mardi 14 février 2012

Ainsi naissent les fantômes, de Lisa Tuttle (2011)

Nouvelles choisies, présentées et traduites par Mélanie Fazi. La couverture est une création de Stéphane Perger.

Quand une jeune et talentueuse auteure française de fantastique sélectionne et traduit les nouvelles d’une moins jeune auteure américaine installée en Écosse dont elle est une grande admiratrice, cela donne un très beau livre avec des histoires parfaitement ciselées, et qui habillent merveilleusement le titre sibyllin de ce recueil de nouvelles.

« En 2004, j’ouvrais mon recueil Serpentine sur cette dédicace : À Lisa Tuttle, dont les livres m’ont appris que les plus effrayants des fantômes sont ceux qu’on porte en soi. Ils étaient toujours là, ces fantômes : entre les pages des textes que je découvrais en cherchant la matière qui composerait ce recueil. » 

Mélani Fazi

Le petit bijou (Rêves captifs) qui ouvre le recueil, est le récit d'une enfant enlevée, et séquestrée dans un placard. A l’instar des évasions imaginaires du Vagabond des étoiles de London (présenté ici par Clément), cette jeune fille nous livre les souvenirs confus de sa longue réclusion au milieu des sombres et misérables mètres carrés dans lesquels son ravisseur l’a enfermée. La chute cauchemardesque qui vient éclairer les circonstances de son évasion ne sont pas également sans évoquer le roman de Jack London quand l’esprit de Darrel Standing – camisolé de force et jeté au fond d’un cachot - rôde parmi les fantômes de ses vies antérieures.

Les histoires de Lisa Tuttle renforcent mon idée que je suis plus sensible aux mésaventures surnaturelles lorsqu’elles sont racontées de l’intérieur. Leur point de vue redouble l’effet de mystère puisque leur récit à la première personne interdit de tout voir ou de tout entendre. Et les fins n'en sont que plus exquises. Ces nouvelles obombrent, et si vous décidiez de les lire, vous serez certainement troublés par la sensibilité et par les singulières mésaventures de ces héroïnes qui donnent naissance à des visions névrotiques dans lesquelles elles projettent leur angoisse... ainsi naissent les fantômes.

samedi 21 janvier 2012

Oh Amadou, par Amadou, Mariam et Bertrand Cantat

En regardant ce clip musical (plus bas dans ce billet) et ces images sur une route du Mali, je songe à ces quelques nuits chaudes dans le désert du Sahel où nous savourions avec des amis le thé traditionnel des Touaregs.

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Entre nos discussions passionnées sur le monde, et les silences qu’imposent la nuit, entre l’endroit où le soleil s’éteint et celui où il se lève, nous laissions le temps au temps. Par-delà les lueurs du feu, nous regardions captivés les gestes habiles de nos amis burkinabés qui transvasaient plusieurs fois le thé entre deux verres pour le faire mousser. Le verre servi passait de main en main. Et, la décoction des mêmes feuilles de thé donnait un goût particulier à la préparation des trois verres successifs qui nous étaient offerts. Ils prêtaient une signification à chacune de leur saveur :

« Le premier est amer comme la mort, le deuxième est doux comme la vie, le troisième est sucré comme l’amour. »


Ce retour inattendu de Bertrand Cantat au chant et à l'harmonica - s’associant le temps d’un blues avec Amadou et Mariam - est tout à la fois : doux, sucré et amer. Et, les quelques paroles répétées comme une litanie par ces trois voix puissantes, suaves ou éraillées s'incrustent facilement dans notre tête.

jeudi 29 décembre 2011

Quartier lointain, par Jirô Taniguchi (1998)

La fabuleuse histoire de Quartier lointain se tisse autour d'un « voyageur du temps » qui va revivre ses quatorze ans dans le Japon d'après-guerre.

... Et si dans cette seconde enfance, le temps empruntait finalement d'autres voies que celles du « passé » ?

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Hiroshi Nakahara est un homme de 48 ans marié et père de deux filles, qui vit pour son travail. De retour d'un voyage d'affaires, l'alcool aidant, Hiroshi monte dans le mauvais train à destination de sa ville natale, où il y a des années, dans son adolescence, un événement le marquera sévèrement : l'inexplicable disparition de son père. C'est alors qu'en visitant la tombe de sa mère, morte depuis plus de vingt ans, il perd conscience. À son grand étonnement, il se réveille en 1963 du haut de ses 14 ans, avec une vie qui reste à parcourir : son père est encore à la maison auprès de sa mère, sa sœur, et sa grand-mère.

En parcourant ce manga, vous pourriez commencer à penser à votre propre passé, à ces actes manqués, ou à ces instants éphémères dont vous n'aviez pas pris pleinement conscience. Car, comme l'avait écrit Proust, notre esprit se détourne volontiers de l'effort qu'il faut pour approfondir en soi-même une impression agréable que nous avons eue. S'amusant de retrouver les bancs du collège, s'exaltant de ses banals exploits sportifs d'ado, rejouant ses premiers émois amoureux, Hiroshi vit donc une seconde enfance en empruntant des chemins différents avec la mémoire, la maladresse et la maturité d'un adulte. Il se fixe bientôt une entreprise délicate : retenir son père avant la journée fatidique de sa disparition. Pour cette raison, il devient très difficile de quitter cette œuvre qui essaie de résoudre les contradictions d'une vie.

Pas besoin d'être un fana de culture japonaise ou de manga pour se laisser envoûter par cette histoire de Jirô Taniguchi qui remporte l'Alpha'Art du meilleur scénario au Festival d'Angoulême 2003, et ça c'est fichtrement mérité au regard de ce dessin et de cette œuvre littéraire ma-gni-fi-ques.

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... ce qui nous rappelle le mieux un être, c'est justement ce que nous avons oublié (parce que c'était insignifiant, et que nous lui avons ainsi laissé toute sa force). C'est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l'odeur de renfermé d'une chambre ou dans l'odeur d'une première flambée, partout où nous retrouvons de nous - mêmes ce que notre intelligence, n'en ayant pas l'emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui, quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore.

A la recherche du temps perdu, Proust.

vendredi 09 décembre 2011

Le Vieil Homme et la Guerre, par John Scalzi (2005)

Le Vieil Homme et la Guerre, de John Scalzi (2005)

La science-fiction qui m’a fait aimer la science-fiction est associée à des grandes aventures interstellaires (je pense à Fondation de Asimov, et à Hypérion de Dan Simmons pour n’en citer que deux). Le Vieil Homme et la Guerre appartient justement à un des plus démesurés sous-genres de la SF : le space opera. Une prouesse pour une histoire qui débute dans un cimetière, quelques pieds sous Terre.

John Perry, le héros, est un vieux crouton à la retraite. Il s’engage à 75 ans dans les Forces de Défense Coloniale qui conduisent une improbable expansion de l’humanité dans la Galaxie. Cette folle entreprise humaine au milieu des étoiles est menée par des recrues du troisième âge améliorées à grands renforts de biotechnologies.

La première partie nous convie parmi ces nouveaux navigateurs embarqués dans un vaisseau de "réjuvénation" (et dans des parties de jambes en l'air) vers la planète où se déroulera leur service militaire. La deuxième partie est une variation burlesque du camp d’entraînement militaire, une sorte de Full Metal Jacket dans les étoiles. La troisième partie nous entraîne au cœur de l'action, sur tous les fronts, nous débarrassant de toutes nos idées sur la façon de conduire une guerre. Car loin de la Terre, la nature des ennemis est autrement plus bizarre...

Cette histoire ne se cantonne pas seulement à une vision belliciste et transhumaine de la conquête de l'espace, elle avance sur un territoire beaucoup plus sympathique et humaniste. Les dialogues entre ces vieux croulants ragaillardis sont de grande qualité, et John Scalzi compose son space opera du troisième âge avec un sens de l'humour jubilatoire même lorsqu'il est question de mortalité, d'identité humaine, ou d'éthique de la prolongation de la vie.

jeudi 03 novembre 2011

Survol de la Terre à bord de l'ISS

Depuis le lancement de son premier module en 1998, la Station Spatiale Internationale fait le tour de la Terre 16 fois par jour à environ 370 km d'altitude à une vitesse de 28000 km/h. Elle parcourt quotidiennement une distance correspondant à un aller-retour entre la Terre et la Lune. (source : ASC)

Bright Star, de Jane Campion (2010)

Aujourd'hui, la poésie comme la nouvelle est boudée par le public au point que les éditeurs se risquent rarement à publier des recueils. Dans ce film réalisé par Jane Campion, le cinéma donne une résonance particulière à la poésie et, nous fait apprécier différemment un genre littéraire exigeant dont nous avons peut-être oublié les bienfaits.

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Je vous invite chaudement à vous détendre dans les champs attenant à cette maison de campagne dans laquelle Charles Armitage Brown, poète écossais, et John Keats, jeune poète anglais ont pris domicile. C'est aussi dans cette maison qu'habite Fanny Brawne, une jeune et talentueuse couturière au caractère bien trempé.

Jane Campion nous raconte comment John Keats s'entiche de la compagnie de Fanny, de sa petite sœur Toots, et de son jeune frère Samuel. Charles Brown, l'ami poète de Keats, est agacé par les distractions envahissantes de ces jeunes gens qui l'empêchent de jouir exclusivement de la présence, et de l'esprit de Keats. Pour justifier les moments où les poètes ne souhaitent pas être dérangés, Brown explique qu'ils sont en train de "poétiser" ("musing" en anglais). Avec un humour pince sans rire, Fanny ironise le trait grâce à un jeu de mot espiègle :

Mr Brown : - Musing, making one's mind available to inspiration.
/ Le poète attend que sa muse vienne le visiter.
Fanny : - As in amusing?
/ Le poète s'amuse?

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A l'image des effronteries de Fanny, j'ai trouvé les dialogues savoureux, et les mots d'esprit délicieux. C'est parfois drôle, enfantin, naïf, ou simplement beau quand les dialogues se parent des vers obscurs de Keats. La mise en image est lumineuse, et les deux acteurs sont d'une admirable sensibilité. Nous nous laissons émerveiller par ce sincère et innocent amour comme seul de grands enfants peuvent le gouter. La fin m'incite à laisser le film agir sur moi comme un poème. Et, à songer avec une certaine amertume à un monde perdu.

jeudi 27 octobre 2011

Une saison de machettes, de Jean Hatzfeld (2003)

« Quand une maman cachait un enfant sous elle, ils la soulevaient premièrement, ils coupaient l'enfant deuxièmement et sa maman finalement. Les nourrissons, ils ne prenaient pas la peine de les couper convenablement. Ils les tapaient sur les murs pour gagner du temps, ou les jetaient vivants loin devant sur les tas de morts. »

La Saison de Machettes, par Jean HatzfeldLe journaliste Jean Hatzfeld est allé dans la prison à Nyamata pour recueillir, neuf ans après les massacres, les récits des acteurs hutus du génocide rwandais, ici en l’occurrence des cultivateurs, des instituteurs, et des commerçants.

Jean Hatzfeld introduit ces récits en nous rappelant qu’en 1994, « entre le lundi 11 avril à 11 heures et le samedi 14 mai à 14 heures, environ 50000 Tutsis, sur une population d’environ 59000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine, de 9h30 à 16 heures, par des miliciens et voisins hutus, sur les collines de la commune de Nyamata, au Rwanda. »

Imaginez ! Vous vous levez chaque matin pour rejoindre votre bande d’amis sur le terrain de foot du village. Vous écoutez les instructions et les recommandations des miliciens, et au coup de sifflet vous partez à pied, la machette à la main en direction des marais et des forêts en chantant des airs populaires. Vous débusquez les avoisinants tutsis qui n’appartiennent pas à la même ethnie que vous, cachés dans la brousse. Vous « coupez » hommes, femmes et enfants tutsis car ils sont les « fautifs de nos ennuis éternels », des « parasites » et des « cancrelats ». Maladroit au début, vous acquérez le leste du tueur à sang froid car « le rabâchage et la répétition contrent la maladresse. C’est je crois une vérité pour n’importe quelle activité de main ». Et, vous maniez la machette ou le gourdin plusieurs fois dans la journée jusqu’au sifflet final.

« Et puis il faut préciser un fait remarquable qui nous a encouragés. Beaucoup de Tutsis ont montré une terrible peur d’être tués, avant même qu’on commence à les frapper. Ils cessaient leur agitation dérangeante. Ils se plantaient immobiles ou se blottissaient. Alors cette attitude craintive nous a aidés à les frapper. C’est plus tentant de tuer une chèvre bêlante et tremblante qu’une chèvre fougueuse et sauteuse, si je puis dire. »

L’esprit de bande qui a joué un rôle crucial dans la mécanique de ce génocide, perdure dans les prisons. Par craintes de représailles, les acteurs du génocide sont dans un premier temps prudents face aux questions du journaliste. En acceptant et en discutant les conditions des entretiens entre eux, ces amis hutus sont mieux à même d’affronter ensemble leurs souvenirs de tueurs. Alors, les langues se délient. S’ils montrent des comportements extravagants au début de leur récit, ils parlent progressivement sans souci d’atténuer leurs actes, sans récuser la moindre initiative individuelle, et sans décharger systématiquement la responsabilité sur autrui.

J’ai posé ce livre plusieurs fois parce que les larmes n’étaient pas loin… Ce livre vous prend soudainement à la gorge, et ne vous lâche plus. Nous entrons inéluctablement dans la tête de ces tueurs, et nous nous soumettons à leurs viles mais trop humaines considérations. Puis, notre empathie irrépressible nous met à la place des victimes tustis acculées comme des bêtes dans la brousse sachant leur peu d’espoir de survie. Ces récits sont terrifiants, et les analyses pertinentes de Jean Hatzfeld donnent une idée claire – mais pas suffisante - des origines, des implications, et du déroulement de ce génocide. Aux récits s'ajoutent le décryptage passionnant de Jean Hatzfeld sur les comportements des tueurs hutus lors de ces entretiens.

J'achève cette chronique par les prénoms de cette bande d'amis (infime échantillon des exécutants de ce génocide) qui aspirent naïvement à quitter la prison pour retrouver leur famille, leur parcelle, et une paix intérieure : Aldabert, Joseph-Désiré, Léopord, Elie, Fulgence, Pio, Alphonse, Jean-Baptiste, Ignace et Pancrace.

jeudi 13 octobre 2011

Inaccessibilité du site durant plusieurs jours !


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Nous sommes désolés du fait de l’indisponibilité et des réguliers ralentissements que le blog subit. Celui-ci était inaccessible depuis dimanche après-midi car notre hébergeur, Olympe Network, s’est vu fermer ses serveurs inopinément et de façon arbitraire par l’un de ses principaux fournisseurs.

Ce service d’hébergement gratuit de site web ne possède pas les mêmes ressources et la même réactivité devant les incidents informatiques, qu’un hébergeur professionnel (du type d’OVH, Gandi, Ikoola, etc.).

Pour ne plus être dépendant de ces couacs techniques, nous migrerons probablement bientôt vers un autre hébergeur, autrement dit vers une offre payante. Si la gratuité était une alternative plaisante pour nous ouvrir les portes de la blogosphère et disposer d’un espace vierge sur lequel nous pouvions peindre ce qui nous passe par la tête, aujourd'hui l’envie de disposer d’un espace stable, et bien à nous, nous asticote.

Nous allons pouvoir continuer la rédaction de nos billets (hop!) car avoir le temps et l’espace pour vous parler (avec des variations) des œuvres de création qui nous amusent, qui nous intéressent, qui nous interpellent est très appréciable (ouh le vilain euphémisme).

Bonne lecture ! :-)

The Chaser, de Na Hong-jin (2007)

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The Chaser est un polar coréen très noir qui se déroule dans les bas fonds de Séoul. Cette chasse à l’homme réunit un antihéros (Joong-ho) - pas fondamentalement méchant - ex flic devenu proxénète qui voit ses prostituées disparaître les unes après les autres, et un serial killer (Young-min) d’une cruauté inouïe envers ses victimes. Je n'oublie pas de planter le décor : la nuit, la pluie et les petites ruelles.

Les ruptures de ton sont déstabilisantes, car s'il faut avoir les nerfs bien accrochés devant les quelques scènes profondément atroces du film, on se réjouit ailleurs de la drôlerie de la satire policière. Le film se moque de la patente inefficacité du service de police, et des enquêteurs coréens qui sont incapables de trouver les preuves judiciaires de la culpabilité de Young-min. L'attitude flegmatique et amusée de ce dernier lors des interrogatoires de police est à tomber des nues. Impuissants et désabusés, les enquêteurs écoutent ce monstre décrire sans ambages le protocole d'exécution de ses crimes abominables. Parallèlement, Joong-ho accompagné de son sbire au sympathique surnom de « tête de nœud » mène ses propres recherches sur le terrain dans l'espoir de retrouver la dernière fille enlevée par Young-min.

C’est la rage au ventre, et le teint un peu livide que j’ai quitté ce film haletant qui a l'art de distiller du suspens. J’ai bien retrouvé dans ce film les références cinématographiques citées sur le blog de kim-bong-park :

La montée de haine progressive de Brad Pitt dans Seven (David Fincher) pour Joong-ho, la provocation ultime du foutage de gueule de Kevin Spacey dans The Usual Suspects (Bryan Singer) pour Young-min et pour notice le précepte hitchcockien : « pour faire un bon film, il faut trois choses : une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire ».

samedi 01 octobre 2011

Christopher Priest, auteur de SF et truqueur de réalité.


Photo de Christopher PriestChristopher Priest est un auteur britannique connu du lectorat de science-fiction et de fantastique. Par ailleurs, Le Prestige, roman sur le thème de la prestidigitation et dont l’intrigue repose sur un doppelgänger a été adapté au cinéma par Christopher Nolan en 2006. Christopher Priest montre dans ses romans que notre perception de la réalité est une construction fragile dont il peut saper petit à petit la base. Il fait glisser le lecteur d’une réalité à une autre sans que nous puissions situer à quel moment la séparation ou la substitution des réalités s'est mise en place. Il manipule ses univers et ses intrigues avec beaucoup de soin ce qui se retrouve dans son écriture précise et sans artifices "procurant au lecteur l'impression de se situer toujours dans le cadre d'une stricte réalité" (1). La Séparation (paru en 2005) est justement le titre d’un de ses romans qui se déroule durant la Seconde Guerre Mondiale.


La Séparation    La Séparation

Ce récit introduit une divergence (on parle alors d’uchronie) dans la nuit du 10 au 11 mai 1941, cette nuit où Rudolf Hess s'est envolé d'Allemagne pour négocier la paix avec la Grande-Bretagne… « Son avion a-t-il été abattu par la Luftwaffe ? Hess a-t-il réussi sa mission sans en informer Adolf Hitler ? Et pourquoi, dans certains documents d'archives, la guerre semble-t-elle s'être prolongée jusqu'en 1945? C'est à toutes ces questions que va tenter de répondre l'historien Stuart Gratton ; notamment en s'intéressant au destin exceptionnel de deux frères jumeaux, Joe et Jack Sawyer, qui ont rencontré Hess en 1936 aux jeux olympiques de Berlin»(2).

Christopher Priest organise le récit «à travers la vision de plusieurs personnages qui ne se recoupe qu'à certains points clés. D'où le sentiment de divergence entre les versions qui contamine la logique spéculative»(3). L’intrigue prend donc plusieurs chemins et se révèle un trésor de perplexité. L’histoire est superbement romancée comme un classique sur la seconde guerre mondiale dont la force réside dans la sincérité et la vraisemblance du témoignage. Il évoque magnifiquement la vie civile en Grande Bretagne, ou les opérations aériennes menées par la RAF bombardant les villes allemandes.

Le Monde Inverti

La distorsion de la réalité est peut-être plus fascinante encore dans le Monde Inverti (1975). Son célèbre incipit : « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres.» nous amène sur une planète étrangère. Sur ce monde, une ville est tractée au dessus d’immenses rails pour assurer son déplacement vers l’« optimum». Toute l'organisation sociale de la cité est orientée vers ce but unique. Et c’est à la guilde des Topographes du Futur qu’incombe la lourde tâche de prévoir le chemin que doit suivre la cité.

Le jeune citoyen Helward Mann a atteint la majorité, soit l’âge de mille kilomètres… Aspirant à devenir un Topographe du Futur, il est initié à chacune des guildes de cette société de castes, découvrant progressivement le monde extérieur et la raison du déplacement de la cité. Son aventure extraordinaire le pousse irrémédiablement à une réflexion qui va à l’encontre sa connaissance du monde. Par ailleurs, ce que l’observation est capable de lui apprendre semble constituer un savoir abstrait sur la réalité qui l’entoure, et en particulier sur les phénomènes naturels (distorsion du temps et de l’espace) qu’il affrontera durant son voyage initiatique en dehors de la cité.

Un concept mathématique (subtilement divulgué) vient nous éclairer sur la nature déroutante et mystérieuse de cette planète. En donnant une interprétation mathématique, Christopher Priest offre ainsi la clé permettant l'accès à la compréhension d'une réalité qui n'est pas tangible immédiatement. Il fait le lien entre le monde du sensible et le monde des idées/des concepts qui semble ainsi clore le paradigme.

Le Monde Inverti est un roman vertigineux. Le final fut à la hauteur de mes attentes, ouvert et inattendu, la substitution des réalités laisse place à la confusion du héros comme du lecteur. Maestria !

Le Monde Inverti se place parmi mes romans préférés de science-fiction.

Le Livre d'Or de la SF consacré à Priest    La Fontaine Pétrifiante    L'archipel du rêve

J'ai plus de réserve pour ses nouvelles parues dans le Livre d'Or de la SF qui lui est consacré, ou pour l'univers chimérique et fabuleux dans lequel s'inscrivent le roman La Fontaine Pétrifiante (1981) et le recueil de nouvelles l'Archipel du Rêve (1981) plus proches du Fantastique que de la Science-Fiction. Je n'ai pas de prédilection pour un des deux genres, ce serait plutôt des anicroches avec un personnage principal antipathique, avec une rêverie exotique, avec un érotisme qui ne fait ni chaud ni froid... Ce qui est peu de choses devant leurs autres qualités, et leur atmosphère parfois enivrante.

Sa bibliographie contient d'autres romans que je continue de découvrir.

(1) et (3)   Extraits de la critique sur le roman la Séparation par Philippe Curval, auteur français de SF.
(2) Extrait de la quatrième de couverture.

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