
Hitokiri est une grosse gourmandise offerte par Hideo Gosha dans le registre du chanbara iconoclaste, pas nécessairement de la trempe des Trois Samouraïs hors-la-loi ou Le Sabre de la bête pour rester dans le même sillon thématique, mais doté de très solides arguments mis au service de ces films de katanas qui s'attachent à montrer le versant le moins reluisant du bushido en cette fin d'ère Edo. C'est également un complément appréciable à l'autre réalisation sortie en cette même année 1969, Goyokin - La Terreur des Sabaï, qui s'intéressait elle aussi à écorner l'image plus conventionnelle du samouraï et de ses codes d'honneur, mais peut-être dans une formulation moins radicale. Plus héroïque et plus enneigée, aussi. Sans prétendre rivaliser avec le mètre-étalon du genre (chez moi, il s'agit de Seppuku aka "Harakiri" de Masaki Kobayashi), il décrit une facette du Japon du XIXe siècle prenante et percutante à travers un personnage de samouraï sans maître qui se fera méchamment piétiner par les ambitions venimeuses d'un chef de clan .
On peut poser le décor immédiatement en précisant que le ronin servant de protagoniste, Izo Okada, est interprété par Shintaro Katsu — si vous passez la séance à vous demander pourquoi on dirait un cousin éloigné de l'acteur Tomisaburō Wakayama (le héros de la série des Baby Cart notamment, mais aussi un membre du complot dans le très beau Le Secret du ninja) au visage légèrement défiguré, c'est tout à fait normal : il s'agit de son frère cadet. C'est un personnage qui prend beaucoup de place, qui consomme autant de saké que de sexe, marqué par de nombreux excès, et si l'on n'adhère pas à sa composition Hitokiri pourrait s'avérer long. Et qui de mieux que Tatsuya Nakadai dans le rôle de son nouveau mentor Hampeita Takechi pour incarner un de ces puissants cruels et sanguinaires qui se servira de lui comme d'un pion, ou comme d'un chien, comme un de ses compagnons d'infortune lui évoquera pour le mettre en garde... Son regard blême et statique sert en tous cas admirablement bien son personnage. Je referme le paragraphe "joie du casting" en précisant que l'on compte dans les rangs des samouraïs l'écrivain Yukio Mishima, dont la présence très remarquée se soldera dans le film par un grand coup d'éclat, un seppuku vif comme l'éclair, en un sens annonciateur de celui qu'il se fera un an plus tard dans la réalité, suite à une tentative ratée de coup d'État — racontée par Paul Schrader dans le flamboyant Mishima - Une vie en quatre chapitres.
Il existe à mes yeux deux solides arguments en faveur du film de Gosha, au-delà de son contenu explosif et de son esthétique illustrant tout le potentiel de grisaille contenu dans la pellicule couleur de l'époque.Tout d'abord, c'est une intrigue qui ne sacrifie jamais l'intelligibilité de son déroulement : les films historiques de ces décennies 1960/1970 sont très nombreux à circonscrire le cadre de leur fiction dans un carcan très précis avec profusion d'éléments contextuels, de faits d'armes, de personnages relatifs à l'histoire du Japon des deux ou trois siècles passés. Il n'est pas rare qu'on se perde dans ce dédale de références et d'intervenants. Il n'en sera rien ici, la structure du récit étant remarquablement limpide et les événements parfaitement explicites (ce qui n'empêche en rien la multiplication de complots et autres coups fourrés, cela va de soi), faisant du film — certes un peu long — un moment très agréable à suivre.
Hitokiri montre donc la trajectoire de ce ronin d'ascendance paysanne, un peu naïf, essentiellement mû par ses problèmes financiers, qui intègrera néanmoins le clan Tosa avec une sincérité aussi prégnante que son impétuosité. C'est bien parce qu'il cherche à faire ses preuves auprès de Takechi qu'il se montrera incroyablement performant au combat, un samouraï on ne peut plus violent qui ne comptera pas ses heures supplémentaires dès lors qu'il s'agit de décimer des antagonistes — et dès lors qu'il reçoit son salaire en échange, bien entendu. Lui qui oubliera bien vite sa bonne résolution de l'année : crier très fort "Tenchu !" ("châtiment divin" en japonais) à chaque mise à mort, comme ces samouraïs croisés dans la rue qui n'accomplissaient pas très bien leur tâche à ses yeux. Cela occasionne une séquence d'anthologie, grand moment de combats bourrins où l'on dénombre les corps cisaillés par dizaines, après qu'il a traversé la moitié du pays à pied en vociférant "Je suis Okada Izoooooooo !" (à noter que cette scène baroque s'inspire d'événements historiques documentés puisque Okada aurait couru un petit marathon de 45 kilomètres avant d'entrer dans l'arène sanglante). Mais c'est au final une histoire de manipulation et de calcul politicien avant tout, puisqu’il ne verra à aucun moment les manigances de son supérieur (il faut le dire passablement agacé par les débordements meurtriers de son nouveau poulain). C'est un chanbara extrêmement sale où l'honneur est piétiné et où les pauvres hères sont manipulés comme de bons petits chiens dociles, au service des puissants ivres de pouvoir. Il finira crucifié (aux sens propre et figuré), mais en paix avec lui-même : l'image finale restera très longtemps en mémoire.
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