Tandis qu’elle visite chaque jour sa mère décrépite à l’EHPAD, Patience Portefeux qui a 53 ans, nous confie sa vie avec un sens de l’autodérision à toute épreuve. Le bagout de la narratrice au début du livre donne le ton avec sa verve qui étonne, un mélange de familiarité populaire, de sincérité douce-amère et d'une ironie mordante. Elle nous conte ses infortunes d’une vie passée, en les mesurant à ses rêves de gamine emplis d’une effervescence de couleurs. Une passion pour les feux d’artifice éveille chez elle une profonde amertume.

Veuve, Patience élève ses deux filles seule en assurant leur subsistance grâce à un modique salaire versé en contrepartie de son travail de traductrice de langue arabe dans des écoutes judiciaires, catégorie gros dealers de shit. Le portrait de ses parents juifs et pieds-noirs est un morceau de choix. Son dangereux père défunt était le patron d’une entreprise fructueuse de transport routier qui employait des anciens taulards. Quant à sa mère, elle endosse une sacré réputation de femme paresseuse et raciste, qui n’a pris aucune part à son éducation par égoïsme et cupidité.

La difficile responsabilité d’aider sa mère valétudinaire plonge Patience dans un marasme inquiétant. Mais une sorte d’énergie du désespoir, un concours de circonstances (mal)heureuses et une prise de conscience aiguë d’une existence vécue d’une manière injuste et discriminatoire la poussent à devenir « la Daronne ».

Je vous laisserai découvrir cette transformation de Patience en ce personnage que Iain Levison (l'auteur de Un petit boulot ou encore les Tribulations d’un précaire) doit jalouser. Patience alias la Daronne va mener à la fois un métier et un marché de dupes avec la police judiciaire et les trafiquants de drogues des quartiers dont elle connaît, de part et d'autre, les coulisses et les défaillances. Cette histoire truculente revêt mine de rien une charge contre le système français qui rogne sur ses institutions de santé et de justice au profit du marchandage. La Daronne a été récompensé en 2017 par le prix du polar européen et le grand prix de littérature policière, et je n’apprends pas aux polardeux que Hannelore Cayre est par ailleurs avocate pénaliste au barreau de Paris !