auberge_du_mal.jpg, janv. 2024
Une bonne action chez des malfrats et des soulards, au péril de leurs vies

Petite particularité de visionnage : il s'agit du premier film japonais que vois suite à la lecture de l'essai de Jun'ichirō Tanizaki, Éloge de l'ombre, et les deux heures qui ont défilé n'ont fait qu'étayer la thèse de l'auteur. Deux heures remplies de zones d'ombre (au sens propre), de recoins mal éclairés, de séquences nocturnes, de matériaux ternes et poreux dépourvus de pouvoir réfléchissant, et de lanternes allumées dans la nuit — honnêtement la scène finale de L'Auberge du mal, avec sa nuée de policiers qui s'agitent dans l'obscurité à peine éclairée par les lanternes qu'ils tiennent, pourrait être une illustration faite sur mesure pour le livre. Autre particularité : c'est seulement le deuxième film de Masaki Kobayashi que je vois, alors que son Seppuku trône dans mon panthéon personnel depuis plus d'une dizaine d'années... Vraiment n'importe quoi, ma procrastination me perdra.

À la différence de beaucoup de films japonais historiques des années 1950 / 1960 dans la lignée des Shinoda, Kudō ou Uchida (et auxquels celui-ci fait beaucoup penser, indépendamment de sa sortie au début des années 1970), Kobayashi expédie le contexte de manière extrêmement rapide, efficace, élégante. Les premières images montrent une carte de l'île qui sera au centre des enjeux, et pose très vite le cadre : c'est un repaire de bandits réunis dans une auberge en son centre, accessible seulement par un pont, et les autorités attendent le moment opportun pour mettre un terme à leurs activités. La configuration du lieu est en soi un élément essentiel, participant à l'action, irrigant le scénario de ses particularités et de ses opportunités. Il faut ajouter à cela des personnages très bien caractérisés sans verser dans la complexité excessive, une lumière magnifique jouant à merveille sur les ombres, un travail très précis sur le son pour accentuer la tension aux bons moments... Formellement, c'est impressionnant.

Kobayashi ne se hâte pas, il est vrai, pour installer la situation initiale. On en passe du temps, dans cette auberge, pour apprendre à connaître la bande de malfrats et la situation critique dans laquelle ils se trouvent face à la police — dans les rangs de laquelle figurera le grand antagoniste. Au milieu de cette tribu disparate, quelques éléments perturbateurs s'immiscent pour lancer les péripéties, avec entre autre un soulard plus opiniâtre que la moyenne et un jeune homme désespéré qui s'apprête à mourir en essayant de récupérer son amour, vendu comme prostituée contre son gré. Mais bien sûr, ce qui restera, c'est ce regard fou de Tatsuya Nakadai.

Chose étonnante, c'est une bonne action décidée par le groupe de voyous mis à l'écart (le titre original signifie "gâcher sa vie") qui sonnera le glas pour tous, puisqu'ils s'essaieront à la contrebande afin de réunir les fonds nécessaires pour aider le pauvre inconnu à retrouver sa dulcinée. L'ambiance sera pesante du début à la fin, peut-être un peu trop lourde par moments, les premiers vrais rebondissements arrivant tardivement et surtout à la faveur d'une ellipse notable qui laissera trois corps sous un linceul de fortune. Mais sans l'ombre d'une hésitation la longue séquence finale vaut tous les déséquilibres. La confrontation nocturne est éblouissante, à la limite de l'épouvante, tant pour la rage qu'elle laisse se déchaîner que pour ces lumières dans la nuit, les protagonistes étant comme poursuivis par des torches-fantômes s'animant dans l'obscurité, sur cette île peuplée de damnés présentée comme l'antichambre de l'enfer.

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