knightriders.jpg
Les chevaliers motorisés de la table ronde

Victime de la représentation que l'on peut communément se faire de l'œuvre de Romero, c'est-à-dire une collection plus ou moins fleurie et bigarrée de films de zombies, Knightriders peut susciter une surprise conséquente. Et même au-delà, indépendamment de cette perspective-là, il est tout de même question d'un ovni cinématographique dans lequel l'Amérique du début des 80s nourrit une version motorisée du mythe des chevaliers de la table ronde. L'appartenance à un groupe digne de celui qui entourait le roi Arthur est claire dans ses références, mais sa transposition peut dans un premier temps dérouter, et ce sévèrement : il s'agit d'une communauté de marginaux itinérants, très bien organisés, qui se donnent en spectacle à l'occasion de joutes médiévales... à moto.

Knightriders date de 1981 et pourtant on jurerait qu'il s'agit d'un pur produit de la contre culture des années 70. Encore une dimension déroutante, dans ce décalage de contexte de production, qui s'ajoute à celle liée au contenu purement thématique alliant Moyen Âge et motocross.

La première scène joue énormément sur l'incertitude (renforcée par la représentation que l'on peut avoir d'un film des années 80 d'une part, et d'autre part de la partie émergée de la filmographie de Romero). Ed Harris est présenté comme un roi baignant dans l'eau d'un lac, dans un décor bucolique, avec sa Guenièvre l'aidant à revêtir son armure avant de monter sur son destrier. Une moto. La scène bénéficie d'une atmosphère magique, et ce qui s'apparente à un gag en clôture (l'apparition du destrier motorisé) enfonce encore davantage le clou du ton déroutant.

Aucun trace de fantastique ici, et presque aucune place à la violence. Tout tourne autour de cette communauté aux mœurs inhabituelles, avec un postulat de base (les chevaliers de la table ronde dans le décor d'Easy Rider, grosso modo) pouvant être difficile à accepter de prime abord. Romero s'engageant dans une déclaration d'amour à la réalisation d'une utopie de marginaux ajoute une pierre à cet édifice bizarre et déconcertant. Et pourtant, chose difficile à croire, la mélancolie qui se dégagera de leur mode de vie assorti de certaines contraintes est vraiment émouvante. On finit par y croire, au code d'honneur dont le roi Arthur du XXe siècle se porte garant et à cette micro-société hors du temps basée sur une forme d'idéalisme chevaleresque étonnante.

Il est d'ailleurs difficile de savoir s'ils sont sérieux, au début, tant on les sent prêts à mourir pour la cause qu'ils défendent. Le thème du compromis est cristallisé par le personnage de Tom Savini, lui qui goûtera au luxe de la société de consommation (déjà au cœur de Zombie sorti 3 ans plus tôt, par exemple) et qui en deviendra un parangon pitoyable (la séance de shooting photo, tout en cuir & fourrure, est d'un kitsch absolu et génial). La critique de l'autorité policière suit la même logique, même si elle est beaucoup plus évidente, bas du front, et un peu caricaturale. Face à cette évolution du monde saturé de vices, leur échappatoire semble relever de la nécessité.

Aussi improbable que cela puisse paraître, cette fable contestataire sur la difficulté à faire vivre des idéaux recèle une part de poésie aussi déstabilisante que le décorum constitué de chevaliers à motos.

harris.jpg
moto.jpg