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J'ai le droit de vivre (You Only Live Once en V.O.) est un film noir réalisé par Fritz Lang en 1937, dix ans après Metropolis. Il s'agit du second film américain (après Furie) du réalisateur allemand d'origine autrichienne, après qu'il ait émigré à Hollywood en 1934, laissant derrière lui 15 années de labeur et autant de films tournés en Europe. Le film est souvent considéré comme un classique du film noir, sinon le premier, avec un scénario s'inspirant de l'histoire tumultueuse de Bonnie and Clyde (1). Il met en scène, entre autres, Sylvia Sidney et le très jeune Henry Fonda, 20 ans avant son interprétation du juré n°8 dans Douze Hommes en Colère (lire le billet).

Après deux ou trois petits larcins, Eddie Taylor sort de prison, bien décidé à rentrer dans le droit chemin avec l'aide et l'amour (aveuglant par moments) de sa petite amie, Joan « Jo » Graham. Mais, très vite, il va se heurter à la rancune de ses semblables pour lesquels il demeurera, quoi qu'il fasse, un éternel repris de justice. Mis à la porte de son hôtel, licencié de son travail, Eddie enchaîne les injustices. Il subit les désillusions d'une société arc-boutée sur des positions rétrogrades qui se refuse à croire en une possible évolution de l'être humain face à l'adversité de la faute. Mis au ban de l'humanité, incapable — ou, plus précisément, jugé comme tel — de se réinsérer dans la vie civile malgré le soutien appuyé de quelques uns de ses proches, il sera à nouveau entraîné dans la spirale infernale de l'illégalité.

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La malchance et le mauvais sort s’acharnent sur Eddie et Jo, couple éperdu qui se dérobe aux autorités et qui se retrouve piégé, malgré lui, dans une fuite en avant qu’on sait perdue d’avance. Fritz Lang filme brillamment cette lente descente aux enfers pleine de vicissitude, usant de subterfuges visuels et scénaristiques pour mieux éblouir et égarer le spectateur. À l'aide d'un magnifique jeu d’ombre et de lumière, en resserrant le cadre autour des visages inquiets de ces amoureux transis, il enferme ses personnages dans des cadres et des grilles pour mieux figurer le caractère illusoire et chimérique de leur entreprise.

Les prestations de Henry Fonda et de Sylvia Sydney, prisonniers de leur destin dès les premiers instants du film, sont d'une intensité tout à fait remarquable. À eux deux, ils représentent cet équilibre fragile qui sous-tend l'existence du commun des mortels. Pour Lang, la société dans laquelle nous évoluons, tout autant que notre simple condition d'être humain, nous enferme de manière inexorable dans une prison aux barreaux opaques. Les conséquences sont sans appel : l'innocence et l'intégrité ne se suffisent pas à elles seules ici-bas ; pire, elles ne prémunissent en rien de contrecoups moraux ou sociaux dramatiques. J'ai le droit de vivre illustre admirablement ce propos, dans un équilibre gracieux conjuguant l'émotion du drame romantique et le tragique du film noir.

(1) À noter la sortie en salles en octobre de God Bless America, avec Joel Murray (le frère de), narrant une équipée sauvage, sanglante et grand-guignolesque, sur les routes de la bêtise made in USA. Ce film tire lui aussi une partie de son inspiration de la vie de Bonnie and Clyde. (retour)

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