noah.jpg, mars 2024
Solitude, folie et radiations

Un homme seul (Robert Strauss pour son dernier film) dérive sur l'eau, à bord d'un radeau de fortune, et arrive sur une île vraisemblablement déserte perdue au milieu d'un océan inconnu. Des restes de matériel de propagande communiste jonchent les lieux. Il vérifie que son détecteur de radioactivité de ne signale pas un souci : tout va bien. À un détail près : tout porte à croire qu'il est l'unique survivant d'une catastrophe planétaire, résultat d'une guerre mondiale nucléaire qui n'a pas atteint ce petit bout de terre sablonneuse aux allures paradisiaques.

Daniel Bourla a tourné ce film faisant intervenir un unique personnage à l'écran en 1968, mais la première sortie n'eut lieu qu'en 1975, après avoir réussi à obtenir les fonds nécessaires au travail de montage — suite à d'autres problèmes, de droits, le film disparaîtra des radars avant de réapparaître au milieu des années 1990 sous le manteau. Et on est bien obligé de constater que le montage est une partie essentielle de The Noah, puisque l'essentiel de l'action (si on peut dire) se déroulera dans la tête de son protagoniste, sombrant peu à peu dans une folie profonde, conséquence de son isolation et de sa solitude.

Après avoir passé un certain temps à explorer les environs, Strauss entend une voix : c'est le début des affabulations. Il s'inventera un compagnon imaginaire prénommé "Friday", puis il inventera une seconde camarade pour tenir compagnie au premier, et puis... au final, une civilisation toute entière, pur produit de son imagination. Dans ces décors (le film fut tourné à Puerto Rico) épargnés par les radiations, sa santé mentale lui échappe et il se retrouve prisonnier d'un monde d'illusions sur lequel il croit régner — tel un Noah moderne, comme l'introduit l'encart initial avec sa citation biblique. Il donne des cours à des élèves imaginaires, il commande un escadron imaginaire dans des manœuvres militaires imaginaires, il réinvente les nouveaux commandements en néo-Moïse imaginaire... Un soldat de la Seconde Guerre mondiale devenu dieu au terme de la Troisième. L'idée est séduisante, le plan est suivi avec rigueur, le final est bien amorcé, mais on ne m'ôtera pas de l'idée que du haut de ses 110 minutes, le film est bien trop long et comporte de très nombreuses séquences extensives et indigestes. Amputé d'un bon quart, ce conte de science-fiction minimaliste aurait été infiniment plus efficace dans son propos : l'effacement d'un ancien monde au profil d'une civilisation imaginaire construite sur le déni.

img1.jpg, mars 2024 img2.jpg, mars 2024 img3.jpg, mars 2024 img4.jpg, mars 2024 img5.jpg, mars 2024 img6.jpg, mars 2024 img7.jpg, mars 2024 img8.jpg, mars 2024