enigme_du_chicago_express.jpg, janv. 2024
"This train wasn't designed for my tonnage. Nobody loves a fat man except his grocer and his tailor!"

Il est à la fois curieux et intéressant de voir Richard Fleischer investir le registre du film noir de série B au cours du premier temps de sa filmographie (et ce après [enfin, plutôt avant, du point de vue de la chronologie] le classicisme de Le Génie du mal), au début des années 50, longtemps avant l'établissement d'une renommée internationale. Le qualificatif de cinéma bis vient assez naturellement en regardant L'Énigme du Chicago Express, étant données la concision du scénario et l'absence de grosses célébrités dans la distribution, mais il ne faudrait pas l'entendre au sens d'une quelconque faiblesse qualitative : le film est efficace, laconique dans ses effets mais habile dans les ressorts de mise en scène qu'il parvient malgré tout à déployer, tout en ménageant une tension constante et une remarquable absence de temps mort.

90% du film se déroulera à bord d'un train. On pourrait même dire dans une voiture-bar, deux wagons-lits, et trois couloirs... Deux agents fédéraux ont la responsabilité d'escorter la veuve d'un grand gangster récemment assassiné, cette dernière étant appelée à témoigner contre la mafia. Dès la cinquième minute, l'un des deux meurt — probablement une autre contrainte budgétaire liée à un tournage sur 13 jours seulement — et le reste ne sera que voyage ferroviaire entre Chicago et Los Angeles avec une petite nuée de malfrats à la recherche de la femme dont ils ignorent l'apparence physique. On est en droit de se demander en quoi la mise à leur disposition d'une photo pour les guider était si problématique, mais ce n'est qu'un détail au sein de toutes les limitations dans l'écriture d'une telle série B. Le plus important, c'est le périple du flic devant assurer la sécurité d'une personne dans ce huis clos particulièrement hostile qui comporte une quantité infinie de recoins, de zones d'ombre et de faux-semblants.

Dans le rôle principal c'est Charles McGraw qui s'y colle, nerveux, plutôt réservé, mais assez convaincant avec ses faux airs de Kirk Douglas, collant parfaitement à la sécheresse absolue de l'ambiance. 1h10 de suspense condensé, avec le souci évident de maintenir une tension permanente dans ces lieux exigus qui obligent à se montrer un minimum inventif (l'utilisation des vitres notamment). Cela passe autant par des moments comiques (la répétition de la problématique du croisement dans les couloirs étroits lorsqu'on croise le chemin d'un gars particulièrement obèse, ce qui donne un sens supplémentaire au titre original, The Narrow Margin) que par des séquences de confrontation dans des cadres surchargés de détails et de mobiliers. En parallèle d'un questionnement existentiel sur la probité du protagoniste (à peine effleuré), une dualité féminine entre la brune Marie Windsor (comme une cousine de Ida Lupino) et la blonde Jacqueline White, à l'origine d'un twist final assez surprenant. Tout aussi surprenant, sinon plus, j'avoue ne pas avoir compris pourquoi l'assassinat d'un personnage aussi important provoque aussi peu de remous vers la fin, comme si tout le monde s'en foutait de sa mort après la révélation sur l'identité d'un autre. C'est en tous cas le point de chute d'une histoire qui aura multiplié la mise en évidence d'erreurs tragicomiques, d'abord avec la mort un peu bête du partenaire du héros dans les premiers instants, puis avec une policière qui aura payé de sa vie l'évaluation de l'intégrité d'un collègue, et enfin avec la personne dont l'identité était dissimulée qui s'en sortait très bien toute seule jusqu'à sa rencontre fortuite avec le protagoniste (non sans menaces involontairement propagées).

img1.png, janv. 2024 img2.png, janv. 2024 img3.png, janv. 2024 img4.png, janv. 2024