J'ai nom Marie, et je suis de France
. Ce serait la plus ancienne signature d'une femme écrivaine trouvée dans la littérature française. On attribue à Marie de France la maternité de trois œuvres constituées de courts récits en vers : des lais, des poèmes et des fables. Lauren Groff s’empare de cette poétesse du XVIIème siècle dont les historiens savent peu de choses, pour en faire l'héroïne téméraire et érudite de son roman.
Lauren Groff redonne ainsi vie à cette bâtarde de sang royal, demi-sœur du roi Henri II Plantagenêt (comte d'Anjou et du Maine, duc de Normandie et d'Aquitaine et roi d'Angleterre). Élevée par des femmes fortes, elle suivit sa mère et ses tantes en croisade alors qu’elle n’était encore qu’une enfant.
Marie pense à sa tante Euphémie, capable de faire un saut périlleux pour descendre de cheval, à sa tante Honorine et à ses deux faucons pèlerins blancs, à sa tante Ursule avec ses bottes dorées et sa furieuse beauté, à sa mère puissante au rire vibrant, alors jouvencelles, embrassant l'aventure et la grâce divine autant qu'elles le pouvaient tout au long de la croisade.
Marie de France, cette géante disgracieuse dont la taille et l’esprit embarrassent, est astreinte à quitter la cour royale à l'âge de dix sept ans. En la nommant prieure d’une abbaye royale dans la campagne anglaise, la reine Aliénor dont Marie est amoureusement éprise, fait ainsi manigance pour éloigner son ombrage.
Cette abbaye en déliquescence est habitée par des nonnes et des oblates qui souffrent de la famine à cause d’une gouvernance catastrophique. C’est dans un état de pur délabrement et de désespoir que Marie fait son arrivée. Effondrée par cette découverte, elle sera trouver l’espoir et la force, non pas de fuir mais d’embrasser sa nouvelle place.
Rien ne vient à bout du mal: ni la prière, ni le fait de les plonger dans l'eau bénite, de les attacher à leurs lits, de surgir en pleine nuit pour leur faire peur, de les tremper dans la rivière en les tenant par les chevilles, de leur frapper la tête avec une branche d'if, de les enterrer du sommet du crâne jusqu'à la pointe des pieds dans le fumier tiède, de les suspendre la tête en bas à un arbre en les faisant tourner jusqu'à ce qu'ils vomissent, ni même de pratiquer un petit trou dans leur crâne pour laisser les mauvaises humeurs en sortir. La rumeur se répand que les terres de l'abbaye sont la proie du diable, que ceux qui mangent ce qui y pousse ingèrent le mal.
Elle retrouvera sa dignité par l’écriture, gagnera la confiance de ses sœurs à force de travail et deviendra l'abbesse de ce monastère de religieuses. L’histoire de Marie suivra en filigrane le destin de la reine Aliénor tout au long de sa vie, grâce à des espionnes et un réseau voué à sa cause. Ses projets ambitieux sont mis en péril par les velléités intérieures comme extérieures. Cette adversité va forger ou renforcer la détermination de Marie de poursuive son édifice. Après des années à lutter les unes avec les autres, par les autres et grâce aux autres, ses objectifs se déplaceront de fins personnelles et passionnelles vers une conviction plus profonde en la force de cette communauté de destin.
Lauren Groff est une conteuse qui, dans son écriture et son approche, m'évoque Ursula Le Guin dans son dernier roman Lavinia (2008). Les deux écrivaines participent à honorer deux figures féminines mystérieuses, au risque peut-être de les idéaliser, en les dotant d'un esprit frondeur et libre. Une autre connexion relie les deux romans puisque les deux héroïnes partagent cette incommode propension aux apparitions… Ces visions mi-prophétiques, mi-béatifiques ne manquent pas d'intérêts même pour le lecteur athée et peu enclin au mysticisme que je suis, ne serait-ce que pour la poésie propagée. En résumé, cette prédiction du passé en la sainte personne de Marie de France est riche d'enseignement, au terme d’une intrigue (oui, oui) très prenante.
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