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Addie dans les villes

Paper Moon (en V.O.) est un mélange aussi subtil qu'efficace de mélancolie et d'humour, ancré dans le paysage singulier de l'Amérique au temps de la Grande Dépression. Le contenu est relativement simple sur le papier, avec une gamine et un escroc sur les routes de la campagne américaine, ou dit autrement un enfant en quête d'un père et un mec paumé qui vend des bibles à des veuves soigneusement sélectionnées : Moze et Addie / Ryan O'Neal (Barry Lyndon !) et sa fille Tatum forment un duo de choix, dynamique, attachant, contrasté.

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Fable enfantine sous la forme d'un récit d'apprentissage, chronique sociale décrivant en arrière-plan l'Amérique des désenchantés et des déshérités, road-trip improvisé à la Alice dans les villes (sorti un an plus tard, lire le billet) sur le thème de la citation de Nicolas Bouvier : "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui même. On croit qu'on va faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait" (Clément en parlait ici). La Barbe à papa, c'est un peu tout cela à la fois. Peter Bogdanovich jongle avec les styles comme avec les tons, passant sans crier gare du burlesque typique au récit cruel. Et l'un des points forts du film est cette petite fille (la jeune actrice autant que son personnage) bien endurcie par la vie, envoûtée par une figure paternelle un peu gauche mais qui semble avoir sa mâchoire : c'est décidé, c'est son père, celui qu'elle n'a jamais connu.

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En toile de fond, l'Amérique de Steinbeck telle qu'il la décrit dans Les Raisins de la colère, celle des laissés pour compte sur le bord des grands chemins. Un pays et une époque dans lesquels il faut se débrouiller activement pour survivre passablement. Les paysages souvent désolés, vides et arides, faits de maisons abandonnées et de pauvres gens, contribuent à renforcer cette sensation de vie dure. Mais cette dureté ne pèse pas lourdement sur le film, tant elle est sans cesse contrebalancée par la liberté du ton et celle des personnages. Addie fume clope sur clope sans que ce ne soit un véritable problème, et elle prend les devants pour relancer voire même améliorer la machine à arnaques de son presque-père. Son imagination et son inventivité en matière d'arnaques fructueuses sont délicieuses, c'est le moteur de la partie centrale du film.

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Au final, Paper Moon est un pur produit du Nouvel Hollywood portant sur l'Ancien, respectueux de ses aïeux tout en sachant rester innovant et audacieux aux bons endroits. C'est une science délicate de l'entre-deux, ni franchement comique, ni franchement mélancolique. Et pourtant, les émotions sont bien là, savamment dosées, savamment distillées. C'est l'art de la comédie burlesque et tendre, inclassable, aux accents sociaux renforcés par le contexte de la crise de 1929, dans la lignée des films mettant en scène une enfance tumultueuse, précipitée malgré-elle vers l'âge adulte.