Le réalisateur canadien Norman Jewison est mort ce week-end à l'âge de 97 ans. Je m’attarde pour la circonstance sur le fragment SF de son œuvre avec Rollerball. Ce film de 1975 est adapté d’une nouvelle de science-fiction écrite deux ans plus tôt par l'auteur William Harrison, cette dernière est parue d’abord dans le recueil éponyme en France puis rééditée sous le titre cocasse de « Meurtre au jeu de boules » dans un volume de La Grande Anthologie de la Science-Fiction.
Un monde où la guerre n’existe plus est passé dans le carcan de six puissantes corporations qui le contrôlent : Energie, Alimentation, Luxe, Logement, Communications, Transport. Pas de ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques qui aurait été directrice d'entreprises du CAC40 dans cette dystopie. Dans cette société sécuritaire et matérialiste, l’individu est devenu un animal politique bien dompté, aveuglé tant par sa confortable vie dans une société de consommation que par l’art des « administrateurs » de le distraire ! Le slogan de ce sport brutal « Le jeu est plus grand que le joueur » symbolise la doctrine que le système tente de répandre dans toutes les strates de la société en effaçant toute primauté de l'identité personnelle pour assurer les mercantiles desseins des corporations. L’Entertainment qui fascine le monde entier s’appelle le RollerBall, un mélange de handball, de football américain, de motocross et de hockey, les équipes doivent prendre le contrôle d'une boule de métal et la mettre dans l'en-but, une sorte de panier aimanté circulaire pour marquer des points. Tous les coups ou presque sont permis. Adulé par des millions de téléspectateurs, le héros Jonathan E. est un vétéran de la discipline, considéré aussi comme l'un sinon le meilleur des joueurs. Soucieuse de cet engouement et de l'aura de cette star mondiale qui pourrait être une menace pour le système, sa corporation lui « conseille » de prendre docilement sa retraite.
De vrais hockeyeurs et cascadeurs à moto ont donné vie à ce jeu terrible sur la piste de l’Olympic Stadium de Munich, considéré à l’époque comme le stade le plus moderne au monde. Lors du tournage, l’acteur principal James Caan qui interprète "Jonathan E" se disloque une épaule et se casse une côte. Le lot d'accidents et de faits divers au cours du tournage ont probablement suscité une avide curiosité médiatique à sa sortie au cinéma, une mise en abîme en quelque-sorte. La Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach ouvre le film dans le feu de l'action lors de l’entame d’un match. Propulsé aux côtés des joueurs, on en a pour nos mirettes ! Les matchs dans l’arène et les violents affrontements sont impressionnants. Les scènes en dehors du stade donnent un aspect kitsch car les objets avant-gardistes de l’époque utilisés pour donner une vraisemblance à ces villes futuristes traversées ont perdu de leur fantasme. La scène dans une bibliothèque d'une corporation en donne un échantillon quand le héros constate que tous les livres ont été numérisés et remaniés dans des superordinateurs.
La prise de conscience du héros dont la liberté est entravée n'est pas sans rappeler le personnage de Russell Crowe dans Gladiator et une réplique du film : Le véritable cœur de Rome n'est pas dans le marbre du sénat, il est dans le sable du Colisée. Il va leur apporter la mort… et ils vont l'aimer pour ça.
. Bien après Pythagore qui a dit :
les uns y tiennent boutique et ne songent qu’à leur profit ; les autres y payent de leur personne et cherchent la gloire ; d’autres se contentent de voir le jeu, et ceux-ci ne sont pas les pires.
*L'affiche du film est l'œuvre de l'illustrateur Bob Peak et ses aquarelles promotionnelles valent le coup d'œil (merci Nicolas).
6 réactions
1 De Renaud - 24/01/2024, 09:59
Ooooh Rollerball ! Tu ravives des vieux souvenirs (qui demandent à être réactualisés) et tu m'apprends la disparition de Jewison... Même s'il ne tournait plus depuis 20 ans, c'était un cinéaste que j'aimais bien, capable de produire des films très diversifiés (de Rollerball à In the Heat of the Night ou encore F.I.S.T. pour les coups d'éclat, et de Bogus à Jesus Christ Superstar pour le versant moins reluisant, c'est dire).
Merci pour ce billet, d'une brûlante actualité, et qui parvient à allier Maximus Decimus Meridius et Pythagore ! :D
2 De Gilles - 24/01/2024, 15:54
Je n’ai pas vu ses autres films mais le peu de sa biographie que j’ai lu sur des billets hommage me laisse à penser que le bonhomme avait un côté engagé appréciable, ça m’a motivé…
3 De Nicolas - 27/01/2024, 19:17
Merci pour ce billet (bis) !
Je garde un bon souvenir de cette charge contre la société du spectacle, aux scènes d'action particulièrement efficaces.
Le kitsch des accessoires se fait parfois sensible, certes, mais venant plutôt de scènes annexes, dans les demeures des riches oisifs qui se repaissent des jeux du cirque.
Au bout du compte, je trouve que ce Rollerball a bien sa place dans ce petit âge d'or du cinéma de SF qui suivit 2001, l'odyssée de l'espace et précéda La guerre des étoiles.
4 De Gilles - 30/01/2024, 13:58
Oui c’est clairement un film SF qui se démarque même si je ne saurais dire où commence et finit l’âge d’or du ciné SF. Je lui trouve un lien avec Mort en direct de Tavernier sorti cinq ans après qui dans une tonalité et un contexte dystopique différents explore ce thème des travers de la société du spectacle superbement. C’est aussi une adaptation d’un roman (D.G Compton) comme la plupart des films SF
5 De Nicolas - 31/01/2024, 13:54
Dans l'esprit de celui qui en parle ? ;-}
Il y en a peut-être eu avant (dans les années 20-30 ?) et il y en aura – j'espère ! – dans le futur.
Mais comme j'ai une prédilection pour le cinéma US des 70s en général, c'est d'abord à cette période que je pense.
Dans les 60s, le cinéma de SF, d'Hollywood (qui seul disposait des moyens de réaliser certains images propre au genre), ronronnait.
Ça frémissait ailleurs, du côté des Nouvelles Vagues (en France : La jetée, Alphaville...)
Mais ce n'est qu'après 2001 l'odyssée de l'espace, en 1968, que suivirent de grosses productions US, de qualité et destinées principalement aux adultes : La planète des singes, Abattoir 5, Le mystère Andromède, Soleil vert, Rollerball, etc.
Et de plus petites productions, plus expérimentales : Phase IV de Saul Bass, THX 1138 de George Lucas (même lui ! )
1977 enclencha un tournant, à mon avis, avec le phénomène de La guerre des étoiles.
Voire avec Rencontres du troisième type où l'alien est gentil (pour ne pas dire angélique...)
Lucas et Spielberg, réalisateurs et producteurs, vont participer à rendre le genre plus consensuel, moins âpre, moins adulte...
Quelques titres d'après 1977 tiendront quand même de l'esprit des 70s : L'invasion des profanateurs, Alien, Mad Max, etc.
Mais quand en 1982, The Thing floppe alors qu'E.T. cartonne... Ça donne l'impression qu'une page a été tournée.
J'avais été un peu déçu par ce film dont j'attendais sans doute trop.
Il est intéressant (le sujet est formidable) mais je trouvai le récit était trop flottant et que l'alchimie entre les acteurs, issus d'un riche casting international, ne prenait pas vraiment.
Tiens, je n'ai jamais réfléchi à ça, aux réussites comparées des scénarios SF originaux ou d'adaptation...
6 De Gilles - 02/02/2024, 11:08
Tu donnes un coup d’œil dans le rétroviseur remémoratif. Voilà des films dont j’ai toujours repoussé le visionnage : Phase IV de Saul Bass (adaptation de la nouvelle L’empire des fourmis de H. G. Wells) et THX 1138 de George Lucas et Alphaville de Godard.
Concernant l’étude et l’appréciation des films SF aux scénarios « originaux » versus les adaptations ciné de nouvelles et de romans SF dans une approche historique, qui démissionne pour se lancer dans une thèse dans les arts cinématographiques ? ;-)