poussa plus loin les sévices après sa sortie de prison en exhumant le cadavre de sa femme.

Cinq petits morceaux d'os des doigts du pied de ma femme... Posséder une partie d'elle me donnait le plaisir de profaner son cadavre. Il était impensable que je les jette, mais si je les jetais, ce serait uniquement en les lançant dans un égout d'eau croupie.

Ce vil narrateur s’est fait embaucher dans l’équipe de treize ingénieurs et soixante ouvriers chargés de construire un barrage hydroélectrique là où un village séculaire d’une centaine d’habitants a été découvert par hasard en fouillant les montagnes à la recherche d’un avion écrasé. La suite est stupéfiante.

Nous retrouvons l’environnement hostile et l’isolement géographique dans Naufrages. Cette fois-ci, nous quittons la montagne pour le bord de mer. Le héros est un enfant prénommé Isaku qui va faire ses premières expériences, participer à son tour aux tâches quotidiennes et perpétuer les cérémonies qui rythment la vie au village. La survie s’élabore devant nos yeux de lecteur éberlué face aux confrontations sidérantes sur la côte. Une histoire de résilience fascinante.

Il avait encore en mémoire la sévère recommandation de son père qui, avant de partir, leur avait fait promettre, à sa mère et à lui, de ne pas laisser les enfants mourir de faim.

Akira Yoshimura a une écriture épurée qu’il a mis au service d’une imagination singulière. Je suis ressorti de ces lectures comme si j’avais glissé dans un interstice de la littérature : amoral, ancestral et lointain.

jeudi 07 novembre 2024

Vivre ensemble

Carte de France des groupuscules d'extrême droite extra-parlementaire actifs en France
https://cartofaf.streetpress.com/carte

CARTOFAF

StreetPress a recensé plus de 320 sections locales ou groupuscules d'extrême droite extra-parlementaire actifs en France. Ils sont identitaires, royalistes, catholiques-intégristes, nationalistes-révolutionnaires ou confusionnistes, souvent violents et toujours radicaux. Nous avons enquêté sur eux.

Bois mort, de James Sallis (2006)

Je tiens James Sallis pour l'honneur du roman noir d'aujourd'hui.

Ce panégyrique par Jean-Bernard Pouy sur la quatrième de couverture de Bois mort a peut-être joué dans la balance au moment de choisir ma dernière lecture. James Sallis serait-il au « bois mort » ce que les Flottins sont au bois flotté ? Un maître dans son art. Le polar.

Photo de Jean-Jacques Pagnier au village des Flottins à Evian
Photo de Jean-Jacques Pagnier au village des Flottins à Evian, source

Cette enquête est le premier volet d’une trilogie, bien que Bois mort puisse se lire indépendamment. L’assassinat d’un jeune vagabond pose une colle aux shérifs d’une petite ville isolée du Tennessee. La victime est retrouvée les mains liées au-dessus de la tête, un pieu planté dans le cœur.

L’affaire qui a trait aux films de Mauvais Genres pour certains quasi confidentiels et dont seuls les passionnés gardent une copie sur une cassette (on pense à «la caverne des introuvables »), est intrigante même si elle pêche à mes yeux dans son élucidation.

Ce petit regret n’est guère important car le présent de l’enquête alterne avec le passé tumultueux de John Turner que les shérifs sont venus sortir de sa retraite méritée, pour lui demander un peu d’aide. John Turner est une tête froide qui a mené une carrière de policier à Memphis, une ville toujours bien classée en termes de nombre de crimes violents. Et qui supporta onze années de prison après avoir tué son partenaire durant une mission.

Les accroches des chapitres de ce roman sont parfois exquis, un avant-goût : La vie, a dit quelqu'un, c'est ce qui vous arrive pendant que vous attendez que d'autres choses arrivent, qui, elles, n'arriveront jamais. Quant à la noirceur, elle est parfois édifiante et plus d’une fois contrebalancée par la quête de « grâce » de John Turner, qui va trouver parmi ses nouveaux amis de vrai(e)s confident(e)s. Au bureau de police comme au café du coin, une franche histoire d’amitié se construit entre ces justiciables foncièrement sympathiques. La suite m’attend : Cripple Creek et Salt River.

dimanche 13 octobre 2024

Au bal des absents, de Catherine Dufour (2020)

Catherine Dufour nous raconte une histoire sur une chômeuse qui va s’encanailler avec une maison hantée. Tandis que le fandom SF, toujours à la page, se fend de chroniques lunaires avec la parution de son dernier livre de science-fiction, la lecture de Au bal des absents peut sembler à rebours. Ce roman d’épouvante est pourtant de saison. La Toussaint approche. C’est l’automne, les feuilles de route de la dépense publique tombent. Un tour d’écrou à « France Travail » est de rigueur…

Si vous avez vu Moi, Daniel Blake (ce film de Ken Loach qui vous soutire des larmes de colère), Au bal des absents en serait une version féminine dont on aurait la suite de l’histoire, c’est à dire sans infarctus en guise d’épilogue et penchant allègrement du côté Fantastique. L’héroïne de ce récit d’épouvante s’appelle Claude. Elle a vécu et vit toujours à quarante ans les tribulations d’une précaire. Dénichant un job improbable de détective privée pour le compte d’un américain, elle prend ses cliques et ses claques, quittant sa ville vers les lieux de son enquête. Le passage sur les découvertes littéraires et cinématographiques de Claude dans la médiathèque de son nouveau lieu de villégiature constitue une chouette recension de certains classiques des Mauvais Genres (La Maison des damnés de Richard Matheson, Psychose de Alfred Hitchcock , Salem et Ça de Stephen King , un opus de Amityville de John Murlowski, …). Claude cherche dans ces œuvres des moyens de se dépêtrer de la solitude et des esprits frappeurs qui l’assaillent.

Les premiers chapitres du livre sont un morceau de choix en matière d’effrois pour happer le lecteur. La suite est du même tonneau et même si l’effet de surprise s’estompe, les péripéties ne manquent pas de sel… Amusé par un humour noir qui décante la tension, on n’en reste pas moins touché par l’épuisement des forces du corps et de l'esprit qui gagne de manière progressive Claude. Comme écrivait Catherine Dufour dans un passage qui m’avait marqué d’un précédent roman de SF (Le goût de l’immortalité) :

La souffrance n’élève pas, elle abaisse. Elle ne rend pas intelligent, elle abrutit ; elle ne rend pas plus fort, elle fêle ; elle n’éclaircit pas la vue, elle crève les yeux ; elle ne mûrit pas l’esprit, elle le blettit.

mardi 08 octobre 2024

Les ombres de Bombay, de Abir Mukherjee (2024)

Couvrante des ombres de Bombay de Abir Mukherjee

Je ne démords pas de cette série qui semble inaltérable après cinq romans. Abir Mukherjee continue d’échafauder de nouvelles intrigues en renouvelant l’angle, le rythme et la teneur historique. Sans jamais jeter dans la description ou l’explication, les deux villes mastodontes - Calcutta et Bombay - se dévoilent et la question de la société indienne se complexifie.

C’est au tour du sergent Sat Banerjee - bon gré mal gré - d’être à l’avant-poste de l’histoire et d’essuyer tous les feux. En pleine guerre civile communautaire, précipitée par l’assassinat d’un homme de lettres indien dans un quartier musulman de Calcutta, les communautés s’enflamment. Toutes les instances prennent prétexte de cet événement pour engager un bras de fer. Plus grand monde ne se mobilise pour sauver la paix. Des éléments troublants semblent pourtant émerger de cette poudrière.

Quand les précédentes enquêtes rendaient compte du grand poids du militarisme et de l’impérialisme britannique sur le peuple indien, la situation explosive dépeinte ici met en relief la rivalité entre les communautés religieuses hindou et musulmane. Ce conflit affaiblit le mouvement pacifique et le combat de longue haleine contre le joug britannique.

L’intrigue est (encore) rondement menée, ne lésinant sur aucun moyen de transports pour nous promener de Calcutta à Bombay, tantôt à un rythme effréné tantôt à pas de loup. La balade est captivante de jour comme de nuit. Malgré la débandade de l’enquête du sergent indien Banerjee avec l'aide indéfectible de son ami et capitaine Sam Wyndham, les deux partenaires nous offrent des moments de rigolade même tombés dans un découragement profond. Le potentiel cinématographique de cette série est frappante.

lundi 30 septembre 2024

Devinette

Quel est mon ministère ?

Indice 1 :


Indice 2 :

… il s’agit de mettre en œuvre la souffrance, la discipline et les rites ; cela pourrait inspirer notre jeunesse.

(source)

dimanche 22 septembre 2024

Et ils revêtirent leurs fourrures d'aiguilles, Zuzana Říhová (2024)

Un gars de la ville assiste avec un certain dégoût à un vêlage dans une ferme à Podlesí. Cette scène inaugurale nous plonge dans les pensées d’un homme morose qui est venu s’installer dans ce petit village rural de république Tchèque avec sa femme et son fils de 12 ans. 

Les deux parents ont pour patronymes Bohumil et Bohumila (qui sonnent comme une blague de l’auteure au sens étymologique [1]) et on ne connaîtra bizarrement jamais le prénom de leur garçon. Ce môme attardé passe son temps seul à jouer dehors pendant que ses parents tentent de s’intégrer à la vie du village. Le garçon se découvre par l’entremise d’un habitant peu banal, une fascination pour des contes pervertis.

Ces deux parents semblent complètement à côté de leurs pompes, accablés par une épreuve dont ils n’arrivent pas à se remettre depuis leur départ de Prague. L’étrangeté s’immisce à plusieurs niveaux si bien qu’on ne sait pas quel loup va les manger : eux mêmes dans une dispute qui dégénérera, ou bien la déchéance physique pour lui et une blessure pour elle qui s’aggravent, ou bien encore les villageois qui semblent jouer une partition connue avec ces nouveaux étrangers. Ajoutez y la chaleur accablante de l’été, une maison déliquescente et la peur ancestrale de la bête qui rôde avec des cris en provenance de la forêt au crépuscule.

L’écriture singulière de Zuzana Říhová [2] est saisissante dans sa dimension psychologique : le lecteur barbote dans les pensées des différents protagonistes de l’histoire - c'est sans fard - créant une atmosphère à la fois délétère et intrigante. Ce conte noir social se resserre au fil des pages jusqu’à un point de bascule où les dissimulations se lèvent une à une et on ne peut tout simplement plus lâcher le livre.



[1] Bohumil et Bohumila,  en tchèque « milý bohu » ou « bohumilý » peut signifier à la fois « celui qui aime Dieu » ou « celui qui est aimé de Dieu ». (source)

[2] Zuzana Říhová, née en 1981, a étudié la langue, la littérature tchèque et la littérature comparée à l'Université Charles de Prague. Elle travaille à l’Institut de littérature tchèque (Académie tchèque des sciences) depuis 2007 et a été directrice des études tchèques à l’Université d’Oxford de 2014 à 2017. Říhová, qui s'intéresse depuis toujours à la littérature tchèque d'avant-garde, a publié un recueil de poésie, Je te laisse entrer dans ma maison ( Pustím si tě do do mu , 2016), et une nouvelle, Petite Ève (Evička, 2018), qui a été nommé l'un des livres de l'année 2018 par un magazine Web littéraire tchèque.

jeudi 15 août 2024

Histoire de Tönle, de Mario Rigoni Stern (2023)

Il y avait un arbre sur le toit de sa maison : un cerisier sauvage. Le noyau dont il était né avait atterri là bien des années plus tôt, expulsé en vol par une grive mauvis, et une rosée printanière l'avait fait germer car, pour protéger la maison de la pluie et de la neige, un de ses aïeuls avait étalé une couche supplémentaire de chaume sur le toit, si bien que celle d'en dessous était devenue de l'humus, presque de la glèbe. Le cerisier avait poussé comme ça.

Qu'il est précieux le travail de réédition quand il met en valeur des courts romans de cette beauté là. Le paysan Tönle Bintarn (Bintarn veut dire l'hiverneur en dialecte cimbre) précipite son destin en blessant un douanier auquel il tentait d'échapper. Sur le haut plateau d’Asiagio à la frontière de l’Italie et de l’Autriche, les bergers comme lui s'adonnaient non sans risques à la contrebande pour survenir aux besoins de leur famille. Suite à cet incident et sachant qu'une condamnation arriverait forcément, Tönle prend les devants, il quitte les siens pour des périples au-delà de la frontière italienne. Il devient alors tour à tour, mineur en Styrie, colporteur d’estampes dans les Carpates, jardinier à Prague... Mais grâce à la complicité bienveillante de son village, il revient tous les hivers discrètement dans son foyer.

[...] tout comme certaines forces le poussaient à partir au printemps, certaines forces le faisaient revenir à la fin de l'automne: des forces supérieures à toute volonté, comme l'alternance des saisons, les migrations des oiseaux, le lever et le coucher du soleil, les phases de la lune.

L'histoire de Tönle comporte deux temps, le temps de la paix et le temps de la guerre. Ses voyages lui ont forgé une culture cosmopolite mais il revient bon an mal an auprès de sa femme, ses enfants et petits-enfants avec une implicite conviction : la quiétude de sa vie réside auprès d'eux et dans son terroir. Mais vient la guerre. Au printemps 2016, les autrichiens lancent leur expédition punitive, les manœuvres militaires dans les montagnes sont omniprésentes, les avions sillonnent le ciel et les gens du village sont désormais des réfugiés. Si le récit disperse les éléments historiques de la première guerre mondiale dans cette région de la Vénétie, la réussite de Mario Rigoni Stern réside dans le portrait de ce berger emblématique avec son chien et ses moutons, qui parlait des dialectes autrichiens et allemands, et le bohême, le hongrois, le croate, l'italien et cet étrange langage appelé le cimbre.

On se prend d'attachement pour Tönle Bintarn, ce personnage qui refuse de s'identifier à l'Italie, de voir là son pays, car sa maison c'est d'abord son village, son plateau et ses montagnes, lui qui se désignera sous escortes militaires comme un simple berger et un vieux prolétaire socialiste. Esbaudissez-vous de l'écriture de Mario Rigoni Stern et respirez le grand air, celui des hauts plateaux verdoyants sur les contreforts des Alpes italiennes.

lundi 15 juillet 2024

Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro (2005)

Ce roman de Kazuo Ishiguro suit la vie de trois amis Kathy, Ruth et Tommy dans un pensionnat anglais isolé appelé Hailsham. Les divers secrets sur le pensionnat sont révélés au cours du texte, mais il est presque impossible d'identifier précisément à quel moment le lecteur est parvenu à faire toute la vérité.

Ce texte accomplit une sécrétion. Je reprends ici l'idée lue dans cet essai de Sarah Dillon qui met en perspectives Under The Skin de Michel Faber et Never Let Me Go de Ishiguro avec les concepts de Gilles Deleuze et Félix Gattari. Un concept, sinon plus un jeu de mots des deux amis philosophes : le secret en sécrétion, une révélation continue de faits qui sont eux-mêmes des secrets ; des faits qui à la fois révèlent qu’il y a des secrets textuels, mais continuent en même temps à cacher le contenu de ces secrets. Selon les termes de Deleuze et Gattari, quels que soient les finalités ou les résultats, le secret a une manière de se répandre, qui est prise à son tour dans le secret (Mille-Plateaux, page 351). Cela résume parfaitement la prouesse de l'intrigue de Ishiguro qui nous emmène à comprendre un devenir dystopique de secrets en secrets, à travers des choses insignifiantes, entrouvertes ou entraperçues.

La Kathy adulte nous plonge dans ses souvenirs en faisant revivre son enfance singulière. Lorsque notre point de vue de lecteur se confond avec les souvenirs de la Kathy enfant pour qui le reste du monde en dehors du pensionnat paraît presque inexistant, ses sensations et ses sentiments constituent alors la seule réalité existante dont on soit sûr. Tous les indices textuels de son récit intimiste semblent poser une énigme à élucider. Cette particularité du récit se retrouve à des degrés différents en suivant l’Enfant noir dans Niourk de Stefan Wul, ou Moldscher dans Rituel du Mépris de Antoine Volodine, ou Helward Mann dans le monde inverti de Christopher Priest, ou encore Marquis et ses amis dans le pastiche Outrage et rébellion de Catherine Dufour. Auriez-vous d’autres sécrétions ?

mardi 11 juin 2024

Blague

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