mercredi 11 juin 2025

Discours de Gavin Newsom (10 juin 2025)


 

samedi 07 juin 2025

Stalker, Pique-nique au bord du chemin, de Arkadi et Boris Strougatski (1981)


Le pique-nique au bord du chemin est le titre initial de ce classique de la SF des frères russes Strougatski. La postface relate les huit années de labeur pour réussir à publier le roman, à cause de la censure. Cette censure à bas bruit dans les années 70 en Russie empêchait toute intrusion de l’espace culturel populaire par des œuvres d’apparence suspecte pour une bourgeoisie pudibonde, bête et méchante. Il est assez amusant de confronter le roman final paru en Russie en 1972 (et en France en 1981) aux notes des frères Strougatski quand ils ont commencé à imaginer cette histoire :

 ... Un singe et une boîte de conserve. Trente ans après la visite d'extraterrestres, il ne reste que les ordures qu'ils ont laissées — objets de chasse et de recherches, d'études et de malheurs. L'accroissement des superstitions, un service qui essaye de s'emparer du pouvoir au motif de leur possession, une organisation qui tente de les détruire — la connaissance tombée du ciel étant inutile et nuisible ; n'importe quelle trouvaille ne pouvant aboutir qu'à une mauvaise application. Des chercheurs d'or considérés comme des sorciers. La décadence du prestige des sciences. Des biosystèmes abandonnés — une pile presque déchargée —, des morts qui revivent, venant d'époques différentes...

[extrait de la postface signée par Boris Strougatski]

Ces notes ne disent rien à propos des six zones sur Terre qui ont eu la Visite des extraterrestres, de l’atmosphère de fin du monde dans laquelle ces lieux de passage ont été plongés, des âpres discussions au comptoir d’un bar interlope aux abords d’une de ces zones, et du caractère mauvais et bagarreurs des personnages. Cette histoire à la fois très orale et visuelle a donné lieu à une adaptation cinématographique par Andreï Tarkovski sortie en 1979 sous le titre Stalker, ce célèbre mot a été inventé par les Strougatski pour nommer ces têtes brûlées qui arpentent illégalement les zones à la recherche des artefacts extraterrestres qu'ils pourront revendre.

«Stalker» est un des rares concepts que nous avons inventés qui soit devenu usuel. Le mot «cyber» s'est implanté aussi mais, en général, seulement au sein du fandom, tandis que « stalker» s'est répandu partout. Je suppose, à vrai dire, que c'est d'abord grâce au film de Tarkovski. Mais ça n'est pas pour rien si Tarkovski lui-même l'a retenu : il est probable que ce mot tombait juste, sonnait bien et était doté de grandes possibilités. Il vient de l'anglais to stalk, ce qui signifie en particulier «s'approcher furtivement», « marcher à pas de loup ». Cela se prononce d'ailleurs «stok», et il serait plus correct de dire « stoker», et non « stalker».


[extrait de la postface signée par Boris Strougatski]

Les sorties dans la zone font penser avant l’heure à ces jeux vidéo à la première personne où le joueur incarne un personnage explorant un monde, dévoilant une carte, découvrant des artefacts et esquivant les pièges mortels. Un personnage de l’histoire - un scientifique en l’occurrence - nous glisse vers la deux centième page des explications sur quelques uns des phénomènes physiques qui se cachent derrière l'argot imagé des stalkers, parmi lesquels on trouve la « calvitie de moustique », les « creuses », la « gratte», le « duvet brûlant », le « chou du diable », la « gelée de sorcière », les « gais fantômes » et le « hachoir ». 

Il est certain que ce classique de la SF a été une source d’inspiration pour les auteurs de futurs dystopiques sur le thème du contact. Je pense notamment à deux romans par deux auteurs français. 


Rituel du mépris, variante Moldscher (1986) de Antoine Volodine semblerait se situer quelques années après la fin d'une guerre totale et dévastatrice qui aurait opposé les hommes et des extraterrestres. Cependant les choses ne sont pas explicitement dites laissant le lecteur se dépêtrer des visions brûlantes et douloureuses du monde extérieur décrites par le mystérieux narrateur Moldscher sur les feuilles qu’il noircit depuis la geôle de sa prison. C’est encore dans le détail de ses descriptions que cette post-humanité se révèle.

La malédiction de l’éphémère (1986) de Richard Canal est le second roman auquel Stalker m’a fait repenser avec l'enfer Z, des cercles de radiations dans des villes bombardées par des extraterrestres, où des artistes aidés par des drogues produisent des œuvres d'art. Un dénouement et un changement d’échelle intéressants éclairent les causes du châtiment dispensé par les extraterrestres et de ce trafic d'œuvres infernales.

D’autres titres son parfois cités (que je n’ai pas lu) : Le souffle du temps (1981) de Robert Holdstock ou plus récemment Annihilation (2014) de Jeff Vandermeer...

La fin de Stalker sous tend sans l'ombre d'un doute une critique morale, car l’objet extraterrestre de toutes les convoitises n’est bien sûr qu’un miroir aux alouettes. Le pillage des restes de ce pique-nique des extraterrestres permet de dresser le portrait d’un petit condensé de l’humanité, dans un roman noir qui se dévoile progressivement avec cette technique narrative de «sécrétion » déjà exposée ici

jeudi 08 mai 2025

Les jaloux, de James Lee Burke (2023)

James Lee Burke à l’âge de 86 ans nous raconte avec fougue et ardeur, l’année tumultueuse d’un jeune garçon prénommé Aaron qui tombe amoureux d'une fille d'un quartier riche. On est à Houston, en 1952.

Burke ménage des zones d’ombre pour entretenir le suspens dès les premiers chapitres. Je ne vais pas faire le déroulé qui mène d'une altercation entre plusieurs jeunes, vers le crime odieux d'une fille, un soir de cuite où Aaron traînait dans les parages.

Le caractère d'Aaron est le carburant de ce roman noir qu'on ne lâche pas. C'est un garçon qui n’hésite pas à demander de l’aide à son meilleur ami immature et bravache quand les coups de sang pleuvent. C'est un fils qui porte un amour inconditionnel à ses parents. Sa famille qui traîne ses misères personnelles a semé les germes de sa folle résistance à l'adversité. Sa soif de justice est assez émouvante malgré la violence consentie pour échapper à une bande de petits salopards, qui combinent avec des narcotraficants.

La faune des quartiers, les dangers entourant la romance entre Aaron et Valérie et la bande son des fifties font vibrer notre corde sensible. Je vous recommande chaudement la lecture de ce dernier livre de Burke, qui ne restera pas longtemps mon premier. J’en termine avec l’épigraphe d’un autre livre que je lis en ce moment, c’est une citation de Robert Penn Warren qui me semble coller aussi à l’esprit de ce polar :

Tu dois créer le Bien à partir du Mal, car c'est le seul moyen pour le faire.

samedi 26 avril 2025

Bienvenue à Sturkeyville, Bob Leman (2019)


Bienvenue à Sturkeyville
est un recueil de nouvelles fantastiques. Bob Leman (1922-2006) est un auteur américain dont la carrière littéraire semble s'être bornée à créer Sturkeyville, une bourgade imaginaire qui aurait des similitudes avec sa ville natale, Roanoke, dans l’Illinois. On se trouve dans les années 30 (Grande Dépression) et cette ville fictive est le théâtre d'histoires extraordinaires. Elle compte en son sein des lieux et des habitants qui gardent les traces d'un passé révolu lorsque leur petite ville ouvrière prospérait. À l'exception de la nouvelle Odila, les incipits de ces nouvelles montrent un goût de l'auteur pour les entrées saisissantes et sans ambages. Les voici pour le plaisir :

La Saison du ver

À Sturkeyville, il y a une dizaine d'années, vivait un certain Harvey Lawson, dont la femme était un ver.

Ce n'est pas une métaphore. Nous parlons bien d'un ver brun-roux long de presque deux mètres, avec un exosquelette articulé, une myriade de minuscules pattes et des mandibules menaçantes. Entre le lever et le coucher du soleil, la créature pouvait revêtir une apparence humaine. Ainsi, en public, elle se faisait passer pour l'épouse de Lawson sans éveiller les soupçons de ses concitoyens, qui la jugeaient néanmoins «bizarre» et « franchement antipathique».

La saison des vers
Illustrations intérieures de Arnaud S. Maniak

La Quête de Clifford M.

Plusieurs collègues m'ont suggéré de reformuler mon article intitulé « Le Cas de Clifford M.» dans un langage moins technique afin d'intéresser le grand public. Ce qui suit est le fruit de ce travail de révision. D'un côté, j'ai enrichi le texte d'un rapide exposé biologique sans utilité pour le lectorat d'origine; de l'autre, j'ai supprimé les conclusions, les tableaux et les graphiques destinés aux spécialistes.

La compréhension du cas de Clifford M. nécessite une bonne connaissance des processus naturels impliqués dans la reproduction des vampires.

Les Créatures du lac

Des créatures pâles et sans os, avec des bouches informes pleines de dents, vivent au fond du lac.

Loob

Il se peut que rien de tout ceci ne soit arrivé.

Plus exactement, rien de tout ceci ne sera arrivé quand Loob laissera mon arrière-grand-père franchir sans dommage le seuil du salon.

Je suis persuadé qu'il le fera. Sinon, je n'existerais pas. Or, je suis là. Cogito, ergo sum. Je n'ai rien non plus d'un pur esprit: j'ai une ampoule au talon droit et pas plus tard qu'hier, je me suis coupé en me rasant, car mes mains tremblent en permanence. Sous ces vêtements minables respire un corps bien réel.

Toutefois, officiellement, je n'existe pas. Ni le comté ni l'Etat ne conservent de traces écrites de ma naissance ni de celle de mon père (celle de ma grand-mère, en revanche, a été dûment consignée).

Mon nom n'apparaît nulle part dans les archives des universités de Lawrenceville et de Princeton. Même l'armée des États-Unis, réputée pour son zèle à tenir des registres, serait incapable de produire un document attestant de mes trois années de service. À ma grande tristesse, personne au monde ne semble me connaître, ni mes anciens camarades d'études ou de régiment, ni mes concitoyens. Tous les aspects de cette réalité viennent sans cesse démentir vingt-cinq années de souvenirs précis et détaillés.

Viens là où mon amour repose et rêve

Écoute...

La maison parle.

Sa voix n'est qu'un murmure qu'on pourrait presque confondre avec le souffle du vent à travers ses pièces immenses. Elle vous berce de paroles tendres et enjôleuses. Viens à moi, dit-elle. Viens, et je te protégerai. Je t'aime tant...

On peut convoquer Lovecraft, Poe, Bloch ou encore Matheson pour parler du fantastique de Bob Leman. Cependant à partir d'une matière fantastique qu'on dirait assez classique (encore que...), Bob Leman y ajoute un piment de nouveauté avec son style frontal que je peine à définir. Les personnages amers et aimants sonnent vrais et le fantastique teinté d'ironie joue un puissant rôle de révélateur des tourments humains, lorsque la vie est aux prises avec la perte ou l'abandon. Deux nouvelles émergent pour moi La saison du ver et Loob mais les autres sont aussi mémorables.

Couverture de Stéphane Perger

mercredi 02 avril 2025

L’usure d’un monde, une traversée de l’Iran, de François-Henri Désérable (2023)

Le courage du peuple iranien nous explose au visage à la lecture de ce récit de voyage. Dans ce livre de François-Henri Désérable, il y a une bonne dose d’évasion et de témoignages. La concision des descriptions et la justesse dans le ton pour nous parler de ses rencontres, donnent un livre très agréable à lire dont on perçoit très rapidement la force. Les habitants ou les étrangers, avec qui il s’attarde (dans son auberge d’arrivée par exemple) ou avec qui il ne partage qu’un moment fugace (en auto-stop par exemple), constituent un éventail cosmopolite de la vie en Iran.

La bible de François-Henri Désérable, c’est L’usage du monde (1963), ce chef-d’œuvre du récit de voyage de Nicolas Bouvier. Longtemps il murit le projet de marcher dans les pas du duo suisse Thierry Vernet et Nicolas Bouvier, et c’est fin 2022 qu’il embarque pour Téhéran. Le contrepoint des deux œuvres n’est pas l’intérêt principal du livre, il aurait même pu s’affranchir de cet hommage pour le cantonner à une postface, à mon avis. Ce qui donne sa valeur à ce texte, c’est son urgence vitale et présente. Une actualité en poussant une autre, nous ne percevons pas toujours la portée de certaines déflagrations dans le monde : la mort de Mahsa Amini en fait partie.

La marche de pensée de l’auteur qui se montre parfois drôle, nous incite à percevoir les nuances de gris de ce pays dirigé par un régime théocratique qui opprime les femmes et enferme ou condamne à mort ses opposants. S’il n’a pas été confronté frontalement à la violence, son tour d’Iran est pourtant emprunt de gravité, jamais à l’abri d’un contrôle policier intempestif, lui qui se trouve tantôt spectateur des actes de séditions contre le régime, tantôt à écouter les non-compromissions, de ces personnes dont il croise la route. Le sentiment général est qu’une émotion populaire semble battre le rappel de la révolution ! 

(Je suis reconnaissant à ce libraire de Chambéry - la librairie Le Bois d'Amarante - d’avoir posé sur son comptoir une pile de ce livre, qu’il conseille discrètement à sa clientèle.)

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mercredi 26 mars 2025

Jour de ressac, de Maylis de Kerangal (2024)


Le dernier livre de Maylis de Kerangal est une enquête policière dans Le Havre. La narratrice qui est doubleuse de voix au cinéma est convoquée au commissariat parce que le corps d’un homme a été retrouvé sur la plage avec son numéro de téléphone sur un ticket de cinéma.

Elle se rend donc au Havre où elle a vécu « longtemps il y a longtemps » en prenant le RER sans savoir que cette audition sera le déclencheur d'errements dans la ville et d’une épreuve psychologique : un « jour de ressac » des souvenirs enfouis. L’assassinat de cet homme non identifié et sa mystérieuse connexion avec elle sont un puissant catalyseur de l’investigation interpersonnelle.

Chacune de ses rencontres dans la ville du Havre - d’abord avec le policier enquêteur, puis avec la guichetière du cinéma, puis avec l’agent de la municipalité qui remet de l’ordre dans les galets de la plage, puis avec une barman qui héberge deux migrantes ukrainiennes - est l’occasion d’une double temporalité du récit : celle de la rencontre et celle de la mémoire du passé que font ressurgir ces personnalités.

Cette ancienne havraise jalonne son récit de digressions érudites sur le passé de cette ville détruite par la guerre, sur sa géographie et son architecture, sur les transformations du métier de doubleuse, sur la fabrication d’un fleuret (sport pratiqué par sa fille de 20 ans) dans une usine de Saint-Étienne, sur la passion de son mari pour une presse d’imprimerie, sur une lecture marquante de l’Automne allemand du journaliste Stig Dagerman, ou sur la singulière retranscription d’une autopsie… et j’en passe.

L’auteure ose une prose mélodieuse faite de longues phrases repoussant plus loin le point final de ses réflexions. La part sombre du polar est congrue, et gravite autour du commerce interlope des narcotrafiquants qui ont fait du port du Havre, une plaque tournante. C’est donc autant un polar qu’un roman introspectif d’une femme sensible aux transformations du monde et prise dans la tourmente, et par elle, la voix de l’auteure qui montre son attachement à Le Havre. Brillant.

Deux extraits…

Comme la plupart des gens, je préfère les balades en circuit qui débouclent un périple à celles qui rallient un point fixe puis exigent de faire demi-tour et de rebrousser chemin. La promenade de la digue appartient évidemment à la seconde catégorie mais offre un bon kilomètre pour se désembrouiller le cerveau, se laisser aller à la réflexion selon le principe du thinking by walking que pratiquent les flâneurs obliques, ceux qui conjuguent la tension musculaire, l'enchaînement des appuis et le rythme des jambes à la spéculation, indexent la grammaire du corps sur celle de la pensée, et pour qui marcher consiste précisément à faire trotter ce que l'on a dans la tête. Sur la digue, l'aller enclencherait la décongestion de l'esprit - on brasse la question, on l'oxygène, on la déplie à mesure que le phare s'élève dans la perspective, haut de quinze mètres et couronné d'une lanterne rouge, de plus en plus tangible, évident, de plus en plus détaillé aussi -, tandis que le retour, inversant le point de vue, prendrait la réalité à rebours pour faire apparaître sinon une réponse, du moins une autre formulation: l'art de revenir sur ses pas.

… exemplaires.

La jetée, au retour, ouvrait sur un paysage que saturait la bruine, un paysage qui s'étirait sur tout le front de mer, de la porte Océane au cap de la Hève, et portait vers l'extrémité ouest du littoral, jusqu'à cet endroit que l'on appelle à présent « le bout du monde». Ainsi retournée, le vent dans le dos, et comme si la digue achevait de remplir son office, j'avais un autre point de vue sur ce qui m'arrivait, sur ce cadavre qui avait fait irruption dans ma vie : ce n'était pas un fait isolé, il prenait place dans un réscau de signes, il était un signe. C'est peut-être un fantôme, ai-je pensé, bien que je me tienne en général à distance de ce mot, me gardant de sa beauté nocturne, de son charme trouble, opaque, de sa séduction chromo - hou hou de pleine lune dans manoir anglais, ombres blafardes et vaporeuses, corbeau qui parle et bruits de chaînes -, mais plus le phare diminuait dans mon dos, flouté dans le brouillard, plus ce mot s'imposait, disait cette présence concrète et fuyante, et faisait voir ce mort qui était venu me livrer un message.

mercredi 12 mars 2025

Fantasia chez les ploucs (Le bikini de diamants), de Charles Williams (1956)

On peut trouver ce polar goguenard dans une traduction par Laura Derajinski (2017) moins vieillote comparée à celle de Marcel Duhamel (1957) qui verserait un peu trop dans le langage argotique, à commencer par son titre retrouvé Le bikini de diamants, aux éditions Gallmeister. Mais la découverte de cette vieille édition Folio Junior jalonnée de dessins de Jacques Tardi a été celle de mon dévolu. On s'amusera de regarder d'un œil bovin la couvrante de l'édition Carré noir ou encore celle de Folio Policier. Il existe par ailleurs une adaptation de ce roman au cinéma réalisée par Gérard Pirès qui date de 1971, avec Lino Ventura, Mireille Darc et Jean Yanne.  

     

On y suit les pérégrinations de Billy Noonan, un garçon de sept ans, qui a posé ses bagages pour l’été dans la ferme de son oncle Sagamore résidant au Texas, accompagné de son père « Pop ». L’histoire est racontée du point de vue de l’enfant. Les deux frères veillent sur le marmot d'une aimante attention, n’hésitant pas à lui présenter certaines de leurs combines sous un jour plus favorable, et protéger ainsi son innocence.

Tout de même, c'est curieux; tous les gens ont l'air d'avoir quéqu'chose qui ne va pas, dans ce pays. Le docteur Severance a des pincements au cœur, le shérif il a de la tension, Miss Harrington de l'anémie, et puis cette histoire d'épidémie de typhoïde, et maintenant, voilà que ma tante Bessie a le diabète. J'espère qu'on va pas attraper quelque chose comme ça, nous aussi.

Rendu à ce moment de l’histoire, il est difficile de ne pas exploser de rire…

La gageure de certaines scènes tient des trouvailles de l’oncle Sagamore aussi paysan que rusé pour se payer la tête du shérif et de ses adjoints qui l’ont à l’œil. La réussite tient également à cette version toute personnelle de la vérité de Sagamore présentée à l’enfant et que le lecteur moins naïf comprend et résout.

Ajoutez à cela l’arrivée d’une stripteaseuse poursuivie par des gangsters, vous obtenez un roman malicieux où la gouaillerie est de mise. Les péripéties sont d’une drôlerie qui relève parfois du génie, on se marre. Prenons un personnage secondaire, le vieil oncle fêlé Finley s'emparant du moindre morceau de bois pour construire une arche en vue de l’apocalypse, il semble incarner cet esprit de dérision de l’auteur, qu'il montre tout au long de son histoire. 

dimanche 16 février 2025

Terres promises, de Bénédicte Dupré La Tour (2024)

illustration de couverture

Bon sang de bonsoir, quel livre ! Il est bien difficile de croire que Terres Promises est le premier livre de Bénédicte Dupré La Tour tant celui-ci est époustouflant. Sa sœur jumelle, Florence, est dessinatrice de bandes dessinées, peut-être faut-il se pencher sur sa trilogie BD autobiographique Cruelle, Pucelle et Jumelle, pour élucider la naissance de cette soeur-écrivaine.

En alternant le genre épistolaire et narratif, Bénédicte Dupré La Tour forme une construction impeccable pour nous raconter l’itinéraire de ses sept personnages, entendez, des voix oubliées de la conquête de l’Ouest :

Eleanor, la prostituée qui attend l’heure de se faire justice ; Kinta, l’indigène qui s’émancipe de sa tribu ; Morgan, l’orpailleur fou défendant sa concession au péril de sa vie. Par delà les montagnes, arpentez les champs de bataille avec Mary ; suivez la traque de Bloody Horse, et rêvez de la liberté sauvage avec Rebecca. Parmi les colons et les exilés, vous croiserez sûrement la route du Déserteur, et une fois imprégnés de la véritable histoire de l’Ouest, le Bonimenteur vous apportera votre consolation contre quelques pièces.

(extrait de quatrième de couverture)

Cette œuvre qui pourrait être lue comme un recueil de nouvelles, forme un roman choral qui ne relâche jamais notre stupéfaction. La langue est impressionnante, tout en circonvolutions ; ce qui serait un défaut chez beaucoup d’écrivains semble ici faire émerger un tragique de répétitions et transcender la réalité. Les mots sont percutants rejouant des scènes familières de la conquête de l’Ouest en jetant un regard aigu sur l'envers du décor.

C'est une part terrible de la condition humaine qui nous est donnée à voir à travers ces existences et plus spécialement la condition des femmes en pénétrant leurs pensées les plus intimes, lorsque les hommes n’avaient qu’une idée en tête : la ruée vers l’or. Ces portraits résonnent bien au delà de ce contexte historique, révélant toute une dramaturgie faite de luttes intestines et de violences sexuelles. Chacune de ces nouvelles possède une fin magistrale et chacune de ces nouvelles, mises en correspondances, tisse un roman à la morale cinglante. En trois mots, un western sublime.

vendredi 07 février 2025

Nevermore, de William Hjortsberg (1997)

Nevermore est un délicieux polar dont les deux héros sont Sir Arthur Conan Doyle et le maître illusionniste Houdini. William Hjortsberg imagine ces deux copains devenus bon gré mal gré des détectives dans le New York des années 1920. Un tueur en série dans la ville imite les modus operandi des nouvelles écrites par Edgar Allan Poe : une personne enterrée vivante, une autre emmurée ou encore une autre fourrée dans une cheminée… Chaque meurtre est l’occasion de se remémorer ses Nouvelles histoires extraordinaires.

Hjortsberg exploite magnifiquement l’ambivalence de cette amitié réelle (en photo) entre un rationaliste sceptique en la personne de Houdini qui entendait démasquer les médiums, et un partisan du spiritisme qu’était notoirement Conan Doyle (et sa seconde épouse Jean Leckie). Hjorstberg fait une nouvelle fois preuve dans Nevermore d’un sens du romanesque dans ses enquêtes criminelles. L’idée est impudente mais exécutée avec une malice communicative comme pouvait l’être la construction de son roman culte et diabolique Le sabbat dans Central Park (aka Angel Heart).

Le casting est épatant rassemblant des sommités de l’époque comme le journaliste Damon Runyon (qui joue un rôle de premier plan), Jimmy Walker, Buster Keaton, King Oliver et Louis Armstrong. Houdini, en l'an 1923, est toujours une légende du spectacle de prestidigitation. Égoïste et excentrique, il entreprend de démystifier les spirites en n’hésitant pas à perturber leur représentation publique. C’est ainsi qu’il interrompt celle d’une de ses cibles les plus en vogue, Opal Crosby Fletcher prenant le nom de la déesse Isis sur scène. Elle choisit après l’entrave à son show de faire de Houdini son Osiris. On se marre en voyant Houdini tenter d’échapper à cette femme séduisante qui se prétend être la réincarnation de la déesse de la fertilité dans l’Égypte ancienne.

Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, Doyle est convaincu qu’Houdini est un puissant médium, qui discrédite les autres uniquement pour détourner l’attention de ses propres puissants pouvoirs. Hjortsberg s’amuse des conflits internes de ses personnages drôlement têtus. Ce duo improbable se mêle alors des affaires policières lorsque les horreurs du tueur en série font jour.

L’intrigue prend de multiples aspects des récits de Mauvais Genres : la dimension fantastique lorsque le créateur de Sherlock Holmes se met tout bonnement à discuter avec le fantôme de Poe lors de ses visites spectrales matinales impromptues, les horreurs avec le menu détail des meurtres commis par le criminel lettré, l’érotisme avec des scènes ouvertement sulfureuses ou encore le genre pulps au travers des péripéties finales dans une course contre la montre avec le tueur.

Le thème du spiritisme et le personnage d’Isis (Crosby) m’ont fait penser à la lecture de la nouvelle Infiltration de Connie Willis sur des journalistes en croisade contre les spirites ; deux auteurs qui partagent l’esprit et l’humour, en abordant la question de la croyance au surnaturel. La fin cathartique de Nevermore dans laquelle est évoquée une dernière fois une nouvelle de Poe intitulée La Caisse oblongue (1844) non traduite par Baudelaire, semble receler une dernière énigme. Ma suspension consentie de l'incrédulité a cédé et j'ai passé quelques heures à relire la nouvelle en question, la biographie de Poe, de Houdini et de Conan Doyle, en m’attardant sur le démembrement osirisiaque, pour élucider un dernier… choc des croyances. En bref, un pur régal pour les amoureux de Mauvais Genres.

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mercredi 15 janvier 2025

Légendes d’automne, de Jim Harrisson (2018)

Le traducteur est clair à propos de ce recueil de nouvelles en préface et en quatrième de couverture, ce serait LE chef d’œuvre de Jim Harrison (1937 - 2016). N’ayant rien lu de cet auteur américain, je me contenterai de dire que ces trois longues nouvelles vont crescendo jusqu’à la nouvelle éponyme qui a été adaptée en 1994 au cinéma par Edward Zwick avec Brad Pitt et Antony Hopkins entre autres.

Vengeance est un titre on ne peut plus clair qui narre le duel entre un dangereux criminel de la drogue Tiburón et son ami de confiance Cochran, ancien pilote de chasse au Vietnam. La nouvelle débute sur la découverte d’un homme à l’agonie par un paysan et sa fille dans le désert mexicain. Une tragédie dont la catharsis a de quoi surprendre tant elle nous prend à contrepied, persuadé de suivre la partition classique d’une histoire de vengeance mêlant un amour destructeur et la violence la plus extrême.

L’homme qui abandonna son nom nous tient en haleine aussi étonnamment que ça puisse paraître en racontant l’expérience de vie d’un homme de cinquante ans, cadre d’entreprise et père de famille, conscient de vivre une vie déconnectée de ses aspirations. Sa rébellion qui lui fait quitter son travail et son confort matériel ne va pas sans la récolte d’ennuis. Mais cette soif de liberté est forte, ce narrateur danseur renoue avec la vie heureuse et retrouve des moments de complicité avec sa fille. Ce serait une sorte d’American Beauty, où le cynisme, le symbolisme et le machisme du film de Allan Ball seraient remplacés par des considérations plus sages et plus honorables.

Légendes d’automne (traduit de Legends of the Fall : en français, c'est à la fois Légendes d'automne et Légendes de la chute) est une saga familiale centrée sur Tristan le frère rebelle et sauvage d’une fratrie, originaire du Montana. Le destin des trois frères au tempérament différent est profondément tragique. L’histoire remarquablement ciselée nous plonge dans le flot de leurs existences depuis leur enfance au ranch familial au côté d’un père aimant et d’un ami Cheyenne du nom d’Un Coup en référence à son passé de guerrier et à sa précision légendaire, en passant par la France pour rejoindre les forces de l’Alliance durant la Première Guerre Mondiale (parmi ce million de soldats américains engagés dans les combats), jusqu’aux périples maritimes de Tristan. Les aventures épiques de ce dernier seront entrecoupées de moments de grâce lors des retrouvailles émotionnellement tourneboulantes avec les siens. 

In fine, une écriture brillante et des histoires aussi bonnes que variées.

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