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Le bout de la chaîne du plastique

On pourrait croire derrière le nom de Plastic China que le documentaire de Jiu-liang Wang entend embrasser un récit à l'échelle nationale, racontant la géopolitique du recyclage du plastique international sur le territoire chinois. Le cadre est en réalité à l'opposé de cette vision globale puisque toute l'histoire sera focalisée sur un micro-centre de traitement aux allures d'entreprise familiale, partagé entre le gérant et un employé, leurs femmes et leurs enfants. Mais attention, derrière ces apparences intimistes et cette organisation à taille humaine se cache en réalité un cauchemar, social, sanitaire, et écologique. Car comme l'annonce le tout premier plan du film montrant la tête d'un enfant au milieu d'un tunnel de déchets, ces deux familles (au même titre que beaucoup d'autres dans ce village) vivent littéralement au milieu d'un marécage de plastique importé des États-Unis, d'Europe, du Japon et de Corée, avec des feuillets de pétrole inondant absolument tout l'espace, virevoltant constamment d'un coin à l'autre.

Petit aparté bibliographique : Plastic China s'insère naturellement dans un corpus de documentaires sur des sujets connexes, que ce soit le traitement des déchets au Ghana dans Welcome to Sodom, les conditions de vie au sein d'un bidonville de Chongqing dans Derniers jours à Shibati, ou encore les différents niveaux de l'échelle sociale chinoise dans Ascension. Autant dire que les familles de Kun (le patron exploiteur) et Peng (l'employé alcoolique) appartient à la catégorie la plus basse qui soit sur cette échelle, et que dans une certaine mesure, avec un budget plus conséquent pour la mise en scène, leur occupation pourrait figurer dans un segment de La Mort du travailleur.

Soit donc le portrait de deux familles, évoluant dans un territoire restreint rempli d'emballages plastiques dans des états de décomposition variables, partagé entre différents postes que le documentaire ne détaillera jamais directement. On comprend vaguement les différentes étapes, la livraison des montagnes de déchets internationaux, le tri des différents types de plastiques, le passage dans une machine séparant grossièrement le papier du plastique, l'incinération d'une partie pour former une pâte visqueuse qui sera transformée en une sorte de pellets (qui seront ensuite exportés on ne sait où), et le rejet de tous les déchets de déchets dans le cours d'eau avoisinant. Mais Jiu-liang Wang s'intéresse avant tout aux humains qui errent dans cette campagne altérée et transformée en environnement hostile, et comment le plastique est devenu l'élément essentiel et omniprésent de leur vie.

En marge de la politique de l'enfant unique, une petite nuée d'enfants entre 1 et 11 ans participe au travail quotidien quand ces derniers ne s'inventent pas des jeux, comme n'importe quel enfant, mais 100% à base plastique ici. Les adultes occupent beaucoup de place dans le docu, avec leurs aspirations à la consommation qu'ils ne peuvent pas se payer et leurs rêves de pile de billets et de voitures, mais c'est manifestement les enfants qui prennent l'ascendant. Difficile de ne pas être sidéré par la beauté tragique de leurs existences. Ils découvrent l'existence des cultures mondiales à travers les emballages des déchets et les images de magazines qui arrivent chez eux en miettes. Ils se construisent des jouets avec tous les déchets qu'ils trouvent pour s'inventer un écran, un ordinateur, un clavier (quand bien même ils auraient une télévision chez eux). Et pendant tout ce temps, ils respirent les fumées toxiques de plastique qu'on crame pour se chauffer en hiver, ils mangent des poissons morts dans la rivière qu'on imagine polluée à l'extrême, ils se lavent avec de l'eau dans laquelle macèrent des tonnes de déchets divers. Bien évidemment, la scolarisation ne fait pas partie de la norme ici.

Le portrait le plus touchant et le plus élaboré est sans doute celui de Yi-Jie, 11 ans, la fille de Peng, avec son regard à la fois adulte, optimiste, et fier. Quand elle ne joue pas dans les montagnes artificielles, quand elle ne travaille pas à la chaîne du recyclage, c'est elle qui s'occupe du dernier-né (au même titre que la ribambelle de frères et sœurs) en lui donnant le biberon et en lui changeant la couche, comme un parent. Ses aspirations à rejoindre une autre partie de sa famille dans le Sichuan et à aller à l'école (on le devine) resteront probablement insatisfaites. Il sera désormais difficile de ne pas revoir ses yeux curieux en jetant un emballage plastique dans la poubelle de tri.

img1.jpg, juil. 2023 img2.jpg, juil. 2023 img3.jpg, juil. 2023