« Résister, c'est créer. »

Je suis tombé sur ce cliché il y a quelques jours, au détour de mes pérégrinations journalistiques. Sa simplicité, sa sincérité et son sens profond m'ont immédiatement séduit, à l'instar du cliché de Raymond Depardon pris par Gilles Caron au Biafra (voir le billet à ce sujet).

Raymond Aubrac, figure majeure de la Résistance aux côtés de sa femme Lucie et de Jean Moulin pour ne citer qu'eux, joue au chat et à la souris en réalisant cet autoportrait à Lyon en 1941, en pleine occupation allemande. C'est la consécration d'un état d'esprit, aisément transposable à notre époque. Comme le rappelaient les nonagénaires il y a quelques années, « le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent ». 

Raymond Aubrac est mort le 10 avril 2012, rejoignant ainsi sa femme morte cinq ans auparavant le 14 mars 2007.

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Fixer son image, mais ne pas dévoiler son visage. Rester caché, n'apparaître que comme une silhouette, mais regarder devant soi. À quoi rêvait-il, Raymond Aubrac, jeune homme de 27 ans, quand il fit cet autoportrait, en 1941, à Lyon, ville où sévissait la Gestapo de Klaus Barbie ? Entrevoyait-il l'issue du combat mené par l'armée des ombres contre l'occupant et le régime de Vichy ? Le résistant semblait prendre date : voici donc comment je peux jouer avec ma propre image, mon objectif visant aussi les cinq parties du monde punaisées au mur. Deux ans plus tard, l'anonymat tombe et le combattant du mouvement Libération Sud, le membre de l'état-major de l'Armée secrète est arrêté par les Allemands. Puis il s'évade, grâce au coup de main ahurissant que conduit sa femme, Lucie. À la Libération, Raymond Aubrac ne se contente pas de figurer dans le glorieux album de la France résistante, dont certains voudront toujours froisser les épisodes et déchirer les images. L'ingénieur des Ponts et Chaussées contribue alors à bâtir un pays nouveau au sein du Conseil national de la Résistance (CNR). D'autres images surgissent, dans une France à genoux après quatre années d'Occupation : la Sécurité sociale, le rétablissement de la démocratie politique, économique et sociale, la lutte contre les féodalités financières... À 97 ans, le 2 avril dernier, dans un manifeste cosigné notamment par Stéphane Hessel, Raymond Aubrac regarde toujours autour de lui et voit une République menacée, un démantèlement social qui réfute « l'état d'esprit » de la Libération, des droits civiques contestés. Disparu le 10 avril dernier, le photographe de 1941 nous invite toujours à ouvrir les yeux.

Gilles Heuré, Télérama 3249 du 18/04/2012.

À écouter : L'émission assez émouvante de Là-bas si j'y suis (c'est ici) consacrée au couple de résistants, datée du 15 mars 2007 et réalisée en hommage à Lucie Aubrac.