femme_sur_la_lune.jpg
Les ressorts comiques

Les Nibelungen et Metropolis appartenaient déjà au passé lorsque Fritz Lang se lance dans la réalisation de ce voyage dans la lune de près de trois heures (le voyage en question n'en durera que la moitié), et force est de constater que les enjeux sont bien différents, notamment dans leur intensité. Un découpage assez naturel de l'intrigue s'impose, laissant apparaître deux sous-films presque indépendants : une première moitié articulée dans une logique de thriller d'époque, dans le style des Espions sorti un an auparavant voire des films ayant pour thème le Docteur Mabuse, et une seconde résolument fantastique, bien que marquée par un souci de crédibilité scientifique, pour décrire le voyage mi-éponyme en direction de la lune. Le résultat donne l'impression de s'étirer un peu trop dans l'ensemble, mais un charme certain opère, notamment dans le témoignage de l'état d'esprit de l'époque au sujet de la conquête spatiale.

Fritz Lang n'a pas tout à fait laissé de côté le graphisme expressionniste ici, notamment lorsqu'il s'agit de mettre en scène les dilemmes liés à un vague triangle amoureux un peu terne, ainsi que les pérégrinations d'un espion à la solde de financiers contrôlant le marché de l'or sur Terre. Rien de comparable à ce qu'il mettra en œuvre dans M le maudit par exemple, mais cela reste tout de même assez plaisant. Le glissement de l'intrigue policière menée comme un film noir vers la science-fiction se fait avec un souci de réalisme plutôt sympathique, avec schémas et descriptions techniques de diverses caractéristiques (préparatifs avant le décollage, largage des différents étages de la fusée, entrée en apesanteur, réserves d'oxygène) témoignant de manière détournée de l'avancée de la science à l'époque du tournage. On sent une certaine fascination purement scientifique, saupoudrée de-ci de-là de traits fantastiques à l'image de l'atmosphère lunaire comme par magie respirable, ainsi que la présence de grandes quantités d'or confirmant la théorie d'un scientifique qui avait longtemps été ridiculisé et ostracisé. Dommage que La Femme sur la Lune ne s'attarde pas davantage sur l'exploration du sol lunaire, dans cette imagerie extrêmement agréable, pour se focaliser de plus en plus sur la formation d'un groupe hétéroclite, sur la cohabitation contrainte des membres de l'équipage et sur les passions qui se déchaînent à l'intérieur de ce microcosme.

Un peu léger pour un Lang serait-on tenté de dire, rappelant dans une certaine mesure la dernière période de sa filmographie, à son retour en Allemagne de l'Ouest à la fin des années 50. L'ambiance globale reste cependant très attachante, dans la veine de son style caractéristique des années 20 et 30, et suffira largement à combler les aficionados (dont je fais partie). Comme si la naïveté poétique avait pris le dessus sur les préoccupations plus ténébreuses auxquelles on pouvait être habitué de sa part. Et puis les lits à ressorts pour contrer l'effet d'une accélération de 40 m/s² (soit 4G) dans la fusée, c'est d'un comique involontaire tout à fait rafraîchissant.

lune.jpg