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La sobriété du témoignage

Ouvrir La Voix a les avantages et les défauts de sa radicalité (qui trouve son origine dans une absence de financement institutionnel) : deux heures d'entretiens avec des militantes qui revendiquent leur identité de femme et de noire, cadrées en plan serré sur leurs visages, avec quasiment aucune autre forme de matériau — juste quelques sorties de manière épisodique — et arrangées en une grosse dizaine de thématiques annoncées par des encarts prévus à cet effet, sans voix off. Le format est un peu austère mais il a la beauté de sa simplicité et de sa franchise : le résultat ne s'en trouve à mon sens que plus lisible et saillant.

Amandine Gay a fait le choix de donner la parole à une vingtaine de femmes noires, des intellectuelles qui n'ont pas toute connu une éducation dans des milieux favorisés mais qui aujourd'hui appartiennent aux catégories sociales supérieures et qui ont réussi dans une voie qui leur permet de défendre leur identité et de partager leurs expériences avec beaucoup de recul et des mots, des concepts, des perspectives particulièrement appropriées. Il y a beaucoup de choses qui ressortent et qui sont "classiques" au sein des milieux souffrant du racisme banalisé en France, quelque chose de presque commun pour n'importe qu'elle personne ayant déjà pu fréquenter ou appartenir à des communautés subissant ce type d'agression, et c'est tout particulièrement éloquent lorsque les différentes intervenantes évoquent l'état d'esprit dans lequel elles ont pu évoluer, à toujours se voir opposer  / rappeler leur couleur de peau, devoir prendre des précautions supplémentaires, être questionnées sur leurs sentiments profonds dans leur propre pays. Le documentaire est très riche en témoignages qui vont au-delà de ça, avec des parcours de vie passionnants (et parfois très durs) qui décrivent une minorité particulière à travers un spectre large d'hétérogénéités.

On peut regretter l'homogénéité de catégorie sociale agissant comme structure de l'argumentaire, les précaires étant absentes du cadre, mais on peut aussi imaginer que ce pourrait être le sujet d'un autre film. Toutes les personnes interrogées ici ne sont pas franchement pertinentes à mon sens (par exemple j'ai eu du mal avec le discours très bourgeois et américanophile de Rachel Khan), certains sujets comme la religion dégagent des lignes de réflexion insoupçonnées, et globalement la densité ainsi que la diversité des témoignages sont très appréciables. Les parcours brisés ("les cygnes ne sont pas noirs" jeté au visage d'une jeune fille qui voulait être danseuse étoile), les rapports aux expériences amoureuses (sortir avec une personne noire comme résultant d'une "expérience"), les différents clichés sur la réputation, autant de détails aigus et pertinents qui resteront.

img1.jpg, mars 2024 img2.jpg, mars 2024 img3.jpg, mars 2024 img4.jpg, mars 2024 img5.jpg, mars 2024 img6.jpg, mars 2024